Le Labyrinthe de Pan, de Guillermo del Toro * *

Dans l’Espagne de 1944, une fillette découvre la monstruosité de la Guerre civile et du fascisme en même temps qu’elle découvre un monde l’existence d’un monde féerique. C’est le postulat du Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, acclamé à Cannes, mais qui à mon sens se complaît dans une imagerie effectivement fastueuse.

Je dois vous prévenir avec honnêteté que j’ai vu Le Labyrinthe de Pan avec un esprit critique exacerbé par mon genou, qui m’avait laissé en paix depuis quarante-huit heures et a perversement choisi de me faire à nouveau mal pendant la stricte durée de la séance : sans doute étais-je mal assis.

C’est donc l’histoire de la petite Ofelia, environ onze ans, qui arrive avec sa mère Carmen, enceinte, dans un ancien moulin, au cœur de la forêt, investi par l’armée franquiste qui en cette année 1944 poursuit encore des groupes de partisans. Veuve, Carmen s’est remariée avec le capitaine Vidal, père de l’enfant à naître. Avant même d’arriver au moulin, Ofelia libère un insecte qui se révèle être une sorte de fée reptilienne et l’entraîne dans un vieux labyrinthe au centre duquel l’attend un faune qui lui révèle qu’elle est la princesse d’un royaume souterrain…

Avant d’en venir à des réserves qui ne se veulent ni péremptoires ni, il convient de saluer le charme visuel du film, qui va de trouvaille en trouvaille, la progression savante d’un scénario qui tient le spectateur en haleine sans frénésie, et la justesse de la distribution : Sergi Lopez, tendu, Ariadna Gil et Maribel Verdú, aux beaux masques tragiques, et la petite Ivana Baquero, probablement l’enfant la plus attachante vue au cinéma depuis longtemps.

Teintes mordorées de la photographie, pollens qui volètent dans tous les sens : d’entrée de jeu, après un prologue légendaire, Guillermo del Toro nous installe dans l’atmosphère typique du conte merveilleux. Dans les premières séquences, nul besoin de découvrir un monde qui ne reste guère mystérieux, tout s’enchaîne : les personnages révèlent instantanément leur personnalité, le labyrinthe est au bout du jardin, le faune trouvé d’entrée de jeu, etc. Le typage des caractères distribue tout de suite les cartes entre gentils et méchants (le beau-père est tout de suite perçu comme une brute sadique), et seul le faune reste ambigu, pour des raisons d’ailleurs sommaires : sympathique de par sa fonction dramaturgique (il guide Ofelia au pays des merveilles), il traîne les syllabes comme un méchant hollywoodien.

Il apparaît très vite que la monstruosité des épreuves initiatiques qu’Ofelia doit affronter n’est presque rien en comparaison de la monstruosité du beau-père, et si les monstres fantastiques du film sont gluisants (1) à souhait, les seuls effets véritablement « gore » du Labyrinthe de Pan concernent la guerre civile, et spécialement la pratique de la torture par Vidal. Pourtant, les deux fils du récit, parfois traités en montage parallèle, coexistent de manière forcée. En réservant le même traitement — dominantes chromatiques et raccords dans le mouvement d’un travelling, à la faveur d’un élément occultant au premier plan — à la féerie et à la chronique de la Résistance, Guillermo del Toro ne semble faire qu’illustrer de la même manière deux genres différents, le film fantastique et le « film de résistance », ici bien convenu quand on sort du Vent se lève. La narration étant omnisciente, et des effets de style récurrents s’appliquant à des scènes très différentes, une bonne partie de la mise en scène, pourtant savante, finit par paraître essentiellement décorative, puisqu’elle n’est liée à ni à un point de vue ni à la situation.

Le discours politique du film paraît donc particulièrement convenu, et amène à se passionner davantage pour le parcours initiatique d’Ofelia ; mais malheureusement, le bat blesse là aussi. Dès le début du film, del Toro laisse planer l’hypothèse d’une pure projection de l’imagination de la fillette, qui se réfugie dans les contes pour échapper à la noirceur du monde. Le schéma est bien connu et présidait naguère encore à Tideland. Vers les deux tiers du film, le faune semble abandonner Ofelia à qui sa mère explique que la magie n’existe pas : on rêve alors que del Toro ait le culot de mener le film jusqu’au bout de façon strictement réaliste. Mais, on l’a vu, il a choisi le genre du conte merveilleux, où la magie est fortement objectivée par la mise en scène. Et la fin n’est pas loin de faire l’apologie morbide de la fuite (y compris la fuite dans l’imaginaire), par opposition au combat incertain de la Résistance. Je voudrais en dire plus sans déflorer le suspense, et par conséquent je vais avoir recours aux avantages de l’informatique. En sélectionnant avec votre souris l’espace apparemment vide qui suit, vous aurez accès à ces réflexions, mais je vous aurai prévenus.

Comme on dit sur Internet : WARNING ! SPOILERS ! (sélectionnez le texte pour le voir apparaître) :

A la fin du film, tandis que les résistants attaquent le moulin, Ofelia, pour obéir au faune et accéder enfin au mythique royaume souterrain dont elle est la princesse, enlève son petit frère nouveau-né et se fait poursuivre dans le labyrinthe par son beau-père (qui, entre parenthèses, résiste bien invraisemblablement à une forte dose de barbiturique dissoute dans sa fine). Comme le faune lui demande de sacrifier l’enfant, Ofelia refuse ; le beau-père arrive alors, récupère le bambin, et tire sur Ofelia qui s’écroule. A la sortie du labyrinthe, il doit remettre l’enfant aux résistants, qui l’abattent et se précipitent à la recherche d’Ofelia, qu’ils trouvent gravement blessée — ce que la première image du film, ouvrant sur la narration en flash-back, laissait entendre.

Ici le cinéaste commet une énorme erreur, très comparable à l’arrivée du tank à la fin de La Vie est belle (de Benigni). Il insère une scène traitée dans le style naïf et frontal de la publicité de Luc Besson pour Chanel, où Ofelia, soudain vêtue d’une jolie robe, semble découvrir que son courage et son refus de sacrifier l’enfant lui ont fait réussir la dernière épreuve initiatique, et qu’elle est digne de siéger auprès de son père et de sa mère dans le royaume souterrain. Retour alors au labyrinthe, où elle meurt dans les bras de la gouvernante Mercedes. Deux interprétations possibles : soit la scène fantastique est l’ultime fuite dans l’imaginaire de la petite agonisante — un indice y fait songer : la mère souterraine d’Ofelia a bien le visage de Carmen, et semble être encore enceinte, alors que son bébé, nous l’avons vu, est déjà né. Soit la mort est le véritable accès au royaume souterrain, ce que laisse entendre le dernier plan du film (une fleur sur un arbre mort qu’Ofelia aurait rendu à la vie en le délivrant de l’emprise d’un crapaud géant). Dans les deux cas la douleur est pour ceux qui restent et qui vont devoir continuer le combat.

Le film a donc une forte tendance régressive : mieux vaut mourir au moment d’accéder à l’adolescence (et retrouver papa-maman au Paradis) plutôt que d’affronter la vie.

Si les dernières visions d’Ofelia nous étaient épargnées et si le cinéaste se contentait du plan de la fleur, ce dernier serait suffisamment polysémique pour être interprété de diverses façons (à commencer par un tout simple symbole d’espoir). En l’état, et vu le ratage de la séquence en question, qui ferait passer Narnia pour un remake de Païsa, on ne peut que craindre qu’il s’agisse d’une concession démagogique à un public supposé demander une fin heureuse, puisque tout le début du film lui a vendu un conte de fées. Drôle de négociation, s’agissant de la mort d’une enfant.


En somme, quel est le but de del Toro ? S’il est de réaliser un conte pour enfants, il l’a mené jusqu’à une désespérance morbide qui lui a fait rater son coup (et symptomatiquement, le film est interdit en France aux moins de douze ans). S’il est de faire méditer les adultes, on peut s’énerver de son manichéisme facile (Sergi Lopez en méchant tout d’une pièce, quel gâchis…) et de sa morbidité. Dans tous les cas, Le Labyrinthe de Pan ne soutient pas la comparaison avec les films d’un Miyazaki, qui sont basés sur l’incertitude des frontières morales, ou d’un Tim Burton, chez qui le héros, c’est généralement le monstre. Et toute sa virtuosité formelle tourne un peu à vide.
Il est possible aussi que mon âme d’enfant ne résiste pas à une tendinite au genou.

(1) Le mot est choisi en hommage à M.D.D.R. (Note du Trésorier de la Langue Française)


Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE



  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Espagne / Mexique / Etats-Unis
Titre original : El Laberinto del Fauno
Durée : 1h52
Date de sortie : 1er Novembre 2006
Scénario : Guillermo del Toro
Assistant : Jorge Calvo
Production : Alvaro Augustin, Alfonso Cuarón, Bertha Navarro, Guillermo del Toro, Frida Torresblanco
Décors : Eugenio Caballero
Photographie : Guillermo Navarro
Effets spéciaux : Reyes Abades
Son : Miguel Angel Polo, Martin Hernandez
Montage : Bernat Vilaplana
Effets visuels : Everett Burrell, Edward Irastorza
Musique : Javier Navarrete

  • DISTRIBUTION
Ofelia : Ivana Baquero
Le capitaine Vidal : Sergi Lopez
Mercedes : Maribel Verdú
Carmen : Ariadna Gil
Le faune et l’ogre blanc : Doug Jones
Le docteur : Alex Angulo
Serrano : César Vea
Garcés : Manolo Solo
Le roi : Federico Luppi

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