Une vieille maitresse, de Catherine Breillat *

Je n’ai pas compris. Il doit bien y avoir une quelconque recherche cinématographique justifiant que ce film ait été sélectionné en compétition à Cannes. J’ai eu l’impression de voir une dramatique télévisée réalisée à l’économie. Je n’ai pas compris ce qu’on pouvait bien trouver à cette Vieille maîtresse. Pas compris. Ca doit être moi.

Dans le Paris de 1835, Ryno de Marigny, un libertin d’une trentaine d’années, décide de se ranger ; il est amoureux d’Hermangarde, la très candide petite-fille de la marquise de Flers, et fait agréer sa demande en mariage. Des amis de la marquise la mettent en garde : Ryno a été pendant dix ans l’amant d’une sulfureuse Espagnole, Vellini, et il n’est pas bien sûr qu’il ait rompu avec elle. La marquise obtient alors de Ryno le récit de cette terrible liaison.

Bien que Catherine Breillat ait construit son film autour d’un long flash-back, avant le dénouement, on en retient surtout l’image de personnages en train de parler, en champ-contrechamp, assis dans des fauteuils. Le statisme de la mise en scène, la mollesse du cadre, la gêne manifeste d’acteurs engoncés dans leurs costumes, sont rhédibitoires.

Halte-là, me dira-t-on. Il vous sied bien, Mahieux, à vous, admirateur de Rivette et de Rohmer, de blâmer un film de n’être fait que de conversations. Aussi ne critiqué-je pas le principe (répondrai-je), mais l’exécution. Catherine Breillat veut manifestement éviter l’excès de chichis décoratifs des films d’époque, mais ne sait pas trop quoi faire à la place. Les deux premières scènes sont portées par les comédiens et par la singularité de la mise en place (Vellini, allongée, recevant le vicomte de Prony assis) — mais dès qu’on arrive dans le salon de Mme de Flers, tout intérêt visuel disparaît.

J’ai aussi l’impression que Breillat n’a pas su ruser avec la faiblesse (manifeste) de son budget. N’ayant probablement pas les moyens d’une ample reconstitution, elle filme des coins de salons et des bouts d’immeubles, sans parvenir pour autant à éviter les anachronismes (il faut dire qu’un carton prétend que 1835 est « l’époque de Laclos », donc que le sens historique de la cinéaste n’est peut-être pas infaillible). Les repérages sont apparemment mal faits et l’empêchent trop visiblement d’effectuer le moindre panoramique ; aussi, deux personnages censés se rencontrer par hasard au bois de Boulogne (qui dans le film ne ressemble guère à un bois) semblent s’attendre depuis une heure. Ce dont les maîtres cités plus haut se tirent par la stylisation, Catherine Breillat s’y embourbe par scrupule de réalisme.

Cet aspect s’arrange un peu quand le film se déplace en Bretagne, et surtout (mais pour une seule petite minute) en Algérie, sans qu’il y gagne une vraie ampleur visuelle. C’est un peu un mystère d’ailleurs : comment Yorgos Arvanitis, le chef-opérateur d’Angelopoulos, l’homme qui est capable de rendre poétique une zone industrielle par temps de pluie, a-t-il pu signer une lumière aussi plate ? Serais-je insensible à une ironie incroyablement subversive ?

Mais passons. Restent la romance et la passion : l’essentiel. Hélas encore, le film souffre d’un montage absolument asthénique (un personnage parle, puis se tait, puis parle, le tout en gros plan : bonne nuit…) et d’une interprétation extrêmement inégale. Si les grotesques à la Musset interprétés par Michael Lonsdale, Yolande Moreau et Claude Sarraute ont quelque relief, en revanche les figures d’arrière-plan sont fantomatiques ; quant à Fu’ad Ait Aattou, trop juvénile d’aspect pour son personnage de roué sur le retour, il est décoratif, inexpressif et sans énergie. Selon le dialogue, la séduction de Vellini est inexplicable car elle n’est pas si terrible, mais personne ne met en doute le charme de Ryno. J’avoue que le charme masculin reste pour moi quelque chose d’assez théorique, mais quel décalage, tout de même, entre cette espèce d’asperge trop cuite à gueule d’ange, et la formidablement vivante Asia Argento ? Changeante, roublarde, imprévisible, orageuse, elle se démène comme une diablesse et, malgré sa diction marmonnée et son accent mal maîtrisé, elle dévore littéralement la pellicule. On ne voit plus qu’elle : elle nous sauve des sables de l’ennui ; on lâcherait pour elle toutes les Hermangardes du monde.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h50
Date de sortie : 30 mai 2007
Scénario : Catherine Breillat
D’après le roman de : Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly
Assistant réalisateur : Michaël Weill
Production : Jean-François Lepetit
Décors : François-Renaud Labarthe
Photographie : Yorgos Arvanitis
Son : Yves Osmu
Montage : Pascale Chavance
Musique : Gioacchino Rossini, Ludwig van Beethoven, John Playford

  • DISTRIBUTION
Vellini : Asia Argento
Ryno de Marigny : Fu’ad Ait Aattou
Hermangarde : Roxane Mesquida
La marquise de Flers : Claude Sarraute
La comtesse d’Artelles : Yolande Moreau
Le vicomte de Prony : Michael Lonsdale
Le vicomte de Mareuil : Jean-Philippe Tessé
Sir Reginald : Nicholas Hawtrey
Madame de Solcy : Anne Parillaud
Mlle Divine des Airelles : Amira Casar
La Dame de pique : Caroline Ducey
Le comte de Cerisy : Jean-Claude Binoche
La chanteuse : Lio
L’Arrogante : Isabelle Renauld
La comtesse de Mendoze : Sarah Pratt

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1 Commentaire

Bonjour, Je ne suis pas vraiment d'accord avec votre critique qui est bien écrite et évite, à propos de Breillat, le discours haineux et insultant comme on peut le voir trop souvent sur la toile...
Je me permets d'en profiter pour vous envoyer un lien vers mon article sur la réalisatrice : http://www.lecoindeloeil.com/index.php?page=content_detail&id=20&type=articles

À bientôt...

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