La Science des rêves, de Michel Gondry * * *
Comment séduire une femme pour de bon quand on vit la moitié du temps (au moins) dans ses propres rêves ? Le sujet du nouveau film de Michel Gondry est l’occasion pour lui d’inventer un traitement original au sujet désormais classique que Nerval appelait « l’épanchement du songe dans la vie réelle ».
Burlesquement doté d’un nom français, Stéphane Miroux, un jeune homme à l’accent espagnol prononcé s’installe à Paris dans l’appartement de sa mère, et se rend sans enthousiasme à un travail décevant de maquettiste. Une jeune femme, Stéphanie, s’installe dans l’appartement d’à côté. Stéphane fait la connaissance de Stéphanie à l’occasion de son déménagement ; leur relation commence par quelques mensonges ; entre autres, il lui cache qu’il est son voisin. Et si la première fois, il ne la trouva pas franchement laide, c’est que la phrase était déjà prise par Aragon.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, La Science des rêves semble le pendant presque parfait du récent Tideland de Terry Gilliam. Cette assertion peut paraître provocatrice : autant le film du cinéaste américain provoquait sciemment le malaise, autant celui de Michel Gondry est une comédie à mettre entre toutes les mains.
Tous deux pourtant travaillent la même idée : celle d’une confusion entre l’enfance et l’âge adulte, et l’utopie, pourtant impossible, d’une relation sentimentale dégagée de la sexualité. Et tous deux traitent ce thème à travers l’évasion du personnage principal dans des fantasmes (oniriques ou ludiques selon le film) confondus avec la réalité. Seulement, autant Terry Gilliam jouait avec les tabous moraux en mettant en scène une enfant de onze ans au comportement déchiré entre innocence puérile et maturité apparente, autant Michel Gondry s’attache à des personnages adultes développant des comportements enfantins, de façon certes névrotique mais absolument inoffensive.
La Science des rêves raconte une histoire d’amour dont le caractère principal est un déni conscient de la sexualité. Stéphane et Stéphanie inventent une relation étrange basée sur l’échange permanent entre leurs créativités, leurs imaginations, qu’ils ont fertiles, surtout, semble-t-il, Stéphane dont le film suit le point de vue. La sexualité n’est évoquée que dans l’optique d’une profanation de cette relation, à travers le personnage de Guy, collègue de travail de Stéphane, à l’activité hormonale débordante, et qu’Alain Chabat (judicieux choix de distribution) garantit contre l’antipathie du spectateur — et, dans l’avant-dernière scène du film, par les propos blessants de Stéphane, qui se réfugie un temps dans la politique de la terre brûlée. Il s’agit pour Gondry de promouvoir une rencontre de purs esprits, enfantine dans la mesure où la sexualité n’appartient pas encore au domaine conscient des personnages. Il s’agit non pas de dénier son importance, mais de se réfugier carrément dans l’utopie de sentiments antérieurs à la découverte de la différence des sexes (et Stéphane d’être considéré par la concierge comme « presque un homme »). Gondry joue ainsi de l’androgynéité supposée de Charlotte Gainsbourg, dont le personnage se voit deux fois attribuer un « pénis » par Stéphane. Les rôles secondaires sont contaminés puisque Guy présente plaisamment Martine (Aurélia Petit) et Serge (Sacha Bourdo) comme un couple de « pédés ».
Si La Science des rêves nous semble supérieur à Tideland, ce n’est donc pas sur le plan de la lucidité du regard porté sur la nature humaine. Mais là où Terry Gilliam, au tempérament d’artiste sans concessions, étale un style péniblement insistant, Michel Gondry se livre à un éloge bienvenu du bricolage. Les effets spéciaux qui rendent compte des rêves de Stéphane sont, d’un bout à l’autre du film, ostensiblement bricolés : jamais Gondry ne cache la nature de ses effets spéciaux, qui évoquent le cinéma d’amateurs. Le scénario les désigne en tant que tels (il est spécifié par le dialogue que l’eau est représentée par de la cellophane), et Gondry varie l’esthétique des rêves de Stéphane en montrant qu’il est capable de tirer parti d’un décor naturel. Si l’auteur de Human nature quitte Hollywood pour la première fois, c’est d’ailleurs pour s’inscrire, de façon explicite, dans l’économie stylistique traditionnelle du cinéma français : extérieurs parisiens, appartements étroits et caméra portée. Si le film représente le monde intérieur de Stéphane, le cinéaste renonce à toute velléité de déploiement technologique pour signifier cette subjectivité — les séquences de « Stéphane TV », représentation possible du cerveau du héros, tapissé de boîtes d’œufs aux qualités d’isolation phonique bien connues, mériteraient à ce titre un ample commentaire. Cette quotidienneté généralisée permet à Michel Gondry d’effacer systématiquement les frontières entre le rêve et la réalité. Les réveils de Stéphane sont souvent à peine plus crédibles parfois que ses songes (quelle est la probabilité, quand vous avez rêvé de ski, de vous réveiller les pieds dans le congélateur ?). C’est là l’originalité d’un film qui déclare la guerre à « l’organisation ». La justesse de l’observation des malentendus qui peuvent surgir entre un homme et une femme, la vivacité imprévisible de Gael Garcia Bernal et Charlotte Gainsbourg, idéale girl next door, rendent véritablement touchant une oeuvre dont la structure remarquablement complexe semble, au fond, masquer la candeur.
Année : 2005 (production), 2006 (sortie en salles)
Pays : Grande-Bretagne / France
Durée : 1h45
Scénariste et réalisateur : Michel Gondry
Producteur : Georges Bermann
Coproducteur : Frédéric Junqua
Directeur de la photographie : Jean-louis Bompoint
Musique originale : Jean-michel Bernard
Montage : Juliette Welfling
Animations : Valérie Pirson, Eric Montchaud, Cédric Mercier
Décors : Pierre Pell, Stéphane Rosenbaum
Costumes : Florence Fontaine
Son : Jean Gargonne, Dominique Gaborieau
Premier assistant réalisateur : Bertrand Delpierre
Distributeur : Gaumont Columbia Tristar Films France
Stéphanie : Charlotte Gainsbourg
Guy : Alain Chabat
Christine Miroux : Miou-miou
Zoé : Emma De Caunes
Martine : Aurélia Petit
Serge : Sacha Bourdo
Mr. Pouchet : Pierre Vaneck
Sylvain : Stéphane Metzger
Gérard : Alain De Moyencourt
Mr. Persinnet : Inigo Lezzi
Ivana : Yvette Petit
Le policier pianiste : Jean-michel Bernard
Burlesquement doté d’un nom français, Stéphane Miroux, un jeune homme à l’accent espagnol prononcé s’installe à Paris dans l’appartement de sa mère, et se rend sans enthousiasme à un travail décevant de maquettiste. Une jeune femme, Stéphanie, s’installe dans l’appartement d’à côté. Stéphane fait la connaissance de Stéphanie à l’occasion de son déménagement ; leur relation commence par quelques mensonges ; entre autres, il lui cache qu’il est son voisin. Et si la première fois, il ne la trouva pas franchement laide, c’est que la phrase était déjà prise par Aragon.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, La Science des rêves semble le pendant presque parfait du récent Tideland de Terry Gilliam. Cette assertion peut paraître provocatrice : autant le film du cinéaste américain provoquait sciemment le malaise, autant celui de Michel Gondry est une comédie à mettre entre toutes les mains.
Tous deux pourtant travaillent la même idée : celle d’une confusion entre l’enfance et l’âge adulte, et l’utopie, pourtant impossible, d’une relation sentimentale dégagée de la sexualité. Et tous deux traitent ce thème à travers l’évasion du personnage principal dans des fantasmes (oniriques ou ludiques selon le film) confondus avec la réalité. Seulement, autant Terry Gilliam jouait avec les tabous moraux en mettant en scène une enfant de onze ans au comportement déchiré entre innocence puérile et maturité apparente, autant Michel Gondry s’attache à des personnages adultes développant des comportements enfantins, de façon certes névrotique mais absolument inoffensive.
La Science des rêves raconte une histoire d’amour dont le caractère principal est un déni conscient de la sexualité. Stéphane et Stéphanie inventent une relation étrange basée sur l’échange permanent entre leurs créativités, leurs imaginations, qu’ils ont fertiles, surtout, semble-t-il, Stéphane dont le film suit le point de vue. La sexualité n’est évoquée que dans l’optique d’une profanation de cette relation, à travers le personnage de Guy, collègue de travail de Stéphane, à l’activité hormonale débordante, et qu’Alain Chabat (judicieux choix de distribution) garantit contre l’antipathie du spectateur — et, dans l’avant-dernière scène du film, par les propos blessants de Stéphane, qui se réfugie un temps dans la politique de la terre brûlée. Il s’agit pour Gondry de promouvoir une rencontre de purs esprits, enfantine dans la mesure où la sexualité n’appartient pas encore au domaine conscient des personnages. Il s’agit non pas de dénier son importance, mais de se réfugier carrément dans l’utopie de sentiments antérieurs à la découverte de la différence des sexes (et Stéphane d’être considéré par la concierge comme « presque un homme »). Gondry joue ainsi de l’androgynéité supposée de Charlotte Gainsbourg, dont le personnage se voit deux fois attribuer un « pénis » par Stéphane. Les rôles secondaires sont contaminés puisque Guy présente plaisamment Martine (Aurélia Petit) et Serge (Sacha Bourdo) comme un couple de « pédés ».
Si La Science des rêves nous semble supérieur à Tideland, ce n’est donc pas sur le plan de la lucidité du regard porté sur la nature humaine. Mais là où Terry Gilliam, au tempérament d’artiste sans concessions, étale un style péniblement insistant, Michel Gondry se livre à un éloge bienvenu du bricolage. Les effets spéciaux qui rendent compte des rêves de Stéphane sont, d’un bout à l’autre du film, ostensiblement bricolés : jamais Gondry ne cache la nature de ses effets spéciaux, qui évoquent le cinéma d’amateurs. Le scénario les désigne en tant que tels (il est spécifié par le dialogue que l’eau est représentée par de la cellophane), et Gondry varie l’esthétique des rêves de Stéphane en montrant qu’il est capable de tirer parti d’un décor naturel. Si l’auteur de Human nature quitte Hollywood pour la première fois, c’est d’ailleurs pour s’inscrire, de façon explicite, dans l’économie stylistique traditionnelle du cinéma français : extérieurs parisiens, appartements étroits et caméra portée. Si le film représente le monde intérieur de Stéphane, le cinéaste renonce à toute velléité de déploiement technologique pour signifier cette subjectivité — les séquences de « Stéphane TV », représentation possible du cerveau du héros, tapissé de boîtes d’œufs aux qualités d’isolation phonique bien connues, mériteraient à ce titre un ample commentaire. Cette quotidienneté généralisée permet à Michel Gondry d’effacer systématiquement les frontières entre le rêve et la réalité. Les réveils de Stéphane sont souvent à peine plus crédibles parfois que ses songes (quelle est la probabilité, quand vous avez rêvé de ski, de vous réveiller les pieds dans le congélateur ?). C’est là l’originalité d’un film qui déclare la guerre à « l’organisation ». La justesse de l’observation des malentendus qui peuvent surgir entre un homme et une femme, la vivacité imprévisible de Gael Garcia Bernal et Charlotte Gainsbourg, idéale girl next door, rendent véritablement touchant une oeuvre dont la structure remarquablement complexe semble, au fond, masquer la candeur.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- LIENS INTERNET
- FICHE TECHNIQUE
Année : 2005 (production), 2006 (sortie en salles)
Pays : Grande-Bretagne / France
Durée : 1h45
Scénariste et réalisateur : Michel Gondry
Producteur : Georges Bermann
Coproducteur : Frédéric Junqua
Directeur de la photographie : Jean-louis Bompoint
Musique originale : Jean-michel Bernard
Montage : Juliette Welfling
Animations : Valérie Pirson, Eric Montchaud, Cédric Mercier
Décors : Pierre Pell, Stéphane Rosenbaum
Costumes : Florence Fontaine
Son : Jean Gargonne, Dominique Gaborieau
Premier assistant réalisateur : Bertrand Delpierre
Distributeur : Gaumont Columbia Tristar Films France
- DISTRIBUTION
Stéphanie : Charlotte Gainsbourg
Guy : Alain Chabat
Christine Miroux : Miou-miou
Zoé : Emma De Caunes
Martine : Aurélia Petit
Serge : Sacha Bourdo
Mr. Pouchet : Pierre Vaneck
Sylvain : Stéphane Metzger
Gérard : Alain De Moyencourt
Mr. Persinnet : Inigo Lezzi
Ivana : Yvette Petit
Le policier pianiste : Jean-michel Bernard
4 Commentaires
9 juin 2008 à 22:31
Accrochez-vous à la poésie et aux envolées oniriques du film si vous ne voulez pas sombrer dans les flots narcissiques dun adulte obsédé et immature !
__________________
Plongés dans un univers onirique et régressif, nos deux héros avancent, lun vers lautre, comme deux enfants qui commencent maladroitement par mensonges et moqueries avant de tomber amoureux
Je ne pense pas que leur histoire se caractérise par un déni conscient de la sexualité. Il me semble que la sexualité infantile se trouve au coeur de lhistoire, elle nest pas déniée mais plutôt inaccomplie et, par conséquent, en voie de développement : elle opère sournoisement dans l'inconscient de Stéphane
[En avant pour une séance d'interprétation psychanalytique qui vaut ce qu'elle vaut. Hardi petit !]
Gondry esquisse deux phases essentielles du développement sexuel infantile :
- le stade anal avec la ville construite en rouleaux de papier toilette et l'attachement obsessionnel aux objets
- le stade phallique et la différence des sexes avec la question de la possession/non possession du pénis et la confusion des sexes (qui renvoie à la bisexualité inhérente à tous les êtres humains), accentuée dans le film par le choix des prénoms Stéphane et Stéphanie...
Petite hypothèse concernant le stade phallique : nous pouvons penser que, dans La Science des rêves, la main symbolise le phallus(non pas en tant qu'organe génital mais en tant que « signifiant du désir ») :
- Primo : Stéphane est graphiste : il fait donc un travail principalement manuel
- Au début du film, il rêve que ses mains deviennent géantes, symbole de son désir de toute-puissance et du débordement pulsionnel qui l'habite (oh le vilain jeu de mot)
- Ensuite il se blesse la main lorsqu'il rencontre Stéphanie = symbole de la castration liée à l'accomplissement du désir et à la culpabilité qu'il engendre
- Ensuite, Zoé le soigne : il s'éprend delle. Logique.
- Puis Stéphanie prend le relais, Stéphane choisit alors Stéphanie. (son alter ego, son petit autre féminin)
- Plus tard, Stéphane dit aimer Stéphanie parce qu'elle "construit des choses avec ses mains"
- Enfin, ensemble ils se découvrent par des jeux « érotiques » à base de tripotage de mains aisément interprétables.
Si les mains semblent symboliser le phallus, nous pouvons penser que Guy, ce personnage libidineux et frustré, symbolise les pulsions sexuelles dans toute leur splendeur
Il est cette petite voix qui pousse Stéphane à passer à lacte et à satisfaire ses pulsions sexuelles...
Outre la relation infantile de soumission qui unit Stéphane à sa mère, nous retrouvons dans le film le thème de la toute puissance infantile : Stéphane gère le temps avec sa machine à remonter le temps, il gère le monde en rêvant de sa propre ville dont il est le seul maître, enfin il gère (comme il peut) ses pulsions en sautant sur tout ce qui bouge pourvu que ce soit une femme (cest à dire un objet sexuel suffisamment satisfaisant)
Logiquement, donc, Stéphane cherche à satisfaire ses pulsions sexuelles et agressives (dans ses rêves il tringle la secrétaire sur la photocopieuse, jette son patron par la fenêtre et met son bureau sans dessus dessous ; dans la réalité il embrasse une jeune femme à une soirée, déclare crûment à Stéphanie qu'il veut voir ses seins et lui parle de pénis, il gifle Guy et saute sur Stéphanie pour l'embrasser)
En définitive, nous pouvons aisément affirmer que notre héros est un pervers polymorphe narcissique et frustré, comme tous les ptits morveux de 5 ans (l'âge mental de Stéphane).
Plus sérieusement Malgré une première partie ennuyeuse et des effets dhumour ratés, La Science des rêves est un film intéressant qui nous emmène dans les rouages de l'appareil psychique.
Les animations, principalement en stop-motion, sont fabuleuses : on retrouve dailleurs dans l'équipe des animateurs la talentueuse Valérie Pirson, réalisatrice dun court métrage, Pistache, récompensé notamment au festival dAuch en 2005.
Petit plus : le choix de la très belle chanson Coutances, de Dick Annegarn... :oD
9 juin 2008 à 22:35
Merci Judith pour ce lien vers le film de Valérie Pirson: une vraie petite merveille !
En échange, un autre lien vers un film charmant, entre Gondry et Mystère de la chambre jaune des Poda:
http://www.youtube.com/watch?v=Q5nmspVOz_Y
9 juin 2008 à 22:35
Au bout du compte, nous ne sommes pas forcément en désaccord... J'ai peut-être parlé un peu vite de "déni", probablement en confondant Gondry et son Stéphane...
Si Gondry sait évidemment que les enfants ne naissent pas dans les choux et les roses, Stéphane ne s'en doute guère. Certes, il finit par parler crûment à Stéphanie mais se fait recevoir froidement et n'insiste guère. Et la sexualité reste du domaine du rêve, ou de l'acte manqué (la blessure à la main). Le désir reste inadmissible.
Cinq ans d'âge mental me semble une bonne et professionnelle mesure !...
9 juin 2008 à 22:36
En définitive, nous pouvons dire que "La Science des rêves" est davantage un film de frustration qu'un film d'amour.
Enregistrer un commentaire