Jacquou le croquant, de Laurent Boutonnat *

Dordogne, 1815. La Restauration de la monarchie, après la chute de Napoléon, prend la forme d’une violente réaction. Un jeune aristocrate, le comte de Nansac, s’attribue avec arrogance les privilèges des anciens féodaux. Un paysan, ancien officier de la Grande Armée, ayant abattu l’un de ses domestiques en légitime défense, le comte le fait arrêter et condamner aux travaux forcés, où il meurt. Le désir de vengeance naît alors dans l’esprit de son fils, Jacquou.

Laurent Boutonnat, compositeur et auteur de vidéo-clips, notamment pour Mylène Farmer, qui interprétait son premier long-métrage, Giorgino (1994), a choisi de porter au grand écran le roman populaire d’Eugène Le Roy, qui avait déjà donné lieu à une série télévisée en 1969, avec les moyens d’une grande fresque.

On peut se demander pourquoi, tant il est évident qu’il n’a rien d’un narrateur. Jacquou le croquant est pour lui l’occasion de déployer une spectaculaire imagerie. Mon estimé confrère Olivier Boraz voyait jadis dans ces colonnes (1) en Laurent Boutonnat un « marginal baudelairien du cinéma ». Il me semble au contraire trouver son inspiration dans une iconologie romantique dont Baudelaire s’éloigne, et dont les décors idéaux sont de sombres châteaux et d’impénétrables forêts (2). Il a la main particulièrement heureuse avec le personnage de la Galiotte (hélas interprété sans fougue), sorte de Diane chasseresse au poignard facile, et de façon générale avec les intempéries, orages, neige ou vent, qui lui inspirent des eaux-fortes parfois saisissantes, d’autant que cette imagerie volontiers symbolique (l’argile entraînée par la pluie figure du sang, etc.) parvient à cohabiter avec le strict naturalisme des détails. Il parvient à deux ou trois moments à saisir en donnant au film une vraie folie mélodramatique, notamment dans la séquence de la mort de la mère de Jacquou.

En revanche, il aplatit totalement le récit en confondant tempo et rythme de façon indigne du musicien qu’il est (une formation qui le conduit simplement à enrober le film de nappes post-wagnériennes parfois au détriment du dialogue). Le rythme, pour Laurent Boutonnat, c’est trois secondes par plan, uniformément, et quelle que soit la situation. Si le montage au début, fait illusion, on se surprend, à l’issue d’une première partie longuette, à regarder sa montre, tant Boutonnat filme la mort d’un personnage ou le travail des lavandières de la même façon. La mise en scène, pour lui, doit « faire passer » (le temps, généralement ; une ellipse de scénario ou de montage, éventuellement ; un message, parfois), et jamais faire croire.

Lorsque Laurent Boutonnat veut s’attarder un peu sur une situation et lui donner de la densité, il monte (toujours au même rythme) une série de gros plans, parfois au ralenti, sur le regard des différents personnages présents, jusqu’à épuisement de l’effet Koulechov. On s’attache donc aux personnages en fonction de la vaillance des comédiens. Gaspard Ulliel a quelques vraies scènes, mais sert surtout d’icône, le personnage restant au fond assez passif. Les jeunes premières, très décoratives, sont d’une fadeur totale. Jocelyn Quivrin, très bon quand il a l’âge de son personnage, abuse ensuite des regards à la Nicholson pour assurer sa fonction de croquemitaine, et rentre sa tête dans les épaules pour paraître plus âgé ; les enfants oscillent entre fraîcheur et raideur ; donc, en gros, les protagonistes sont ratés. En revanche, les adjuvants de Jacquou sont croqués avec appétit et générosité par de très bons acteurs, que les rôles soient pittoresques (Gérald Thomassin, Tchéky Karyo) ou non (Malik Zidi, Marie-Josée Croze). Au premier rang brillent Dora Doll, Olivier Gourmet et Albert Dupontel, brûlants d’humanité, dignes d’un autre Jacquou.

(1) Dans un article qui a vocation à sortir un jour des archives pour être mis en ligne (Note du Service Informatique et Toiles d’araignée.)

(2) Au fait, c’est définitivement l’année du cerf (Note de la Sous-Commission cynégétique).

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • LIENS INTERNET
Site officiel

  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 2h20
Date de sortie : 17 janvier 2007
Scénario : Laurent Boutonnat
D’après le roman de : Eugène Le Roy
Assistant réalisateur : Denis Imbert, Mircea Hategan
Production : Jean-Claude Fleury, Romain Le Grand
Décors : Christian Marty
Photographie : Olivier Cocaul
Son : Eric Rophe
Montage : Stan Collet
Effets visuels : Hugues Namur
Musique : Laurent Boutonnat
Chanson interprétée par : Mylène Farmer

  • DISTRIBUTION
Jacquou Féral : Gaspard Ulliel
Jacquou enfant : Léo Legrand
Marie Féral: Marie-Josée Croze
Lina : Judith Davis
Fantille : Dora Doll
Martin Féral: Albert Dupontel
Le curé Bonal : Olivier Gourmet
Le chevalier : Tchéky Karyo
L’avocat : Jérôme Kircher
Galienne « la Galiotte » de Nansac : Bojana Panic
Le comte de Nansac : Jocelyn Quivrin
Le Bigleux : Gérald Thomassin
Touffu : Malik Zidi

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