Le Tableau noir, de Samira Makhmalbaf * * * *
Dans une région frontalière et désolée de l'Iran, un groupe d'hommes, charriant sur leurs dos des tableaux noirs, se disperse. Instituteurs itinérants, ils vont de village en village proposer un apprentissage rapide des bases de l'écriture, de la lecture et du calcul.
Le film nous invite à nous attacher à deux d'entre eux. Parti, contre toute logique, chercher des élèves sur une auteur, Reeboir y découvre une bande de gamins trafiquants qui vont et viennent des deux côtés de la frontière. Saïd, qui a préféré le chemin de la plaine, rencontre un groupe de nomades kurdes qui tente de retourner en Irak.
Tous aux abris, la gamine a encore frappé ! Il y a deux ans, au moment de La Pomme, la seule idée qu'il pouvait exister en Iran des réalisatrices nous semblait farfelue. Mais voilà que Samira Makhmalbaf, vingt-et-un ans tout juste, s'est payé le luxe, dans ce cinéma iranien où tout contenu politique est traditionnellement obligé de se réfugier derrière les fables les plus enfantines, de traiter de la violence faite au peuple kurde.
Certes, je ne suis pas sûr que le nom de l'ethnie soit prononcé - mais tout le monde voit très bien de qui il s'agit. Certes, la mention des armes chimiques, et les coups de feu tirés (des coups de feu dans un film iranien !), sont mis sur le dos des Irakiens, mais les Irakiens l'ont bon, et l'ambiance générale de fin du monde qui règne sur Le Tableau Noir indique assez que les torts sont partagés. Sans doute, fille du plus célèbre cinéaste de son pays, juridiquement à peine majeure, déjà nantie d'une certaine notoriété en Occident, Samira Makhmalbaf a-t-elle profité consciemment de ces avantages pour l'ouvrir à la place de ceux qui ne peuvent pas. C'est déjà grand. Mais elle a en plus réalisé un film splendide. Nous sommes sur le cul. Il faut voir Le Tableau Noir sur un écran géant ; oui, mais on ne passe pas Le Tableau Noir, ou en tous cas on ne le passe plus, sur un écran géant ; eh bien, on devrait. La majesté des rocailles iraniennes en fait, dès le premier plan, un film à grand spectacle.
L'ampleur, tout juste modérée par la caméra portée (ben oui, il n'y a pas que les personnes qui crapahutent), de l'espace parcouru par les divers groupes de personnages donne au film une dimension épique, à l'intérieur de laquelle Calamity Samira, jouant sur les clichés scénariques du cinéma de son pays, installe un petit théâtre de l'absurde qui tape juste et fort. Il faut savoir que les premiers films produits par l'Iran dans les années 1960-1970 ont été produits par un monopole d'Etat, perpétué par les islamistes, qui obligeait à ne faire du cinéma qu'à des fins pédagogiques. D'où un style de dialogues extrêmement répétitifs, à mi-chemin entre les formules répétées des contes de fées et la leçon de choses. Kiarostami et Makhmalbaf père ont déjà fait leur miel de ces structures répétitives. Makhmalbaf fille pousse le vice jusqu'à proposer un dérèglement systématique du tempo attendu. Les instituteurs peuvent demander cinq fois au même gamin s'il ne voudrait pas apprendre à lire, par hasard... comme se marier avant la fin du plan ! Ce temps irréel, le caractère impénétrable de l'espace (sans véritable point de repère, barré par les montagnes, brouillé par le brouillard, caché par les tableaux noirs), et quelques motifs graphiques obsédants (celui notamment d'êtres ployant sous un fardeau) finissent par créer un monde halluciné, atemporel, qui parle du nôtre, par contrecoup, d'autant plus fortement. Peut-être, le thème aidant, peut-on y voir une influence d'Angelopoulos ; mais Samira Makhmalbaf nous semble plutôt synthétiser une tradition nationale, et la dépasser même souvent, en libérant la violence potentielle de l'habituelle impassibilité persane. Le Tableau Noir est un voyage rêvé, audacieux et libre, dont nos consciences ne peuvent ressortir indemnes.Chapeau, la gamine.
Date de sortie : 11 Octobre 2000
Réalisatrice : Samira Makhmalbaf
Producteur : Marco Muller
Producteur exécutif : Mohammad Ahmadi
Scénariste : Mohsen Makhmalbaf, Samira Makhmalbaf
Directeur de la photographie : Ebrahim Ghafori
Compositeur : Mohamad Reza Darvishi
1er assistant réalisateur : Marzieh Meshkini
Distribution : Kimstim Films, U.S.A.
Halaleh : Behnaz Jafari
Said : Said Mohamadi
Le film nous invite à nous attacher à deux d'entre eux. Parti, contre toute logique, chercher des élèves sur une auteur, Reeboir y découvre une bande de gamins trafiquants qui vont et viennent des deux côtés de la frontière. Saïd, qui a préféré le chemin de la plaine, rencontre un groupe de nomades kurdes qui tente de retourner en Irak.
Tous aux abris, la gamine a encore frappé ! Il y a deux ans, au moment de La Pomme, la seule idée qu'il pouvait exister en Iran des réalisatrices nous semblait farfelue. Mais voilà que Samira Makhmalbaf, vingt-et-un ans tout juste, s'est payé le luxe, dans ce cinéma iranien où tout contenu politique est traditionnellement obligé de se réfugier derrière les fables les plus enfantines, de traiter de la violence faite au peuple kurde.
Certes, je ne suis pas sûr que le nom de l'ethnie soit prononcé - mais tout le monde voit très bien de qui il s'agit. Certes, la mention des armes chimiques, et les coups de feu tirés (des coups de feu dans un film iranien !), sont mis sur le dos des Irakiens, mais les Irakiens l'ont bon, et l'ambiance générale de fin du monde qui règne sur Le Tableau Noir indique assez que les torts sont partagés. Sans doute, fille du plus célèbre cinéaste de son pays, juridiquement à peine majeure, déjà nantie d'une certaine notoriété en Occident, Samira Makhmalbaf a-t-elle profité consciemment de ces avantages pour l'ouvrir à la place de ceux qui ne peuvent pas. C'est déjà grand. Mais elle a en plus réalisé un film splendide. Nous sommes sur le cul. Il faut voir Le Tableau Noir sur un écran géant ; oui, mais on ne passe pas Le Tableau Noir, ou en tous cas on ne le passe plus, sur un écran géant ; eh bien, on devrait. La majesté des rocailles iraniennes en fait, dès le premier plan, un film à grand spectacle.
L'ampleur, tout juste modérée par la caméra portée (ben oui, il n'y a pas que les personnes qui crapahutent), de l'espace parcouru par les divers groupes de personnages donne au film une dimension épique, à l'intérieur de laquelle Calamity Samira, jouant sur les clichés scénariques du cinéma de son pays, installe un petit théâtre de l'absurde qui tape juste et fort. Il faut savoir que les premiers films produits par l'Iran dans les années 1960-1970 ont été produits par un monopole d'Etat, perpétué par les islamistes, qui obligeait à ne faire du cinéma qu'à des fins pédagogiques. D'où un style de dialogues extrêmement répétitifs, à mi-chemin entre les formules répétées des contes de fées et la leçon de choses. Kiarostami et Makhmalbaf père ont déjà fait leur miel de ces structures répétitives. Makhmalbaf fille pousse le vice jusqu'à proposer un dérèglement systématique du tempo attendu. Les instituteurs peuvent demander cinq fois au même gamin s'il ne voudrait pas apprendre à lire, par hasard... comme se marier avant la fin du plan ! Ce temps irréel, le caractère impénétrable de l'espace (sans véritable point de repère, barré par les montagnes, brouillé par le brouillard, caché par les tableaux noirs), et quelques motifs graphiques obsédants (celui notamment d'êtres ployant sous un fardeau) finissent par créer un monde halluciné, atemporel, qui parle du nôtre, par contrecoup, d'autant plus fortement. Peut-être, le thème aidant, peut-on y voir une influence d'Angelopoulos ; mais Samira Makhmalbaf nous semble plutôt synthétiser une tradition nationale, et la dépasser même souvent, en libérant la violence potentielle de l'habituelle impassibilité persane. Le Tableau Noir est un voyage rêvé, audacieux et libre, dont nos consciences ne peuvent ressortir indemnes.Chapeau, la gamine.
Etienne Mahieux
- FICHE TECHNIQUE
Date de sortie : 11 Octobre 2000
Réalisatrice : Samira Makhmalbaf
Producteur : Marco Muller
Producteur exécutif : Mohammad Ahmadi
Scénariste : Mohsen Makhmalbaf, Samira Makhmalbaf
Directeur de la photographie : Ebrahim Ghafori
Compositeur : Mohamad Reza Darvishi
1er assistant réalisateur : Marzieh Meshkini
Distribution : Kimstim Films, U.S.A.
- DISTRIBUTION
Halaleh : Behnaz Jafari
Said : Said Mohamadi
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