Le Pressentiment, de Jean-Pierre Darroussin * * *

« Qu’est-ce-que je fous là… ? » Tels sont les premiers mots de Charles Benesteau, et tel est semble-t-il son questionnement (non)existentiel. Charles est un ancien avocat au barreau de Paris, plutôt ordinaire, doté d’une cinquantaine d’années et d’une barbe négligée. Solitaire, anonyme, il a quitté boulot, femme hystéro et quartier chic pour s’installer dans un modeste appartement parmi les « petites gens » d’un quartier populaire de la capitale.

Ermite glissant sur la vie, écrivain destiné à n’être lu que par lui-même, il va rapidement être rattrapé par le monde et va devoir malgré lui se frotter à la réalité des autres, à leurs difficultés financières, leurs conflits conjugaux, leur médisance…

Difficile ensuite de repérer le fil conducteur du film. Sans doute s’agit-il de l’histoire d’un homme banal, libéré de toute attache, qui rencontre dans la population hétéroclite de sa cour d’immeuble une gamine pré-pubère paumée, privée, elle, de tout lien, et à la recherche d’une instance paternelle protectrice et étayante. Deux solitudes qui subissent leur vie. Deux êtres déconnectés qui s’adoptent l’un l’autre, malgré les suspicions du voisinage. Mais cette histoire là n’est hélas qu’esquissée. Le Pressentiment dessine avant tout le portrait d'un personnage ordinaire et extraordinaire, que nous ne quittons pas des yeux (nombreux sont les plans serrés sur le visage gentiment ahuri de Charles…). Nous suivons sa retraite, son repli, sa solitude, sa "mise à nu", sa naïve tentative de prise de liberté, puis ses actes de générosité et son dévouement pour les vrais gens, ceux qui n’ont presque plus rien. Nous suivons ses écrits, ses pensées, son errance, lui qui n’est plus ici ni vraiment là, coincé entre deux eaux, sans place bien définie.

Malgré l’immense talent d’interprétation de Jean-Pierre Darroussin, le film reste très irrégulier, voire inabouti. Pourquoi avoir donné la parole à Charles Benesteau, alors que sa posture, son faciès, ses regards et ses pensées en voix off suffisent amplement à nourrir le personnage ? Les scènes les plus réussies (les plus « justes ») sont silencieuses et se jouent dans l’échange des regards, dans le contraste entre son mutisme à lui, et le bruit du monde environnant, entre son immobilisme iguane et le mouvement perpétuel des gens alentour. Certains éléments secondaires - voire anodins - sont trop appuyés, tandis que d’autres, assez obscurs sont mal amenés… Je ne puis bien évidemment vous en dire davantage… A vous de vous faire votre opinion (et de poster un commentaire à la suite de l’article ! Hardi petit !)

Bref, entre subtilité et maladresse, Le Pressentiment, premier long métrage de Jean-Pierre Darroussin adapté d’un roman d’Emmanuel Bove, reste un film touchant, qui aurait pu (et du !) être bien mieux, certes, mais qui vaut tout de même le détour...

Judith Delvincourt


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  • FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h 40min.
Date de sortie : 04 Octobre 2006
Réalisation : Jean-Pierre Darroussin
Scénario : Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh, d'après le roman éponyme d'Emmanuel Bove
Montage : Nelly Quettier
Photo : Bernard Cavalié
Musique : Albert Marcoeur
Maquillage : Silvia Carissoli

  • DISTRIBUTION
Charles Benesteau : Jean-pierre Darroussin
Isabelle Chevasse : Valérie Stroh
Sabrina Jozic : Amandine Jannin
Gabrielle Charmes-Aicquart : Nathalie Richard
Marc Benesteau : Hippolyte Girardot
Edith Benesteau : Laurence Roy
Edouard Benesteau : Alain Libolt
Monsieur Serrurier : Aristide Demonico
Madame Serrurier : Michèle Ernou
Farida Garibaldi : Vittoria Scognamiglio
Monsieur Garibaldi : François Monnie
Helena Jozic : Natalia Dontcheva
Thomas Jozic : Ivan Franek
Eugénie : Mbembo
Vieil homme : Maurice Chevit
Jean : Patrick Bonnel
Victor Chevasse : Lou-nil Font-ventre
Professeur Andrieu : Marc Berman
Voisine 1 : Christine Joly
Voisine 2 : Patricia Dinev
Ami cimetière : Didier Bezace
Ferdinand Benesteau : Jonathan Altmann
Voisin X : Antoine Valli
Dinah : Noémie Coquart
Femme Buttes Chaumont : Marie Bigord
Inspecteur : Thibault De Montalembert
Commissaire : Thierry Gimenez
Serveur brasserie : Mouloud Haddaden
Infirmière service réanimation : Valérie Trajanovski
Infirmière médecine générale : Sandrine De Brousse
Serveuse café St-Paul : Laurence Causse
La banquier : Patrick Sobelman
Paul et doublure Charles : Antoine Roux

  • ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE DARROUSSIN

Pourquoi avez-vous choisi d’adapter un roman d’Emmanuel Bove intitulé Le Pressentiment pour la réalisation de votre premier long métrage ?

Peut-être parce que ce livre, que j’ai lu il y a vingt ans, est resté imprimé en moi depuis. J’avais gardé le souvenir d’un récit assez mystérieux, hanté d’éléments troublants comme, par exemple, la façon dont les personnages évoluent, et notamment le héros qui parvient à s’abstraire du réel dans le sens où il ne vit pas la situation qui existe autour de lui. Il est comme sur une scène de théâtre, il y circule sans être apparemment concerné par le monde. Pour moi, la problématique traitée par Emmanuel Bove est la manière dont on ne parvient pas à comprendre, à maîtriser son existence.

Pourquoi cette problématique vous a-t-elle spécialement touché ?

Parce que je ne me sens pas totalement impliqué dans la vie. J’essaie toujours de rester dans un état d’affranchissement d’une codification trop élaborée de notre société où tout est trop standardisé, dans laquelle il faut essayer de correspondre au schéma qu’on a tenté de vous inculquer et de m’inculquer. C’est pour cette raison qu’il y a à la fin du film une réplique écrite à propos du personnage que je joue : « Il était quand même un peu spécial ». Cette phrase je l’entends souvent à mon propos.

Vous avez écrit le scénario avec Valérie Stroh, comédienne et réalisatrice, pourquoi ?

Je n’ai jamais pensé écrire seul. Je trouve bien de se confronter au point de vue de quelqu’un. Les idées naissent souvent du dialogue avec l’autre, de la façon dont on accueille quelque chose auquel on n’avait même pas pensé soi-même, comment ça nous fait rebondir et réagir. Avec Valérie Stroh, nous avons commencé par lire et relire le roman pour dégager les scènes qui nous paraissaient essentielles au déroulement de l’intrigue. Puis nous avons fait un travail d’adaptation à notre époque. Nous avons donc changé les caractères des personnages et certaines situations. Nous avons également développé la fin, qui dans le livre tient en quelques lignes, pour laisser naître toute une fantasmagorie, et une possibilité de rédemption des personnages. La fin est donc devenue autant fantasmée que réelle. C’est une mise en parallèle de la rêvasserie du personnage à travers ses pertes de conscience, avec une réalité probable, possible. Tout finit par se confondre et laisse au spectateur plusieurs possibilités.

C’est-à-dire ?

Le fait que le spectateur ne sache plus vraiment s’il est dans la réalité ou non, rejoint le propre du déroulement du film, car le héros s’abstrait aussi du réel bien que le réel cherche toujours à le rattraper et à le rendre objectif. Or ce personnage ne cherche qu’à être subjectif. Il veut être son propre sujet. En ça, LE PRESSENTIMENT est un film sur une tentative de désaliénation, une recherche de libération du fonctionnement de tout ce qui peut vous enfermer inconsciemment ou consciemment dans des schémas. Et si ce sujet m’a, comme ça, tenu sans que je le sache pendant si longtemps, si j’y suis revenu, je pense que c’est aussi parce que c’est un sujet sur le déclassement que j’ai vécu dans ma vie et à travers mon métier. Etre acteur m’a amené à savoir vraiment ce que c’est que d’être issu d’un milieu et d’aller vers un autre. Moi aussi j’ai changé de classe sociale, j’ai vécu un processus d’ascension sociale, et je ne savais pas ce que j’allais y gagner. Le héros du PRESSENTIMENT vit le contraire. Il sait ce qu’il abandonne en allant dans une classe socialement moins riche. La vie est tellement différente quand on vit dans la protection et le confort, a contrario elle est plus dure, plus âpre pour tout. La beauté par exemple fait que l’existence est beaucoup plus simple, aimable, reposante. Quand vous habitez dans un lieu avec une vue magnifique vous êtes déstressé assez naturellement, en communion avec le monde alors que lorsqu’on nage au milieu de la vulgarité, c’est beaucoup plus difficile de se dépêtrer de ses aliénations. Donc en se déclassant volontairement, le héros du PRESSENTIMENT est un véritable aventurier.

C’est aussi un personnage qui refuse de vivre selon son époque. Il n’a ni téléphone, ni ordinateur.

Le roman est écrit à une période où tout cela n’existait pas et dans la mesure où le héros lâche sa vie, il lâche aussi son époque. Et puis c’est d’abord un personnage qui n’a pas envie qu’on l’emmerde.

Pourquoi avoir déterminé physiquement votre personnage avec des cheveux et une barbe ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord parce que c’est la première fois que je réalisais un film et que lorsque je me suis décidé à jouer le rôle, ce qui n’était pas prévu au départ, l’idée de devoir me confronter à mon visage des milliers de fois lors des visionnages des rushes puis du montage était plus vivable si je me reconnaissais moins. Ensuite son origine bourgeoise m’a fait lui mettre des cheveux.

Les bourgeois ont des cheveux ?

Oui. Même si les frères de mon personnage n’en ont pas trop. Enfin la barbe et les cheveux masquent un peu mon héros, il se donne moins facilement. Son coeur qui palpite dans sa main et qu’il offre aux gens est plus mystérieux s’il est camouflé derrière une masse de cheveux que sur un visage ouvert d’entrée de jeu. Il y a quelque chose de plus trouble avec un crâne fermé et un visage camouflé.

De même il est le seul à porter une veste et une chemise pendant tout le film.

Ce sont les restes de son éducation. Et comme son propos n’est pas de renier sa famille ni ses origines, il trouve ça très bien d’avoir un costume et une chemise. C’est un homme élégant et qui tient à son élégance. Son attitude, ce retrait du monde sont une démarche de dandy. Il cherche à se démarquer, s’il portait un jean et un T-shirt il aurait aussi un portable et un ordinateur, or il est plutôt vieux jeu. Il est aussi nostalgique d’une certaine beauté, d’un certain esthétisme, d’une sophistication qu’il lâche certes mais dont il est toujours imprégné. Il ne fait pas trop de fautes de goût et même si son appartement est dépouillé, il n’utiliserait pas d’objets trop laids. Il faut qu’il y ait de la noblesse dans les éléments qui l’entourent, même si la noblesse il la voit finalement là où, en principe, on ne la voit pas, même si pour lui la noblesse n’est pas hiérarchisée.

Ce personnage pourrait-il être le personnage vieilli que vous incarniez dans MES MEILLEURS COPAINS de Jean-Marie Poiré, avec ce même recul, ce même détachement sur les préoccupations matérialistes ?

LE PRESSENTIMENT se termine sur : « Il n’y a pas mort d’homme ». (La réplique culte dite à plusieurs reprises par son personnage de Mes Meilleurs copains était : « Tant qu’il n’y a pas mort d’homme »). C’est fait exprès sans le faire exprès parce que Valérie Stroh, qui a écrit cette dernière réplique, l’a fait sans connaître MES MEILLEURS COPAINS. Donc quand elle m’a proposé ce dialogue, ça a fait immédiatement tilt dans ma tête. J’ai hésité à le garder, par pudeur, puis je me suis dit que finalement c’était un raccourci formidable. Et si ça fait une petite complicité, un clin d’oeil avec le spectateur, ce n’est pas plus mal. Car ces deux personnages possèdent effectivement le même décalage, ils ne cherchent ni l’un, ni l’autre, à imposer quoi que ce soit aux autres. Du coup ils se retrouvent être inquiétants pour les autres !

Comment s’est fait votre passage à la mise en scène ?

Concrètement l’histoire est assez simple. J’ai voulu réaliser depuis que j’ai débuté en tant qu’acteur. Quand j’étais au Conservatoire mon professeur Marcel Bluwal m’avait dit un jour : « Toi, tu finiras metteur en scène ». Mais je me suis longtemps considéré comme illégitime pour exercer ce métier-là, à cause sans doute d’un complexe issu de mes origines plus que modestes, très pauvres, ouvrières, incultes, sans aucune revendication artistique. Il n’y avait pas un livre chez moi. Je ne me sentais donc pas le tempérament de la revendication de la parole. Or être réalisateur, c’est être porte parole de quelque chose en général. Et moi je ne trouvais pas au plus profond de moi la légitimité que le monde m’appartenait suffisamment pour pouvoir prendre une part de pouvoir. Il y a des gens pour qui c’est naturel, pour moi ça ne l’est pas. Je suis plutôt empêtré avec la parole, avec le langage.

Qu’est-ce qui vous a finalement décidé à interpréter le rôle principal ?

Au départ, cela m’embêtait de jouer le rôle. J’avais envie de ce dialogue, de cette collaboration avec un acteur qui allait m’apporter son regard sur ce personnage principal. Et j’avais envie aussi de lui faire comprendre le mien. Et puis les gens qui lisaient le scénario me voyaient jouer ce rôle, mais j’ai mis du temps à m’autoriser à l’incarner.

Pourquoi démarrer le film par un gros plan sur le héros ?

Ce n’est pas un hasard si je commence par ce plan, c’est pour que l’on comprenne dès le début qu’on va être dans la tête de ce personnage. C’est de cela dont il s’agit. Il faut donc un gros plan avec une voix off. J’aime les voix off, je trouve que cela participe du lien concret avec les spectateurs. Ici la voix off est double, c’est une voix intérieure, c’est-à-dire les commentaires spontanés du héros sur ce qu’il observe, et c’est aussi le résultat, le contenu du livre qu’il écrit.

Un peu comme dans les films de Jean Renoir, ici, chaque personnage a ses raisons pour agir de façon plus ou moins généreuse. Vous avez ainsi consciemment voulu éviter tout angélisme ?

Chacun est dans sa bonne volonté. Je pense que c’est dans la nature profonde du livre. Emmanuel Bove a une certaine cruauté dans sa description de l’humanité même s’il a beaucoup d’amour et beaucoup de tendresse. Il n’a pas de jugement sur ses personnages, ils sont naïfs quant à leur bonne volonté. C’est ça qui les caractérise, la bonne volonté. C’est comme dans la vie, personne ne se prend pour quelqu’un de mauvais. Personne ne va penser qu’il est un horrible individu. Je ne connais pas un seul bourgeois qui pense qu’il est un sale type et je ne connais pas un seul prolo qui pense qu’il est une ordure. Dans le fond, les gens font au mieux et sont souvent tout à fait braves. Ils font avec ce qui leur est donné et quand ils sont méchants cela leur parait tout à fait légitime. C’est la moindre des choses. Le film essaie d’être dans cette réalité-là, que les gens n’ont pas conscience du mal qu’ils peuvent faire parce que d’abord le mal qu’ils font est tout à fait relatif, c’est du mal innocent, c’est ça qui est cruel. C’est l’innocence même qui fait du mal, la non conscience, la non façon de se mettre à la place de l’autre. Ca peut déclencher des paranoïas, on finit par s’imaginer qu’il y a des gens qui ont une volonté de nuire, mais n’importe qui, qui a une volonté de nuire, c’est pour le bonheur de l’humanité dans sa tête. Le mur est très mince entre le bonheur et l’enfer, il suffit de peu de chose. Ainsi dans le film, certains personnages sont totalement rachetés à la fin alors qu’au début ils sont odieux, mais si ils le sont c’est parce qu’ils sont en but avec leurs propres problématiques, leurs types d’éducation, leurs rigidités, bref, ils font les choses absolument au mieux. Le héros du PRESSENTIMENT, par son attitude en creux, révèle ça, révèle la stupidité des autres, leurs limites. Et les personnages principaux des romans d’Emmanuel Bove sont souvent des personnages très décevants pour les autres, qui n’apportent pas ce qu’on attend d’eux, et c’est ça qui est délicat à transformer sur le plan cinématographique.

Il y a plusieurs séquences consacrées à Paris, qui devient un personnage à part entière. Pourquoi ?

Les passages dans Paris n’existent pas dans le livre. Ce sont des visions personnelles élaborées lors de l’écriture du scénario pour y mettre des sensations intimes. Je pense qu’il est arrivé à beaucoup de gens après une nuit désastreuse et triste de voir le soleil se lever sur les quais. Par ailleurs, les personnages du PRESSENTIMENT sont dans leur errance et celle du héros est importante. Emmanuel Bove, dans un autre de ses romans, écrivait que Paris est une des seules villes au monde où il est bon d’être malheureux, le bonheur n’y est pas nécessaire. Et le propre des personnages de Bove, c’est leur malheur tranquille, savoir qu’il y a toujours en soi une palpitation que l’on ne commande pas et qui peut s’arrêter à tout instant. On a tous en nous ce savoir qu’il y a des choses qu’il va falloir abandonner à un moment donné. Pour cette raison, le héros du film va totalement dans l’abandon, vers le lâcher prise. Et en lâchant tout, il n’est plus dans le jugement, il n’a plus de position à défendre, ni de hiérarchie, il peut être aussi bien piéton, cycliste, paysan, grand bourgeois... Il essaie de ne plus avoir d’étiquette. Et échapper aux étiquettes quand on est acteur c’est quelque chose de très important.

Vous avez aussi travaillé ce premier film en y mettant des symboles, comme les inserts sur les pigeons...

C’est une image que j’avais envie de voir dans le film : des pigeons qui se disputent un bout de pain. Les pigeons pour moi correspondent à quelque chose d’assez morbide. Ils représentent une multitude. C’est un animal qui vient vivre en ville, qui est nourri sans trop savoir pourquoi par la société en récupérant des choses à droite à gauche. En même temps c’est un oiseau, c’est libre, c’est pour ça que dans le film il y a des tas d’oiseaux, des oiseaux empaillés, des perruches... On entend aussi beaucoup de chants d’oiseaux dans le film qui se déroule en été. Or l’été quand les fenêtres sont ouvertes, on entend les martinets. C’est formidable de voir des vols de martinets quand on est à Paris, de regarder comme ils s’amusent.

Y a-t-il d’autres détails personnels auxquels vous avez tenu ?

Il y a le rapport à la peinture, qui, si on ne le voit pas, du moins on en parle. C’est une référence importante dans ma vie, je vais voir de nombreuses expositions, j’ai des tas de bouquins sur la peinture chez moi, j’en ai fait et j’ai bien l’intention de peindre encore.

Avez-vous alors été particulièrement attentif aux décors, aux couleurs de votre film ?

Il fallait créer de la « non volonté », un non choix dans l’appartement où le héros désormais va vivre. Et ce n’est pas si simple. On est donc parti sur la base que mon personnage n’avait rien refait dans son appartement si ce n’est mettre des étagères pour empiler ses livres. Il n’a pas vraiment choisi l’endroit où il va habiter, il s’est soumis au hasard. Il n’a pas voulu intervenir. Il n’a aucune exigence en la matière. Il tient juste à simplement être accueillant et indulgent. Or l’indulgence est une valeur qui m’est très personnelle. L’exigence c’est bien mais l’indulgence je trouve ça mieux. C’est une valeur de vie. Je suis assez exigeant sur l’indulgence !

Qu’est-ce que cette première réalisation vous a révélé ?

D’abord j’ai compris que réaliser était un métier de grande solitude. On est vraiment seul par rapport à la vision qu’on a des choses, par rapport à la responsabilité du dosage des différents éléments du film. Et même si l’on bénéficie de la confiance, des réflexions et des compétences de tout le monde, il y a quand même des moments où l’on est très seul vis-à-vis de ses choix, mais c’est aussi ça qui est vraiment passionnant par rapport au métier de comédien. Je vois bien que je n’aurais pas pu réaliser autrement. Quand je regarde le film, je suis assez content. Il y a la fluidité que je pressentais et souhaitais dès le découpage. Il me semble qu’on ne remarque pas les mouvements de caméra et pourtant il y en a pas mal, ça bouge assez. Il y a une espèce d’abstraction de la mise en image qui me plait.

Vous avez consulté des réalisateurs comme Robert Guédiguian pour la réalisation ?

Non. Pas du tout. Mais j’ai croisé un jour, complètement par hasard, Jacques Audiard, alors que j’attaquais le montage, il m’a dit : « Ah oui, tu en es là, c’est le moment où l’on se dit : ah ce n’est que ça ». Ça correspondait exactement à ce que je ressentais au regard de mes rushes. Ça m’a rassuré. J’ai pu continuer. J’ai fait un premier montage de deux heures cinq, alors qu’aujourd’hui le film fait une heure quarante. Je coupe assez facilement, peu importe si une scène est formidable, si elle ne va pas exactement au sein du film, je l’enlève sans état d’âme. Je n’ai pas d’attachement particulier avec ça. Ce qui compte ce sont les signes que l’on envoie pour faire comprendre la narration.

Et aujourd’hui ?

Je suis dans l’attente, dans l’accueil et la curiosité même des gens qui vont être réfractaires ou pas au film. Emmanuel Bove a eu toute sa vie affaire à ça, à des gens qui adhéraient à son travail et d’autres qui trouvaient honteux d’écrire ce qu’il écrivait. Donc je ne vois pas pourquoi mon film susciterait des réactions différentes. D’ailleurs à la lecture du scénario certains me disaient : « C’est trop sinistre ». Il y a aussi des gens que cela remet trop profondément en cause dans leur attachement au fonctionnement de la société et dont l’attitude est dans le rejet. Donc je m’attends à ce qu’il y ait cela à l’arrivée, c’est dans la nature du sujet. Au Conservatoire Antoine Vitez nous disait tout le temps : « Si vous faites des oeuvres faites des oeuvres qui divisent. » C’était son credo. Ce qui n’est pas du tout dans l’époque. A l’heure actuelle c’est le contraire, tout le monde cherche à rassembler. Mais je suis d’accord avec Vitez, il faut faire des choses qui divisent, qui perturbent profondément.

C’est un film pessimiste ou optimiste ?

Les deux. C’est optimiste dans la mesure où on parle de quelqu’un qui est dans la rupture, et la rupture c’est un nouvel élan. Mais c’est pessimiste dans la mesure où c’est une impasse aussi, où cet élan n’est pas relayé, et même s’enferme sur lui-même. En même temps le film finit sur quelque chose de vital, il y a cette tranquillité de se dire que tout ça n’est pas grave. Et puis mon personnage arrive quand même à écrire, même s’il patauge un peu, même si c’est un oisif profond, il n’a comme volonté que d’écrire des poèmes qui ne seront lus par personne. Est-ce que l’existentialisme c’est pessimiste ou optimiste ? Difficile à dire. Moi je pense que mon héros est un existentialiste.

Comme vous ?

Oui, j’imagine. Et un expérimentaliste aussi, ce qui va avec. Je fais en permanence des expériences sur la vie, les rapports, la construction d’une parole.

Et que vous a permis cette nouvelle expérience ?

De constater, de me dire que ma cohérence a fini par produire, par faire exister quelque chose. J’en retiens aussi que prendre des risques dans la vie, c’est ainsi que l’on avance.



Source : dossier de presse www.bacfilms.com

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9 Commentaires

Entièrement d'accord avec cette analyse, très pertinente à mon sens.

Et hip hip hip hourra pour la première critique de la webmastrice !

Un peu courte, la critique, et pas assez de références cinématographiques.
Heureusement, la photo sauve tout. ;o)

Ce n'est pas parce qu'en ce moment je masque ma verve derrière le plaisir de me croire à nouveau à l'Université qu'il faut absolument écrire des critiques savantes qui imposent au lecteur, comme disait l'autre, l'emploi de plusieurs dictionnaires académiques. La simplicité, c'est bien aussi.

Je précise que "simplicité" ne signifie pas "vide", au contraire. La simplicité permet de comprendre le contenu d'une critique... D'une critique qui, je le répète, traduit parfaitement bien la pensée du spectateur.
Vive, donc, les critiques webmastriciennes. Et que les cousines seine-et-marnaises n'hésitent pas à se jeter à l'eau par la même occasion...

Je suis absolument d'accord avec l'honorable auteur de la précision.

Le précisé.

pas d'accord avec vos critiques...critiques!
Il faut mettre 4 étoiles !!!

C'est un film excellent, très bien cadré, très bien monté (quel velouté dans le passage d'une scène à l'autre).

Ce n'est pas l'histoire d'un homme banal. Si tous les hommes étaient banals comme lui, la terre tournerait plus rond.
Bref, c'est l'histoire d'un grand avocat, un homme exceptionnel de par sa lucidité sur le genre humain, en l'occurence le monde des grands bourgeois pleins de fric qui dans les salons font de grandes phrases sur Gustave Moreau ou Fautrier, mais ne sont que de petits laquais aux mains pleines de bagouses.

Ecoeuré de ce monde vain, il abandonne femme et enfant pour vivre au plus près possible de lui-même. Ce n'est pas un ermite (sans h) et c'est ce qui étonne car on s'attend à un repli sur lui-même; pas du tout; il lui arrive mille chose avec les gens qui l'entourent dans ce quartier populaire de Paris, Il va jusqu'au bout de ce qu'il pense être bien.
Il est naîf mais sans illusions.
et ses funérailles sont à mourir de rire, car imaginées ou réelles, elles répondent à la vision exacte de chaque personnage qui suit le corbillard, Valérie stroh toute en noir comme la veuve qu'elle aurait souhaité être etc...

Bravo pour ce grand film sensible et sensé!

si la critique est un peu courte et manque de réf cinématographique, alors là... je n'oserai jamais poster la moindre critique !!! Alors bravo chère webmastrice au site incritiquable et enthousiasmable !

Merci Sarah, pour ces beaux compliments !! :o)
N'hésite pas à écrire toi aussi des critiques, ou des brèves, je suis sûre que tu as plein de choses à dire !!!

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