Le Port de l'angoisse, de Howard Hawks (1944) * * * * *

L'action se passe à la Martinique, à Fort-de-France, en 1940. Un seul décor : l'Hôtel Marquis où vit un monde interlope, déboussolé. Arrivées, départs, présence obligée faute d'argent pour repartir... La Seconde guerre mondiale en est la cause mais Hawks n’en parle guère. « Les gens que je montre, dit-il, ne dramatisent pas les grandes situations, ils les mettent en sourdine. »...

C’est si vrai que la présence de Lauren Bacall, qui va enflammer avec une allumette le cœur d’Humphrey Bogart, illumine le film de sa beauté, de sa classe, de sa sensualité fulgurante. Et pourtant la guerre fait rage « en sourdine ». Chacun se méfie de l’autre : résistant ? Collabo ? …ou simple client de l’hôtel, perdu dans le flot de la foule hésitante ? Point de repère dans cette marée humaine : Humphrey Bogart autour duquel le monde s’organise. « Poings de fer, cœur d’or », ce célibataire endurci suscite une amitié à la vie à la mort, celle du grand Walter Brennan, bougon et alcoolique, mais toujours là en cas de coup dur. Et l’on pense irrésistiblement à Rio Bravo du même Hawks, qui tissera 14 ans après, soit en 1959, les mêmes relations entre John Wayne et Walter Brennan : une amitié bourrue et solide, une fraternité virile.

De même entre John Wayne et Angie Dickinson, on retrouve les mêmes relations ambiguës, difficiles, pleines d’un humour grinçant et de sensualité qu’entre Harry et Slim (petit nom gentiment moquer que Bogart donne à Bacall mince comme une liane). Angie Dickinson comme Lauren Bacall sont d’une fabuleuse beauté. Elles sont fragilisées car de passage et sans argent. Et toutes deux finiront par faire craquer le ténébreux solitaire, (Humphrey Bogart ou John Wayne) au sourire désabusé mais au cœur d’or.

La mise en scène très rythmée s’incorpore au récit. Hawks donne l’impression de faire court ; et pourtant tout est dit : un regard, un sourire, la fumée d’une cigarette (première apparition de Bacall, magnifique dans son tailleur à petits carreaux aux larges épaules et à la taille de guêpe demandant du feu à Bogart), un piano, une chanson « Sommes-nous faits l’un pour l’autre… » et cela suffit. Harry Morgan s’engagera dans la Résistance pour les beaux yeux de Slim, mais aussi grâce à la présence rassurante de Eddy, e c’est tous les trois qu’ils partiront… vers l’Ile du Diable ! L’amour et l’amitié veilleront sur le séduisant Bogart enfin sorti de l’inetie blasée du début du film.

Dans un noir et blanc velouté, la lumière éclaire le regard chargé de désir de Lauren Bacall « The look », la bouche sensuelle de Bogart. Le couple, qui rejouera en 1946 dans Le Grand sommeil du même Hawks, explose de beauté. Ils sont tous les deux fascinants et fascinés l’un par l’autre. (Lauren Bacall n’a que 20 ans dans ce film, Bogart 45) N’oublions pas ce cher Marcel Dalio qui, pour une fois, ne joue pas un rôle de traître. Il dirige l’ « Hôtel Marquis » et manipule habilement les uns et les autres pour ne pas avoir d’histoires. Et l’on imagine voir le « Queen Couch », le bateau de Bogart, filer à minuit dans le brouillard inquiétant de la guerre chargé de sa précieuse cargaison, les trois héros de cette aventure en vase clos. « Avez-vous été piqué par une abeille morte » demande Eddy entre deux verres, à qui veut l’entendre – on l’entend, et on en redemande...

Françoise Balazard

  • FICHE TECHNIQUE
Titre original : To Have and have not
Année : 1944
Durée : 100 minutes
Réalisateur : Howard Hawks
Scénaristes : Jules Furthman, William Faulkner
D'après le roman d'Ernest Hemingway "To Have and Have Not"
Directeur de la photographie : Sidney Hicko
Monteur : Christia Nyby
Ingénieur du son : Olivier S. Garretson
Compositeur : Franz Waxman
Costumier : Milo Anerson

  • DISTRIBUTION
Humphrey Bogart : Harry Morgan
Lauren Bacall de son vrai nom Betty Joan Perske : Marie
Walter Brennan : Eddy
Marcel Dalio : Gérard
Dan Seymour : Commissaire Renard
Walter Molnar : Paul De Bursac
Dolorès Moran : Hélène

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