Le Parfum : histoire d’un meurtrier, de Tom Tykwer * *
« Au XVIIIe siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables. C’est son histoire qu’il s’agit de raconter ici. » Patrick Süskind introduit ainsi, à l’ouverture de son roman Le Parfum, le personnage de Jean-Baptiste Grenouille, dont Tom Tykwer s’est respectueusement emparé.
Fils d’une poissonnière qui le laisse pour mort sous son étal, Jean-Baptiste Grenouille possède un double et étonnant caractère : doté de l’odorat le plus subtil, il est lui-même totalement dépourvu d’odeur. Fasciné par le monde des parfums, il parvient à entrer au service du parfumeur Giuseppe Baldini, à qui il demande de lui transmettre ses secrets. Son but : parvenir à extraire, distiller et conserver le parfum le plus enivrant du monde, celui des jeunes filles.
Adapter le roman de Süskind relevait du défi, puisque le cinéma pas plus que la littérature ne peut solliciter directement notre odorat ; aussi, tant que le regretté Stanley Kubrick fut de ce monde, le romancier refusa d’en confier l’adaptation à quiconque d’autre. Il a pourtant fini par autoriser Tom Tykwer (Cours, Lola, cours) à s’inspirer de son œuvre, sous la houlette du producteur Bernd Eichinger, déjà responsable d’une fameuse opération du même ordre, Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud.
Impossible de faire le moindre reproche au cinéaste quant à sa maîtrise technique ; tous les fastes du cinéma populaire sont ici déployés et plutôt maîtrisés : distribution anglophone (avec un Dustin Hoffman en roue libre), reconstitution historique inventive, qui n’hésite pas à proposer une ample vision de Paris au XVIIIe siècle, effets spéciaux employés à des fins spectaculaires (l’effondrement d’une maison) ou narratives (comment représenter la puissance de l’odorat de Grenouille ?), et une certaine ampleur romanesque, qui empêche tout ennui au long des deux heures vingt-sept du film, sont à mettre à son crédit. Tykwer emploie tous les moyens à sa disposition avec de véritables trouvailles. L’affrontement à distance entre Grenouille et Antoine Richis, le seul homme qui entrevoie son véritable but et quelques parcelles de sa personnalité, prend véritablement corps.
Sa fidélité à la lettre du roman de Süskind n’est guère en cause. Le cinéaste ne censure jamais la misanthropie du romancier, et va jusqu’au bout de l’idée qui consiste à faire de Grenouille un Christ blasphématoire, dont le pouvoir ne capitule que devant l’irréversibilité de la mort. L’un des motifs du roman est cependant négligé : l’absence d’odeur personnelle de Grenouille, sujet de quelques épisodes supprimés par le scénario, et qui n’est mentionnée que tardivement et en passant. C’est fort dommage : sans que son talent personnel soit en cause, Ben Whishaw échoue à faire de Grenouille un paria. Il est trop beau pour cela, avec un faux air de Melvil Poupaud, or Tykwer n’avait pas quarante solutions : pour suggérer l’odorat, il lui fallait passer par la vue. Une fois la part faite d’une enfance difficile, on se demande bien pourquoi le Grenouille du film ne va pas tout simplement faire la cour aux jeunes filles au lieu d’extraire leur parfum par des moyens artisanaux mais mortels. Non prémédité, demi-conscient, mais volontaire chez Süskind, son premier meurtre se rapproche d’ailleurs ici de l’accident.
De façon générale, Tykwer se raccroche trop au style « international », en fait hollywoodien, et à ses figures codifiées pour accéder à une vraie sensualité, qui rendrait plus troublante la monstrueuse quête de beauté de Jean-Baptiste Grenouille. Il est à son meilleur lorsqu’il tire parti de décors naturels et d’observations justes (charcuterie, poissons salés et tapenade au menu d’une auberge provençale), ou lorsqu’il montre les gestes de l’enfleurage comme une prémonition de la collection de parfums du héros, plutôt que dans les scènes d’intérieur et les décors urbains — notamment celui de Paris — qui ne sentent que l’odeur du studio. Une exception : la scène, centrale et c’est tant mieux, du premier meurtre, bâtie sur le cadre et sur la lumière, et qui dilate soudain le rythme du film. A cette exception près, et pour efficace qu’elle soit, la mise en scène est dépourvue de finesse. A peu près tous les films en costumes sortis de Hollywood ces deux dernières décennies comportent des séries d’inserts sur des objets divers, généralement dans le seul but de faire admirer la minutie de l’accessoiriste et des costumiers. La figure est usée et ne saurait suffire à rendre compte du monde d’odeurs où vit Jean-Baptiste. De même, on attend pendant longtemps le premier plan qui ne soit pas composé symétriquement autour le personnage central, de face ou de dos, au milieu de l’écran, et les effets de ponctuation sont pesants. Lorsque Jean-Pierre Jeunet nimbe de lumière l’aveugle qui traverse la rue dans Amélie Poulain, c’est parodique, et l’on rit. Ici, c’est parfois très sérieux… Composée en partie par Tykwer lui-même, la musique est envahissante.
Nous nous retrouvons donc face à une histoire en soi fascinante, et bien menée, mais que Tom Tykwer a échoué à faire vraiment sienne et à rendre proprement cinématographique.
Titre original : Perfume : The Story of a murderer
Durée : 2h27
Date de sortie : 4 octobre 2006
Scénario : Andrew Birkin, Bernd Eichinger, Tom Tykwer
D’après le roman de : Patrick Süskind
Production : Bernd Eichinger, Samuel Hadida, Gigi Oeri
Décors : Uli Hanisch
Chorégraphie des scènes de foule : La Fura dels Baus
Photographie : Frank Griebe
Son : Stefan Busch, Frank Kruse
Montage : Alexander Berner
Musique : Reinhold Heil, Johnny Klimek, Tom Tykwer
Antoine Richis : Alan Rickman
Giuseppe Baldini : Dustin Hoffman
Laura Richis : Rachel Hurd-Wood
La jeune fille aux prunes : Karoline Herfurth
Mme Gaillard : Sian Thomas
Mme Arnulfi : Corinna Harfouch
Jeanne : Sara Forestier
Narrateur : John Hurt (V.O.), Jacques Perrin (V.F.)
Fils d’une poissonnière qui le laisse pour mort sous son étal, Jean-Baptiste Grenouille possède un double et étonnant caractère : doté de l’odorat le plus subtil, il est lui-même totalement dépourvu d’odeur. Fasciné par le monde des parfums, il parvient à entrer au service du parfumeur Giuseppe Baldini, à qui il demande de lui transmettre ses secrets. Son but : parvenir à extraire, distiller et conserver le parfum le plus enivrant du monde, celui des jeunes filles.
Adapter le roman de Süskind relevait du défi, puisque le cinéma pas plus que la littérature ne peut solliciter directement notre odorat ; aussi, tant que le regretté Stanley Kubrick fut de ce monde, le romancier refusa d’en confier l’adaptation à quiconque d’autre. Il a pourtant fini par autoriser Tom Tykwer (Cours, Lola, cours) à s’inspirer de son œuvre, sous la houlette du producteur Bernd Eichinger, déjà responsable d’une fameuse opération du même ordre, Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud.
Impossible de faire le moindre reproche au cinéaste quant à sa maîtrise technique ; tous les fastes du cinéma populaire sont ici déployés et plutôt maîtrisés : distribution anglophone (avec un Dustin Hoffman en roue libre), reconstitution historique inventive, qui n’hésite pas à proposer une ample vision de Paris au XVIIIe siècle, effets spéciaux employés à des fins spectaculaires (l’effondrement d’une maison) ou narratives (comment représenter la puissance de l’odorat de Grenouille ?), et une certaine ampleur romanesque, qui empêche tout ennui au long des deux heures vingt-sept du film, sont à mettre à son crédit. Tykwer emploie tous les moyens à sa disposition avec de véritables trouvailles. L’affrontement à distance entre Grenouille et Antoine Richis, le seul homme qui entrevoie son véritable but et quelques parcelles de sa personnalité, prend véritablement corps.
Sa fidélité à la lettre du roman de Süskind n’est guère en cause. Le cinéaste ne censure jamais la misanthropie du romancier, et va jusqu’au bout de l’idée qui consiste à faire de Grenouille un Christ blasphématoire, dont le pouvoir ne capitule que devant l’irréversibilité de la mort. L’un des motifs du roman est cependant négligé : l’absence d’odeur personnelle de Grenouille, sujet de quelques épisodes supprimés par le scénario, et qui n’est mentionnée que tardivement et en passant. C’est fort dommage : sans que son talent personnel soit en cause, Ben Whishaw échoue à faire de Grenouille un paria. Il est trop beau pour cela, avec un faux air de Melvil Poupaud, or Tykwer n’avait pas quarante solutions : pour suggérer l’odorat, il lui fallait passer par la vue. Une fois la part faite d’une enfance difficile, on se demande bien pourquoi le Grenouille du film ne va pas tout simplement faire la cour aux jeunes filles au lieu d’extraire leur parfum par des moyens artisanaux mais mortels. Non prémédité, demi-conscient, mais volontaire chez Süskind, son premier meurtre se rapproche d’ailleurs ici de l’accident.
De façon générale, Tykwer se raccroche trop au style « international », en fait hollywoodien, et à ses figures codifiées pour accéder à une vraie sensualité, qui rendrait plus troublante la monstrueuse quête de beauté de Jean-Baptiste Grenouille. Il est à son meilleur lorsqu’il tire parti de décors naturels et d’observations justes (charcuterie, poissons salés et tapenade au menu d’une auberge provençale), ou lorsqu’il montre les gestes de l’enfleurage comme une prémonition de la collection de parfums du héros, plutôt que dans les scènes d’intérieur et les décors urbains — notamment celui de Paris — qui ne sentent que l’odeur du studio. Une exception : la scène, centrale et c’est tant mieux, du premier meurtre, bâtie sur le cadre et sur la lumière, et qui dilate soudain le rythme du film. A cette exception près, et pour efficace qu’elle soit, la mise en scène est dépourvue de finesse. A peu près tous les films en costumes sortis de Hollywood ces deux dernières décennies comportent des séries d’inserts sur des objets divers, généralement dans le seul but de faire admirer la minutie de l’accessoiriste et des costumiers. La figure est usée et ne saurait suffire à rendre compte du monde d’odeurs où vit Jean-Baptiste. De même, on attend pendant longtemps le premier plan qui ne soit pas composé symétriquement autour le personnage central, de face ou de dos, au milieu de l’écran, et les effets de ponctuation sont pesants. Lorsque Jean-Pierre Jeunet nimbe de lumière l’aveugle qui traverse la rue dans Amélie Poulain, c’est parodique, et l’on rit. Ici, c’est parfois très sérieux… Composée en partie par Tykwer lui-même, la musique est envahissante.
Nous nous retrouvons donc face à une histoire en soi fascinante, et bien menée, mais que Tom Tykwer a échoué à faire vraiment sienne et à rendre proprement cinématographique.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Titre original : Perfume : The Story of a murderer
Durée : 2h27
Date de sortie : 4 octobre 2006
Scénario : Andrew Birkin, Bernd Eichinger, Tom Tykwer
D’après le roman de : Patrick Süskind
Production : Bernd Eichinger, Samuel Hadida, Gigi Oeri
Décors : Uli Hanisch
Chorégraphie des scènes de foule : La Fura dels Baus
Photographie : Frank Griebe
Son : Stefan Busch, Frank Kruse
Montage : Alexander Berner
Musique : Reinhold Heil, Johnny Klimek, Tom Tykwer
- DISTRIBUTION
Antoine Richis : Alan Rickman
Giuseppe Baldini : Dustin Hoffman
Laura Richis : Rachel Hurd-Wood
La jeune fille aux prunes : Karoline Herfurth
Mme Gaillard : Sian Thomas
Mme Arnulfi : Corinna Harfouch
Jeanne : Sara Forestier
Narrateur : John Hurt (V.O.), Jacques Perrin (V.F.)
1 Commentaire
19 juin 2008 à 21:51
film super !!histoire passionante et a la fois perplexe! :)
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