Le Grand Meaulnes, de Jean-Daniel Verhaeghe * *

Spécialiste des adaptations littéraires, qui lui ont valu de nombreux lauriers télévisuels, Jean-Daniel Verhaeghe n’avait pas tourné pour le grand écran depuis son premier film, il y a trente-cinq ans. Adaptant Le Grand Meaulnes, le roman d’Alain-Fournier qui fait partie intégrante de notre imaginaire sur l’adolescence, il y effectue un retour en demi-teinte, faute d’imposer une vision personnelle.

Fils d’un instituteur solognot, François Seurel fait la connaissance d’Augustin Meaulnes, un jeune garçon plus âgé que lui, devenu le pensionnaire de ses parents. Meaulnes fait un jour une fugue ; à son retour, il raconte à François son arrivée dans une étrange fête, et sa rencontre avec la belle Yvonne de Galais et son mélancolique frère Frantz. Les deux jeunes gens tâchent de retrouver le manoir où Meaulnes avait assisté à cette fête, mais sans succès.

Deux mondes se rencontrent ainsi au début du Grand Meaulnes, deux mondes et potentiellement deux rythmes : celui de la chronique paysanne, et celui du romanesque et de la poésie, sous l’évidente et réjouissante influence de Nerval. Jean-Daniel Verhaeghe excelle à les caractériser : monde diurne et monde nocturne, deux côtés d’un même miroir ou d’un même plan d’eau ; il fait du monde d’Yvonne de Galais celui du rêve, et laisse espérer que se croiseront tout au long du film les deux fils du réalisme et de la fantaisie. Par la suite, cependant, c’est la succession d’événements de la chronique qui prendra le dessus ; l’ouverture à tous les possibles de la fête (une rencontre décisive aussi bien qu’un suicide évité) a disparu ; Jean-Daniel Verhaeghe et Jean Cosmos, qui ont choisi de transposer le roman des années 1890 aux années 1910, pour faire écho à la fin de son créateur (tué dans les premiers combats de la grande guerre), croient manifestement plus au déterminisme historique et social qu’à l’inspiration poétique.

C’est très explicitement ce que raconte le film — où la fête apparaît comme un paradis perdu — et pourquoi pas ? L’ennui, c’est que Jean-Daniel Verhaeghe, malgré la vivacité de l’ensemble, et de vraies trouvailles dans la mise en scène des rapports des personnages dans une scène donnée, ne parvient pas à maintenir une tension dramatique importante au sein du rythme égal de la chronique, et que toute transfiguration poétique disparaît peu à peu (si l’on excepte la beauté des paysages de Sologne, et de délicates références à la peinture impressionniste, notamment dans la scène du canotage entre Meaulnes et Valentine). Or pour montrer l’échec de l’idéalisme, il ne fallait pas l’exténuer. La seule scène dotée d’une vraie consistance, dans la seconde partie du film, est celle, longue, tendue, subtile, du retour de Meaulnes au château, mais tel quel, tout l’épisode de Valentine est cousu de fil blanc : parce que la jeune femme n’est jamais une rivale crédible d’Yvonne, faute d’être élue par la mise en scène, le rebondissement qu’elle apporte est très prévisible. Le film est également desservi par une interprétation digne mais pâlotte, même de la part de Marielle, Torreton ou Emilie Dequenne qui savent être explosifs ; souci supplémentaire, la difficulté de représenter des adolescents sur une durée de quatre ans : Nicolas Duvauchelle (Meaulnes) est trop âgé au début, et Jean-Baptiste Maunier (François) bien trop jeune à la fin, voire ridicule avec sa fausse moustache et sa voix haut perchée.

Autre défaut, très mineur mais peut-être significatif : Jean-Daniel Verhaeghe semble reculer devant la représentation de la violence et de la mort, gaffes techniques et choix de mise en scène semblant se confondre. Un personnage censé frôler la noyade nage manifestement comme un poisson ; lorsque tel autre meurt et qu’on transporte son corps dans les escaliers, le plan est coupé — ou ai-je rêvé ? — après qu’on l’ait vu remuer la main ; dans le dernier plan, de façon très explicite, Verhaeghe a choisi de montrer un troisième mourant et non pas mort.

Ne serait-ce pas là le symptôme, plus ou moins conscient, d’une crainte de se mesurer vraiment à la folie et à la mort qui sont au cœur de cette histoire ?

Etienne Mahieux

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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h40
Date de sortie : 04 Octobre 2006
Scénario : Jean Cosmos, Jean-Daniel Verhaeghe
D’après le roman de : Henri Alain-Fournier
Assistant réalisateur : Ferdinand Verhaeghe
Production : Pascal Houzelot
Décors : Emile Ghigo
Photographie : Yves Lafaye
Son : Jean Dubreuil, Gérard Lamps
Montage : Dominique Faysse
Musique : Philippe Sarde

  • DISTRIBUTION
François Seurel : Jean-Baptiste Maunier
Augustin Meaulnes : Nicolas Duvauchelle
M. Seurel : Philippe Torreton
M. de Galais : Jean-Pierre Marielle
Yvonne de Galais : Clémence Poésy
Valentine : Emilie Dequenne
Frantz de Galais : Malik Zidi
Millie : Valérie Stroh
L’oncle Florentin : Pascal Elso
Mme Meaulnes : Florence Thomassin
L’horloger : Roger Dumas
Le recteur : Pierre Vernier
La cuisinière : Rose Thiéry
La grand-mère : Andrée Damant

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