Ne le dis à personne, de Guillaume Canet * *

En adaptant un roman d’Harlan Coben, l’un des auteurs de thrillers les plus en vue de ces dernières années, Guillaume Canet voulait manifestement permettre au cinéma français de reconquérir le terrain perdu du cinéma de genre, policier en l’occurrence. Il y a presque réussi.

Alexandre Beck, dit Alex, est pédiatre dans un hôpital de la région parisienne. Sa femme Margot, dont il était amoureux depuis l’enfance, a été assassinée huit ans plus tôt par un tueur en série (1). Or le jour du huitième anniversaire du décès, Alex reçoit un courrier électronique, qui contient un fichier vidéo où il voit sa femme vivante. L’enquête est, au même moment, réouverte, suite à la découverte de deux nouveaux corps sur les lieux du crime. Les soupçons se portent alors sur Alex, qui choisit la fuite.

Déjà auteur de Mon idole, Guillaume Canet persiste dans la voie de la réalisation, et s’attaque au genre du thriller policier : Alex doit à la fois comprendre ce qui s’est vraiment passé huit ans auparavant, et échapper à la traque de la police qui le recherche. Canet montre une vraie maîtrise des séquences d’action, notamment avec une mémorable traversée du périphérique. Sa grande force est de n’avoir pas cédé à la surenchère ; il maintient en permanence un arrière-plan social crédible (la frontière entre Paris et sa banlieue est joliment décrite), et trouve l’équilibre entre clarté et crédibilité de l’action, sans jamais attribuer à ses personnages d’exploits invraisemblables.

Assez complexe, le récit policier est un écheveau agréable pour le spectateur. Canet a proposé nombre de rôles, fussent-ils minces (Nathalie Baye ou Jean Rochefort font un petit tour et puis s’en vont) à des acteurs connus, ou dont la silhouette, du moins, est familière — ils font fort aimablement office de signes et soulagent notre mémoire. En revanche, il fait un bon usage de la discrétion presque passe-partout de Marie-Josée Croze, que le spectateur comme le personnage croient reconnaître parfois derrière chaque inconnue qui passe.

Il s’essaye à mélanger les tons : très dramatique dès lors qu’il suit le point de vue d’Alex (ce qu’il ne fait pas toujours, ni en termes de scénario, ni en termes de mise en scène, d’où par exemple un plan dispensable de crémation vue du point de vue du cercueil), il esquisse à peine une satire sociale assez convenue des puissants qui nous gouvernent, mais s’offre en revanche de jolis personnages de comédie parmi les seconds couteaux, notamment un flic dubitatif (François Berléand) et une petite frappe dévouée (Gilles Lellouche) droit sortis d’un roman de Pennac. Le risque, évidemment, est une dispersion de l’intérêt.

Que manque-t-il alors à Ne le dis à personne ? Des personnages attachants, peut-être ; une exposition qui nous les fasse connaître, certainement. Le talent de François Cluzet, impressionnant de nervosité contrôlée, n’est certainement pas en cause, et son attachement amoureux à la disparue est palpable. Mais les autres personnages sont tellement susceptibles de faire ou d’avoir fait n’importe quoi selon les besoins de l’intrigue qu’on ne peut que difficilement croire à leurs relations.

L’exposition du film est entièrement centrée sur les relations entre Alex et Margot, que Canet tâche de faire exister en ayant recours à une tentative maladroite de lyrisme (flashes-back sur l’enfance, plans de nature, avec même la participation d’un cerf — c’est l’année du cerf). Ce que ces gens-là font dans la vie, leurs passions, leurs engagements, et qui sont les gens qu’ils connaissent, nous ne le découvrons qu’au fur et à mesure de l’enquête, même si nous avons entr’aperçu Kristin Scott Thomas ou Florence Thomassin dans la première séquence. Au bout du compte, ils n’existent donc qu’en tant que pièces du puzzle. Si Guillaume Canet réussit donc à mener son histoire tambour battant, sans jamais se départir d’une certaine crédibilité des situations, il échoue à donner à Ne le dis à personne une épaisseur humaine qui semblait, pourtant, faire partie de son projet.

(1) A ce sujet, c’est très joli, la forêt de Rambouillet, mais je voudrais qu’on m’explique comment un jeune médecin et une fille de gendarmes peuvent posséder un terrain là-bas, avec lac privé.

Etienne Mahieux

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Site officiel

  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 2h05
Date de sortie : 1er novembre 2006
Scénario : Guillaume Canet, Philippe Lefebvre
D’après le roman Tell no one de : Harlan Coben
Assistant réalisateur : Ludovic Bernard
Production : Alain Attal, Luc Besson, Pierre-Ange Le Pogam
Décors : Philippe Chiffre
Photographie : Christophe Offenstein
Montage : Hervé de Luze
Son : Pierre Gamet, Jean Goudier, Gérard Lamps
Musique : M

  • DISTRIBUTION
Alexandre Beck : François Cluzet
Elisabeth Feldman : Nathalie Baye
Eric Levkowitch : François Berléand
Docteur Dubois : Jean-Noël Brouté
Philippe Neuville : Guillaume Canet
François Beck : Philippe Canet
Capitaine Barthas : Brigitte Catillon
Martine Laurentin : Martine Chevallier
Margot Beck : Marie-Josée Croze
Jacques Laurentin : André Dussollier
Lieutenant Saraoui : Samir Guesmi
Anna Beck : Marina Hands
Philippe Meynard : Philippe Lefebvre
Bruno : Gilles Lellouche
Yaël Gonzales : Jalil Lespert
Adjudant-chef Lavelle : Jean-Pierre Lorit
Bernard Valenti : Olivier Marchal
Gilbert Neuville : Jean Rochefort
Le procureur : Eric Savin
Hélène Perkins : Kristin Scott Thomas
Charlotte Bertaud : Florence Thomassin
Le médecin-légiste : Daniel Znyk
Un homme à l’aéroport : Alain Attal
Antoinette Levkowitch : Françoise Bertin
Le père de Lucille : Christian Carion
Un inconnu à la gare : Harlan Coben
Le junkie du parking : Jérémie Covillault
Simone : Andrée Damant
L’amie de Bruno : Sara Martins
Un policier scientifique : Christophe Rossignon

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