Le Pacte des loups, de Christophe Gans * *

Ce fut en 1764 que la Bête tua pour la première fois. Une jeune bergère fut retrouvée déchiquetée dans un recoin sauvage du Gévaudan. Quelques dizaines de victimes plus tard, le mystérieux animal s’apprêtait à passer du rang de terreur à celui de mythe, lorsque le Roi, sur les conseils de Buffon, envoya sur les lieux un jeune naturaliste, Grégoire de Fronsac. Sa mission : ramener la Bête du Gévaudan à Paris. Empaillée.

Bombance, messieurs, mesdames ! Ne reculant devant aucun sacrifice, la maison Christophe Gans régale à toute heure du jour et de la nuit ! Sur cette trame apparemment d’une simplicité toute biblique, l’auteur de Crying freeman brode au point de croix espionnage, contre-espionnage, horreur, monstres, de l’aventure, de l’action, du suspense, de l’amour ! rebouteux, curés, nobliaux, femmes diversement vénéneuses, et même un Indien d’Amérique ! Fritz Lang voisine avec Hunebelle, Hugo Pratt avec Diderot, Conan le Barbare avec les frères Dardenne ! Dans le cochon, tout est bon ! Dans le loup, tout est bou !

Mais (me demanderez-vous), tout ceci, budgeté deux cent millions, n’est-il pas un peu beaucoup pour un second film ? En général la boulimie vient au premier, et les gros budgets au cinquième… Que non, messieurs-mesdames, ou que pas tout à fait. Bon, évidemment, il y a des moments où Christophe Gans veut nous emmener un peu trop loin de sa donnée de départ, et où l’on ne marche plus tout à fait. L’incongruité des péripéties, et l’irréalisme d’une mise en scène qui célèbre la toute-puissance du cinéma plus que les souvenirs du jeune Thomas d’Apcher (théoriquement narrateur), entraînent parfois à regarder Le Pacte des loups de l’extérieur. Mais souvent, ma foi, on plonge dedans avec les délices que l’on trouve à jouir d’un feuilleton tout à la fois vraisemblable (rien n’est dans le film qui excède des suppositions historiquement raisonnables sinon fondées) et délirant (car de l’accumulation de l’étrangeté naît le délire). Le Pacte des loups tient du divertissement historique, de la cape et de l’épée, du thriller, du wu xia pian (film de sabre ou de kung-fu), du conte horrifique, et du western tout à la fois. On peut dire que ça tient ensemble grâce au talent et à l’énergie du maître d’œuvre.

Christophe Gans sacrifie, il est vrai, à l’esthétique maniériste internationale telle que Matrix ou les films de John Woo l’ont relancée, et parfois l’accumulation des effets photographiques, des ralentis, des accélérés, et des images de synthèse, crispe quelque peu le néo-réaliste rivettien qui ne sommeille en moi que d’un œil. Mais il faut admettre que si (à mon sens) tout cette préciosité nuit considérablement à la crédibilité de l’ensemble (ce qui est toujours préjudiciable pour un film d’aventures), Christophe Gans en fait dans ses meilleurs moments tout à la fois un rite et une danse, une sarabande de mort à la mémoire des victimes de la Bête et des loups injustement accusés. Le Pacte des loups, rondement mené, rassasie son homme. Il faut maintenant que Christophe Gans apprenne à retrancher.

Cet article a paru pour la première fois dans Le Petit spectateur — papier n°92 (février-mars 2001)

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 2h22
Date de sortie : 31 janvier 2001
Scénario : Stéphane Cabel, Christophe Gans
Assistant réalisateur : Lionel Steketee
Production : Richard Grandpierre, Samuel Hadida
Décors : Guy-Claude François
Photographie : Dan Laustsen
Son : Nicolas Becker, Ann Scibelli
Montage : Xavier Loutreuil, Sébastien Prangère, David Wu
Effets visuels : Seb Caudron, Val Wardlaw
Musique : Joseph LoDuca

  • DISTRIBUTION
Grégoire de Fronsac : Samuel Le Bihan
Mani : Mark Dacascos
Jean-François de Morangias : Vincent Cassel
Marianne de Morangias : Emilie Dequenne
Sylvia : Monica Bellucci
Thomas d’Apcher : Jérémie Rénier
Henri Sardis : Jean-François Stévenin
Le comte de Morangias : Jean Yanne
Geneviève de Morangias : Edith Scob
Laffont : Bernard Farcy
Capitaine Duhamel : Eric Prat
La bavarde : Virginie Darmon
Maxime Des Forêts : Nicolas Vaude
Thomas d’Apcher âgé : Jacques Perrin
Beauterne : Johan Leysen
Le marquis d’Apcher : Hans Meyer
Jean Chastel : Philippe Nahon
Duc de Moncan : Jean-Loup Wolff
Mercier : Bernard Fresson
Le père Georges : Jean-Paul Farré
Un aristocrate : Jean-Pierre Jackson
La Fêlure : Nicky Naude
La Tessier : Frankie Pain
Cécile : Juliette Lamboley
Louis : Gaspard Ulliel
Machemort : François Hadji-Lazaro

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