The Queen, de Stephen Frears * * *

Il était une fois un royaume enchanté, où le premier ministre, jeune et nouvellement arrivé à son poste, était très impressionné par la souveraine. Or un jour, l’ex-femme du prince héritier mourut d’un accident dans un pays lointain. Elle était très aimée du peuple qui pleura beaucoup, et moins aimée de la reine, qui pleura moins, du coup. Le premier ministre vit que le peuple risquait de moins aimer la reine et fit tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher ça.

Ah oui… la reine, c’est Elizabeth II. Le ministre, c’est Tony Blair. Rangez votre Semaine de Suzette et préparez vos zygomatiques.

De fait, il y a de quoi rire dans ce nouveau et fort bon film de Stephen Frears, dont je dis d’autant plus volontiers du bien que je ne suis pas un inconditionnel de cet auteur talentueux, aventureux, mais inégal, partagé entre la description de son pays natal, travail commencé à la B.B.C. à la suite d’auteurs comme Ken Loach, et des expérimentations sur la forme qu’il s’en va généralement mener à Hollywood.

Le voilà donc attelé à la description critique de la plus britannique des institutions britanniques. Dans la première scène, jumelle de celle du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Elizabeth II, qui pose pour un portrait officiel, lance un regard à la caméra. Le projet est le même en effet sur ce point : faire entrer le spectateur dans l’intimité d’une reine.

A quoi bon ? se demande ledit, petit, et parisien spectateur. Qu’ai-je à faire, moi, brave républicain virant au gauchisme quand je suis de mauvaise humeur, d’institutions médiévales qui ne me concernent pas ? Le petit spectateur a sous-estimé Frears. Dans une brillante première séquence, Tony Blair, fraîchement élu, doit se présenter à la Reine. On lui explique le protocole assez lourd qui doit présider à une telle entrevue, et le jeune premier ministre, qui le respecte à peu près (mais du coup toute la scène est devenue remplie de suspens), de se faire hacher menu par la vieille renarde. Physiquement crédibles sans tomber dans l’imitation chansonnière, les acteurs sont impeccables.

Notre premier plaisir est donc celui d’une délicieuse comédie. L’action se déroule essentiellement au téléphone, ce qui n’effraie pas notre auteur, qui retrouve la vivacité et l’alacrité discrète des meilleures comédies américaines. Les personnages ayant du prestige à revendre, Frears insiste, à la façon d’un Lubitsch ou d’un Wilder, sur la trivialité des situations, et se garde bien de leur conférer un prestige supplémentaire. Il les déboulonne au contraire allègrement. Ainsi, nous pouvons mesurer la différence qui existe entre Downing street (adresse dans une rue) et Matignon (un palais), en observant les Blair se dépatouiller de leurs nuggets au poulet. Nous n’insisterons pas sur les bigoudis et les robes de chambre affreuses d’une reine plantée devant la télévision. Deux exceptions : l’accident de Diana, filmé de façon plus spectaculaire, car il doit écraser les protagonistes de son poids ; et une partie de chasse dans les Highlands sur laquelle je reviendrai.

Pour autant, les deux personnages principaux vivent dans deux mondes mentaux bien différents. Blair (en début de mandat) est nettement plus en prise avec la réalité que la reine, persuadée qu’elle entretient avec le pays et le peuple une relation quasi mystique, dont le protocole serait la religion, et qui l’empêche de commettre ces erreurs que Blair lui reproche. Frears prend au sérieux cette vision des choses, et Elizabeth, superbement interprétée par Helen Mirren, en devient touchante, notamment dans une séquence parfaitement lyrique et parfaitement familière, parfaitement loufoque et parfaitement digne à la fois, parfaitement calme et parfaitement folle (bref, parfaite, disons-le), où elle a un duo impressionnant avec un cerf. Oui, un cerf. Que l’on retrouvera plus loin dans une autre scène, où la reine fraternisera avec un employé au nom de valeurs disparues de la vie moderne.

L’intelligence politique de Frears est en effet de mettre en cause les institutions britanniques sans tomber dans l’attaque ad hominem, du moins en ce qui concerne ses deux personnages principaux, car le principe Philip ou Alastair Campbell, par exemple, sont habillés pour les quatre saisons. L’art poétique du film est résumé par cette scène située à Downing Street, où Cherie Blair se lance dans une tirade républicaine, à quoi son mari haut placé répond : « Je veux bien discuter posément des institutions du royaume, mais épargne-moi ton couplet ‘Qu’on leur coupe la tête’ » — avant, faut-il dire, de fuir sous prétexte de vaisselle. L’idéologie sous-jacente est donc républicaine sans être énervée, mais l’enjeu dramatique (et politique) à court terme est bien l’entente entre la reine, qui représente l’Histoire, et le premier ministre, qui représente le sens du présent.

The Queen échappe donc à la caricature et se donne, sans le moindre effet de manche, les exacts moyens de ses ambitions spectaculaires et politiques. Un modèle d’artisanat.

Etienne Mahieux


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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Royaume-Uni
Durée : 1h37
Date de sortie : 18 Octobre 2006
Scénario : Peter Morgan
Assistants réalisateur : Gilles Kenny, Jo Gibson
Production : Andy Harries, Christine Langan, Tracey Seaward, Scott Rudin
Décors : Alan MacDonald
Photographie : Affonso Beato
Son : Nathan Duncan, Paul Davies
Montage : Lucia Zucchetti
Effets visuels : Mark Nelmes
Musique : Alexandre Desplat

  • DISTRIBUTION
Elizabeth II : Helen Mirren
Tony Blair : Michael Sheen
Philip, duc d’Edimbourg : James Cromwell
Charles, prince de Galles : Alex Jennings
Cherie Blair : Helen McCrory
Robin Janvrin : Roger Allam
Stephen Lamport : Tim McMullan
Lord Airlie : Douglas Reith
Alastair Campbell : Mark Bazeley

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3 Commentaires

Well well well...
Trois étoiles, oui, je suis d'accord. Malgré d'incessants piquages de nez et un thème que je n'affectionne pas particulièrement, The Queen m'a semblé intéressant, quoiqu'inabouti.

Je suis restée sur ma faim en ce qui concerne le portrait psychologique de la Reine, que j'espérais plus approfondi.
Quant à la présence de ce très cher Tony, dépeint comme un homme tout à fait ordinaire, un peu maladroit, brave et bien gentil, eh bien je l'ai trouvé un peu fade.

Bref, le tout m'a semblé plutôt superficiel, pas assez creusé.
Quelques points restent en suspens à la fin du film (un peu bâclé non ?) : qu'en est-il des enfants, que la Reine protégeait tant dans les premiers temps ? Quelles sont les retombées de son discours fait au peuple - d'un point de vue psychologique et royal - ?

That is the question.

Sinon j'ai aimé le mélange documentaire-fiction, j'ai trouvé Helen Mirren excellente, et la scène du cerf, toute symbolique qu'elle est, m'a particulièrement plu ! :o)

Qu'ajouter à cet article et à ce commentaire ? Trois étoiles, je souscris. Même si je ne comprends pas vraiment en quoi une préparation des zygomatiques est nécessaires, je partage l'opinion d'Etienne sur la critique des intitutions fort bien menée, concentrant les attaques sur les seconds rôles. J'ajouterais que la "Queen Mum", si chérie des Anglais, n'est pas non plus trop à son avantage. Mais je partage surtout l'avis de Judith - ô notre webmastrice bien aimée - dans sa déception d'un point de vue "psychologique". La reflexion intime de la reine lui reste personnelle. Je m'attendais à autre chose qu'à cette sorte de complaisance envers la Queen et son Premier ministre. En gros, Stephen Frears nous dit que chacun fait ce qu'il peut, illustrant ainsi le discours officiel de Buckhingham.

Eh ben moi, j'ai ri...
Elles sont pitchounettes vos étoiles (il est vrai que les miennes sont grandes...).
A prendre le film comme une analyse psychologique, évidemment, il est incomplet. Mais il me semble s'inscrire plus dans la satire sociale.

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