Les Fragments d'Antonin, de Gabriel Le Bomin * * * *

Voici un compte-rendu tardif d’un film, sorti en novembre, qui a désormais quasiment disparu des écrans. Bien accueilli et porté par un bouche-à-oreille très favorable et très mérité, il n’a cependant pas rencontré le grand public. Dense et remuant, le premier long-métrage de Gabriel Le Bomin laisse pourtant beaucoup espérer de son auteur.

Dans les années qui suivent la Première guerre mondiale, le médecin militaire Labrousse s’occupe, dans un hôpital de campagne, d’un service de neurologie où il s’occupe des anciens combattants psychologiquement traumatisés par la guerre. Il est fasciné par Antonin Verset, un jeune homme qui, sans souffrir d’amnésie, refoule volontairement ses souvenirs et s’enferme dans une forme d’autisme.

La narration, elle, connaît le passé d’Antonin, et révèle petit à petit celui-ci au spectateur. Les Fragments d’Antonin est ainsi un film construit sur un montage audacieux qui amène le public à mener sa propre enquête, au lieu de suivre le film de celle de Labrousse, qui ne joue aucunement le rôle du détective, mais presque celui d’un pur regard (partition difficile dont Aurélien Recoing se tire remarquablement). Promené entre trois époques différentes, le spectateur doit recomposer son propre montage intérieur, repérer les rimes entre les plans, expliquer petit à petit les attitudes d’Antonin. Ne vous effrayez pas, Le Bomin est pédagogue juste ce qu’il faut pour ne pas nous perdre dans ce puzzle.

Petit à petit apparaît le cœur du film : la description, moins d’une guerre (encore que certaines séquences impressionnent par leur violence), que d’un monde en guerre, où la notion de guerre et la situation de belligérance modifient les comportements. Significativement, Antonin a vite échappé aux premières lignes pour être employé par l’armée comme responsable d’une unité de pigeons voyageurs. Voyageant d’une unité à une autre selon les besoins du haut commandement, il est témoins de divers comportements induits par la guerre : l’apparente résilience d’une infirmière mutilée, le désespoir des soldats mourants, l’utopie asociale et amoureuse d’une femme (Laure Duthilleul) vivant dans une ferme abandonnée, les soubresauts sociaux d’une unité où chacun, du capitaine (Yann Collette) aux membres du peloton, doit digérer l’ordre d’exécuter un insoumis. Toujours, il faut choisir, choisir son camp, choisir qui vivra… la folie d’Antonin naîtra de la pression psychologique et non de la violence physique.

Gabriel Le Bomin orchestre donc avec beaucoup de talent une mise en scène volontiers mais discrètement symbolique : je pense à ce long plan, au début, où Labrousse descend un escalier en colimaçon, descente aux Enfers, auprès des damnés et parmi les damnés (Labrousse lui-même souffre, on découvrira de quoi), qui se termine contre toute attente dans un vestibule lumineux. Il a également imposé à ses acteurs un terrible défi qu’ils relèvent admirablement, en composant son générique à partir d’images d’archives tournées par un homologue de Labrousse. Grégori Derangère doit succéder à l’écran aux véritables symptômes d’authentiques survivants. Il est mieux que crédible, profondément habité ; distribué à contre-emploi, il fait découvrir de nouveaux aspects de son talent décidément remarquable. Et que l’on me pardonne cette froideur s’agissant d’un film qui prouve une nouvelle fois que le travail formel le plus concerté n’est aucunement un frein à l’émotion : ce passage du document au jeu d’acteur éclaire plus que bien des leçons d’histoire du cinéma une certaine esthétique du jeu dans les grands films de la fin du muet : nous ne pourrons plus voir jouer Jannings ou Artaud, dans les films de Murnau ou de Dreyer, de la même façon. Ces gens-là avaient vu la guerre, tout simplement.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE



  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h30
Date de sortie : 8 novembre 2006
Scénario : Gabriel Le Bomin
Assistant réalisateur : Julie Navarro
Production : Alexandra Lederman
Décors : Aurélien Geneix
Photographie : Pierre Cottereau
Son : Xavier Piroëlle, Lionel Montabord
Montage : Bertrand Collard
Musique : Fabian Römer

  • DISTRIBUTION
Antonin Verset : Grégori Derangère
Madeleine Oberstein : Anouk Grimberg
Professeur Labrousse : Aurélien Recoing
Professeur Lantier : Niels Arestrup
Capitaine Orlac : Yann Collette
Marie : Laure Duthilleul
Lieutenant Ferrou : Pascal Demolon
Jürgen : Richard Sammel
L’adjudant : Pascal Elso
Masson : Michaël Abiteboul
Stan : Cyrille Thouvenin
Un soldat mourant : Samuel Dupuy

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