Bernard Evein (1929-2006)

Des aplats de couleur des Parapluies de Cherbourg à la grisaille abstraite de Thérèse, il avait entièrement réinventé l’esthétique et la fonction du décor de cinéma. Bernard Evein est mort le 8 août 2006 dans l’île de Noirmoutier.

MAXENCE — Braque, Picasso, Klee, Miró, Matisse… c’est ça, la vie !
(Les Demoiselles de Rochefort)

Né à Saint-Nazaire en 1929, Bernard Evein rencontra le futur cinéaste Jacques Demy (1931-1990) à l’école des Beaux-Arts de Nantes. Les deux jeunes gens y nouent une amitié qui durera toute leur vie. Elève de l’IDHEC, Evein retrouve vite Demy monté à son tour à la capitale, et réalise les décors de ses premiers courts-métrages. Il restera son complice pour la plupart de ses œuvres futures : Lola (1960), La Baie des anges (1962), Les Parapluies de Cherbourg (1964), Les Demoiselles de Rochefort (1966), L’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973), Lady Oscar (1978), Une Chambre en ville (1982), Trois places pour le 26 (1988). Leur collaboration ne s’interrompt que ponctuellement, soit que Demy travaille à l’étranger, soit que Bernard Evein se désiste devant l’étroitesse du budget, pour Peau d’âne ou Parking.

Demy et Bernard Evein innovèrent radicalement sur deux points : tout d’abord, dès Les Parapluies, leur premier film en couleurs, ils caractérisèrent les différents lieux du films par de grands et expressifs aplats monochromes, pensés en corrélation avec les couleurs, elles aussi vives et franches, des costumes. Ensuite, ils adoptèrent une pratique qu’ils maintinrent tout au long de leur collaboration : la transformation de décors naturels. A l’époque, la plupart des films se tournent soit en studio, soit en extérieurs naturels très peu modifiés. Evein et Demy repeignent des rues entières, proposent une extension féerique du monde réel. Un de leurs plus grands regrets fut de n’avoir pu (faute d’argent) repeindre en rose le pont transbordeur de Rochefort, voué à une rapide destruction après le tournage.

Par l’intermédiaire de Demy et d’Agnès Varda, Bernard Evein, outre ses collaborations au théâtre avec Jean-Louis Barrault entre autres, devint l’un des décorateurs attitrés de la Nouvelle vague : il travailla pour François Truffaut (Les Quatre cents coups, 1959), Claude Chabrol (A double tour, 1960), Jean-Luc Godard (Une femme est une femme, 1961), Agnès Varda elle-même (Cléo de 5 à 7, 1962), et s’engagea dans deux autres collaborations particulièrement remarquables.

Pour Louis Malle il crée les décors des Amants (1958), du Feu follet (1963) et surtout de Zazie dans le métro, film fou et expérimental qui tente de donner un équivalent cinématographique du style de Raymond Queneau, et y parvient. La séquence finale, où le décor du restaurant, détruit par la bagarre générale, en révèle un autre, entièrement différent, qui lui-même en révèle un autre, jusqu’à aboutir au studio nu où l’on découvre Louis Malle et son équipe, est un des sommets de l’art de Bernard Evein.

Pour Alain Cavalier, qui l’engage dès Le Combat dans l’île (1961) et L’Insoumis (1964), Bernard Evein invente enfin le dispositif de Thérèse : un mur nu en nuances de gris, quasiment indiscernable du sol qu’il borde, et que viennent spécifier des accessoires : lit, table, barreaux…

Décors de théâtre ? Non. Décors de cinéma s’il en fut, complétant sans cesse le naturel et le vrai par l’artifice revendiqué, inventant un espace abstrait reconstruit par le montage, reprenant un fil minoritaire là où l’avaient laissé les décorateurs des « films d’art » des années 20. Des précurseurs qui se nommaient Fernand Léger, Georges Braque ou Mallet-Stevens…

Etienne Mahieux

  • FILMOGRAPHIE SELECTIVE
- Trois places pour le 26 (Jacques Demy, 1988)
- Thérèse (Alain Cavalier, 1986)
- Notre histoire (Bertrand Blier, 1984)
- Une chambre en ville (Jacques Demy, 1982)
- La vie devant soi (Moshé Mizahi, 1977)
- Le Jouet (Francis Veber, 1976)
- L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune (Jacques Demy, 1973)
- L'aveu (Costa Gavras, 1970)
- Adolphe, ou l'âge tendre (Bernard Toublanc Michel, 1968)
- Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967)
- Qui êtes-vous, Polly Maggoo? (William Klein, 1966)
- Viva Maria! (Louis Malle, 1965)
- Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964)
- Le jour et l'heure (René Clément, 1963)
- La baie des anges (Jacques Demy, 1963)
- Les dimanches de Ville d'Avray (Serge Bourguignon, 1962)
- Les sept péchés capitaux (collectif, 1962)
- Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1961)
- L 'année dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961)
- Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, 1961)
- Lola (Jacques Demy, 1961)
- Zazie dans le métro (Louis Malle, 1960)
- À double tour (Claude Chabrol, 1959)
- Les quatre cents coups (François Truffaut, 1959)
- Les cousins (Claude Chabrol, 1959)
- Les amants (Louis Malle, 1958)
- Le bel indifférent (Jacques Demy, 1957)

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