Peines d’amour perdues, de Kenneth Branagh * * *

Le roi de Navarre et trois de ses plus intimes amis, désireux d’élever leur âme, font un double serment. Tout d’abord, de consacrer les trois prochaines années au jeûne et à l’étude, exclusivement. Ensuite, et par conséquent, de bannir de la cour toute présence féminine, afin de n’être point tenté par les choses de l’amour. Noble et stupide projet : dans son enthousiasme le roi néglige l’ambassade, dès longtemps annoncée, que viennent lui rendre la princesse de France en personne, et trois de ses plus charmantes amies.

Plus que jamais plongé dans ses études shakespeariennes, Kenneth Branagh y a cependant appliqué le même principe que Cocteau vis-à-vis de l’Antiquité grecque : « Vous respectez ; moi, j’aime. » Il a situé Peines d’amour perdues à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, et surtout il a sabré les deux tiers du texte pour le remplacer par d’immortels standards, quelques unes des plus belles chansons de l’époque… opération qui se justifie d’ailleurs parfaitement, en théorie, par l’écriture shakespearienne, qui dans cette pièce s’essayait aux vers systématiquement rimés, et incluait un « Masque », c’est à dire un divertissement musical sans lien étroit avec l’intrigue.

La mauvaise nouvelle, c’est que ça ne remplace pas totalement. La pièce de Shakespeare est réduire, durant une bonne partie du film, à un divertissement sans guère de conséquences ; on a même l’impression de voir les comédiens principaux en sous-régime permanent, à l’exception peut-être de Branagh lui-même, qui a l’art de faire un sort à la moindre réplique. Le dénouement et l’épilogue en revanche, par leurs nuances de gravité, nous ramènent dans l’atmosphère de l’auteur de Comme il vous plaira. La bonne nouvelle, c’est que le travail d’intégration des chansons dans le texte porte ses fruits, dans la mesure où la discontinuité, plus sûrement peut-être pour des spectateurs non anglophones et moins attentifs à la différence entre l’archaïsme de la langue shakespearienne et la familiarité contemporaine des lyrics, finit par devenir insensible entre texte de la pièce et chansons. Le sublime They can’t take that away from me des frères Gershwin peut ainsi devenir le véritable dernier mot du film.

On comprend que Kenneth Branagh s’est, pour le reste, livré à un pastiche assez remarquable des comédies musicales américaines des années 30 à 50. Si son film est un peu trop léger pour faire un repas complet, son travail à la caméra l’est en revanche comme jamais. Aucun film de Kenneth Branagh n’a jamais été exempt de lourdeur. Ici, les pitreries des clowns, nullement incompatibles avec l’esthétique de la comédie musicale, sont poussées à une caricature parfois pesante. Mais, jouant à fond le jeu de la théâtralité, dans un décor de carton-pâte assumé (le château à la grille marquée « Navarre — les femmes ne sont pas admises » !), en légers plans-séquences effectués par une steadycam discrète, Kenneth Branagh atteint à une véritable élégance. Si les interprètes n’ont donc pas tous l’occasion de briller véritablement, si Alicia Silverstone est un peu balourde et si Timothy Spall force la note en Espagnol fantasque, il faut en revanche remarquer la grâce lumineuse d’Adrian Lester (le meilleur danseur de la bande, et accessoirement l’interprète principal du récent Hamlet mis en scène par Peter Brook), et l’humour chaleureux de Richard Clifford et des chers Richard Briers et Geraldine McEwan, succulents d’autodérision.

Etienne Mahieux

  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Grande-Bretagne / Canada
Titre original : Love’s labour’s lost
Durée : 1h33
Date de sortie : 24 janvier 2001
Scénario : Kenneth Branagh
D’après la pièce de : William Shakespeare
Assistant réalisateur : Simon Moseley
Production : David Barron, Kenneth Branagh, Bob Weinstein, Harvey Weinstein
Décors : Tim Harvey
Chorégraphie : Stuart Hopps
Photographie : Alex Thompson
Son : Peter Glossop
Montage : Daniel Farrell, Neil Farrell
Effets visuels : Antony Hunt
Musique : Patrick Doyle, Cole Porter, Irving Berlin, George Gershwin, Jerome Kern…

  • DISTRIBUTION
Biron : Kenneth Branagh
Le père Nathaniel : Richard Briers
Boyet : Richard Clifford
Maria : Carmen Ejogo
Costard : Nathan Lane
Du Maine : Adrian Lester
Longueville : Matthew Lillard
Rosaline : Natascha McElhone
Mme Holophernia : Geraldine McEwan
Catherine : Emily Mortimer
Le roi de Navarre : Alessandro Nivola
La princesse de France : Alicia Silverstone
Don Adriano de Armado : Timothy Spall
Balourd : Jimmy Yuill

Partager cet Article:

Facebook Twitter Technorati digg Stumble Delicious MySpace Yahoo Google Reddit Mixx LinkedIN FriendFeed

Blogger

Soyez le premier à commenter cet article !

Enregistrer un commentaire