Festival des films qu’on ne peut plus faire

Aucune nouveauté sous ce titre provocateur : la société des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs de films a sélectionné sept « classiques » qui, selon ses membres, ne trouveraient plus aujourd’hui de producteur. Ils ont été projetés du 5 au 7 octobre au Cinéma des cinéastes, à Paris.

La production française actuelle se concentre de plus en plus sur deux créneaux : d’un côté les films à fort potentiel commercial (ou supposés tels), dotés d’un budget confortable et d’une distribution prestigieuse, au sein de laquelle les producteurs tâchent de plus en plus de caser des acteurs devenus célèbres grâce à la télévision (tant mieux quand c’est Kad Merad ou Edouard Baer, sans parler de José Garcia — tant pis quand c’est Michaël Youn) ; de l’autre, des films expérimentaux tournés pour trois francs six sous.

En revanche, il n’y a plus grand monde pour confier un budget raisonnable à un auteur exigeant et désireux de réaliser un film novateur, s’il ne donne pas des garanties aux chaînes de télévision qui financent de plus en plus largement le cinéma, alors même que sa prééminence sur le prime time du petit écran est de plus en plus discutable. Les films à budget moyen se raréfient : en gros, ceux que faisait un François Truffaut.

Le festival propose sept films qui, à des degrés divers, ne pourraient sans doute plus prétendre aujourd’hui à un financement suffisant : évidemment, le légendairement insoutenable Salo ou les cent vingt journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, produit par Alberto de Stefanis, Antonio Girasante et Alberto Grimaldi, mais aussi Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, produit par Anatole Dauman, au sujet sombre, et à la narration non conventionnelle portée par le texte très poétisant de Marguerite Duras. Si Jean-Pierre Jeunet est aujourd’hui un cinéaste vedette, il était inconnu, tout comme ses acteurs, à l’époque de Delicatessen qui nécessitait un budget important (réuni par Claudie Ossard). Le sujet de La Grande bouffe de Marco Ferreri, provocateur et scatologique, l’empêcherait de passer à la télévision à l’heure du repas : qui voudrait alors le produire ? A l’époque, ce furent Vincent Malle et Jean-Pierre Rassam. Le pourtant récent Happiness de Todd Solondz (1998), produit par Ted Hope et Christine Vachon, aborde avec franchise — voire un grain de provocation — le sujet de la pédophilie, en passe de devenir tabou. Tess de Roman Polanski, film extrêmement cher produit par Claude Berri, interprété par une débutante tourné loin des lieux de l’action en raison des ennuis judiciaires très graves du cinéaste, et dont le tournage fut perturbé par la mort du directeur de la photographie, serait-il aujourd’hui mené à bien, voire tout simplement commencé ? Et même si le sujet de la Thérèse d’Alain Cavalier est de bonne et sainte édification, son choix d’un espace abstrait, et sa distribution composée uniquement d’actrices inconnues, feraient reculer n’importe quel financier. Maurice Bernart, toutefois, n’avait pas reculé.

Tous ces films inquiétants sur le papier ont pourtant connu des succès publics et critiques importants, et ont tous été des opérations bénéficiaires pour leurs producteurs.

Les projections sont suivies de débats avec des critiques et des membres des équipes artistiques des films retenus.

Etienne Mahieux

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