Indigènes, de Rachid Bouchareb * * *

En mai, Indigènes avait transporté le jury cannois qui lui avait décerné un prix d’interprétation collectif. Cette chronique de la participation d’une section de tirailleurs coloniaux à la libération de la France rappelle avec pondération, sous la forme d’un film de genre réussi et un peu appliqué, une page généralement occultée de l’histoire récente.

L’histoire commence par le recrutement au Maghreb (quelque peu idéalisé — l’une des rares faiblesses historiques du film) d’une section de tirailleurs destinée à traverser les mers pour sauver la « mère patrie ». Quatre d’entre eux sont peu à peu élus par le scénario, Saïd (Jamel Debbouze) instantanément, Abdelkader (Sami Bouajila) très vite, Yassir (Samy Naceri) et Messaoud (Roschdy Zem) par plus petites touches. Ces quatre hommes apprennent à se connaître à mesure que l’armée alliée débarquée en Italie remonte vers le Nord, avant de se retrouver finalement, seuls avec leur sergent blessé (Bernard Blancan), à devoir « tenir » en tête de pont un petit village vosgien évacué par les Allemands, en attendant l’offensive générale sur l’Alsace.

Rachid Bouchareb, dans le traitement de ce sujet nécessairement spectaculaire, choisit de ne pas tricher avec les règles du genre. Il manifeste l’influence directe de deux cinéastes contemporains. A Bertrand Tavernier, il reprend certaines des solutions proposées dans Capitaine Conan pour la représentation des batailles, et surtout l’idée que l’horreur de la première d’entre elles vaut pour la suite : de même, dans L’Appât, Tavernier ne montrait réellement que le premier meurtre. L’autre influence, plus évidente encore, un peu lourde même, est celle de Steven Spielberg, Indigènes reprenant à peu de choses près l’économie narrative d’Il faut sauver le soldat Ryan. Les soldats subissent l’espace stratégique lors de la première bataille, l’organisent lors de la seconde. Mais Bouchareb va moins loin que Spielberg dans le chaos inaugural (les plans de l’intérieur de la mêlée, assez effrayants, alternant avec la vision plus large et stratégique des officiers), et plus loin en revanche dans la séquence vosgienne, moins longue et spatialement plus complexe (me semble-t-il) que le modèle spielbergien. C’est qu’il veut insister sur le caractère décisif et héroïque, la compétence militaire de ses personnages, qui se sortent du rôle de chair à canon qui leur est attribué dans la première bataille italienne. On est ici dans une perspective différente de celle du Vent se lève : l’action armée n’est pas discutée (au contraire, dans la scène du bombardement de tracts, Abdelkader choisit à son combat une justification intérieure, qui ne lui est plus imposée par la communauté). La portée politique du film se limite volontairement à l’étude des rapports entre « indigènes » et métropolitains que les personnages appellent significativement « Français ».

Celle-ci est menée avec une vraie finesse. Jamais le scénario ne succombe à la tentation d’opposer de méchants coloniaux aux gentils indigènes. Le mépris, réel, de ceux-là envers ceux-ci s’accompagne généralement de la meilleure foi du monde. La tension sociale toujours présente colore et imprègne, sans jamais les déterminer entièrement, les rapports entre les personnages, le point culminant correspondant aux combats intérieurs du sergent Martinez, poussé par une blessure — et par un choix consécutif à cette blessure — à se montrer dur avec des hommes qu’il soutient auprès de ses propres chefs. C’est l’occasion de saluer la force du jeu de Bernard Blancan, au sein d’une distribution peut-être un peu trop raide par souci d’être digne de l’enjeu ; mais je sors du film de Loach... Quelques éclats burlesques de Jamel Debbouze, loin de nuire à son personnage, montrent qu’il était possible d’aller plus loin.

Quant à la question de l’héroïsme, elle est traitée avec un pareil sens de la mesure. Le film a le bon goût de se terminer sur sa partie la plus convaincante, la défense du village. C’est le théâtre à la fois du désarroi et des exploits de nos tirailleurs, des exploits maintenus par les auteurs dans la limite — bien restrictive, hélas — du vraisemblable. Mais c’est également celui de la relation la plus poétique entre les maghrébins et les continentaux. Elle se marque ici du sceau de l’incertitude, entre familiarité possible et étrangeté radicale. L’ancrage patriotique des Alsaciens, une enseigne de café patoisante le rappelle discrètement, n’est pas évident non plus. On garde l’image de certains gestes : deux mains sur le pis d’une vache, un soldat anxieux qui ne cesse de braquer de son arme une inoffensive vieille dame, quelques timides applaudissements en marge d’une photo officielle.

Etienne Mahieux

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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France/Maroc/Algérie
Date de sortie : 27 septembre 2006
Durée : 2h07
Scénario : Rachid Bouchareb, Olivier Lorelle
Production : Jean Bréhat, Jacques-Henri Bronckart, Caroline Cochaux, Jamel Debbouze, Geneviève Lemal, Alexandre Lippens, Muriel Merlin
Assistant réalisateur : Mathieu Schiffman
Décors : Dominique Douret
Photographie : Patrick Blossier
Montage : Yannick Kergoat
Musique : Armand Amar, Khaled

  • DISTRIBUTION
Le caporal Abdelkader : Sami Bouajila
Saïd : Jamel Debbouze
Yassir : Samy Naceri
Messaoud : Roschdy Zem
Le sergent Martinez : Bernard Blancan
Le caporal Leroux : Mathieu Simonet
Le colonel : Antoine Chappey
La jeune fille du village des Vosges : Mélanie Laurent
Le journaliste : Thomas Langmann
Le capitaine Martin : Thibault de Montalembert

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