Les Fils de l’homme, de Alfonso Cuarón * * * *

Le dernier bébé est né en 2009. Depuis, plus aucune grossesse n’est arrivée à terme ; et vite, plus une seule femme ne s’est retrouvée enceinte. C’est le postulat du roman de P.D. James qu’Alfonso Cuarón, cinéaste mexicain bien implanté à Hollywood (on lui doit le meilleur, d’une bonne tête, des Harry Potter), adapte ici de façon véritablement impressionnante.

Le film commence en 2027, le jour de l’assassinat de la personne la plus jeune du monde. Le chaos terroriste a liquidé la civilisation d’une planète désespérée, et les réfugiés affluent dans le seul pays à avoir maintenu ses institutions : l’Angleterre. La continuité de l’Etat est obtenue au prix d’une dictature policière, qui traque les terroristes et les clandestins. Un obscur employé, Theo Faron, est alors contacté par l’organisation clandestine des Poissons, que dirige son amour de jeunesse, Julian Taylor. Elle lui demande d’obtenir des papiers pour une mystérieuse jeune femme, que Theo se retrouve bientôt à convoyer vers la côte, où elle doit prendre un mystérieux bateau.

L’aspect passionnant du monde inventé par P.D. James et Alfonso Cuarón est qu’il est essentiellement une projection, une hyperbole du nôtre. Très logiquement, le cinéaste ne s’est pas inutilement dépensé (et son producteur lui dit merci) en décors impressionnants et en effets spéciaux inédits. Le Londres actuel, sali et maquillé, et quelques innovations technologiques, suffisent à caractériser un an 2027 où les automobiles ont toujours des roues et où l’on boit toujours du café. Le thriller cache, dans la meilleure tradition du genre, une fresque sociale, où le gouvernement met en vente des kits destinés à organiser un suicide en douceur (médicaments et musique douce). Les images de Sarajevo et de Sangatte nourrissent l’imagination de Cuarón, qui opte pour une mise en scène caméra sur l’épaule, proche du reportage, qui contribue évidemment au réalisme impressionnant de cette évocation, au prix de quelques imperfections dans les mouvements d’appareil les plus complexes. Elles se rappellent évidemment au bon souvenir d’un (petit) spectateur effaré.

Le principe de la narration, dont je me garderai bien de dévoiler les rebondissements, est en gros de ballotter le (petit) spectateur de vexation en vexation, avec un vrai sens de l’inattendu, tant dans le scénario lui-même que dans la mise en scène, qui gère les effets de surprise avec brio. Lors même que se développe une séquence au lourd angélisme (la découverte d’un petit bébé entraîne un cessez-le feu, et les soldats se mettent à genoux sur le chant suave d’une soprano), le féroce Cuarón lui invente une fin, — hélas, — lucide, qui en dévoile toute l’ironie. Très bien entouré par Julianne Moore, Claire-Hope Ashitey, Peter Mullan ou Michael Caine, Clive Owen, qui évoque François Bayrou de façon troublante, habite le film d’un air perdu : il est idéal en homme ordinaire et quelque peu cabossé.

Dans ce parcours incertain qui s’achève dans le brouillard le plus complet (et le plus britanniquement vraisemblable), Cuarón renvoie dos à dos les mouvements terroristes et les gouvernements qui ne cessent de les susciter, dans une interrogation sur la dérive des démocraties qui n’est pas sans rappeler les apories tragiques d’un autre anglais, Edward Bond. Ici, l’aporie n’est pas absolue et l’on évoque une organisation utopique qui tâcherait de reconstruire une civilisation humaine. Mais on n’en verra que la proue d’un navire.Pour apprécier pleinement Les Fils de l’homme (titre christique qui trahit l’histoire en précisant de façon indue le bien plus vague Children of men), il faut donc aimer qu’on vous gratte là où ça fait mal. La puissance du résultat justifie amplement les chatouilles, d’où l’humour n’est d’ailleurs pas exclu.


Etienne Mahieux

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  • FICHE TECHNIQUE
Titre original : Children of men
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h49
Date de sortie : 18 Octobre 2006
Scénario : Alfonso Cuarón, Timothy J. Sexton, David Arata, Mark Fergus, Hawk Ostby
D’après le roman de : P.D. James
Assistant réalisateur : Terry Needham
Production : Marc Abraham, Eric Newman, Hilary Shor, Iain Smith, Tony Smith
Décors : Jim Clay, Geoffrey Kirkland
Photographie : Emmanuel Lubezki
Son : Richard Beggs
Montage : Alex Rodriguez
Effets visuels : Frazer Churchill
Musique : John Tavener

  • DISTRIBUTION
Theo Faron : Clive Owen
Kee : Claire-Hope Ashitey
Jasper : Michael Caine
Miriam : Pam Ferris
Luke : Chiwetel Ejiofor
Julian Taylor : Julianne Moore
Patric : Charlie Hunnam
Syd : Peter Mullan
Nigel : Danny Huston

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2 Commentaires

SPLENDIDE !!!!

Bon, j'avoue... je me suis exclamée à plusieurs reprises "C'est une horreur ce film !!"
En réalité c'est un film époustouflant, magnifique, quoique TRES dur à regarder par moments (la petite spectatrice pacifiste et doudouille que je suis a du s'accrocher pour tenir jusqu'à la fin !!)
Enfin, merci Etienne pour ce beau cadeau, et merci Cuaron pour ce film bouleversant. (qui n'est pas sans me rappeler d'ailleurs l'univers de Black Moon - les fusillades dans les bois, les troupes armées omniprésentes, la guerre civile...)

Ah oui, on ne fait plus les indications d'éventuelle "dureté" du film qu'on faisait dans l'ancien P.S. à destination des jeunes générations...
En fait, c'est un film dur parce que les situations y sont dures et crédibles, ce qui est toujours beaucoup plus impressionnant que le slasher le plus sponsorisé par votre artisan boucher...

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