Zodiac, de David Fincher * * * *

Révélé en 1995 par la réussite de Seven, David Fincher s’intéresse à nouveau au type du tueur en série, dans ce film inspiré d’événements réels qui ont marqué sa jeunesse : au début des années 1970, la région de San Francisco fut terrorisée par un insaisissable maniaque qui s’attribua un grand nombre de meurtres dans ses lettres à la presse, et signait Zodiac.

David Fincher retrace des événements pour l’essentiel réels en s’appuyant sur les ouvrages de Robert Graysmith, un dessinateur de presse qui s’était pris de passion pour l’enquête, et qui finit par la mener pour son propre compte, proposant ce qui, encore aujourd’hui, est la solution la plus probable de l’énigme : le Zodiac n’a en effet jamais été arrêté.

Alors que l’auteur de Fight club s’est fait connaître en traitant dans un style ostensiblement virtuose des fictions à la construction souvent vertigineuse, il renonce ici à envoûter le spectateur par un scénario à tiroirs Le film s’en tient à la chronique, dont de nombreux cartons soulignent la chronologie, d’une enquête menée patiemment par deux policiers d’un côté et deux journalistes de l’autre. Le dossier se construit sous nos yeux, avec ses constats, ses interrogatoires, ses expertises, ses fausses pistes, et les négligences inévitables de personnages que leur professionnalisme ne transforme pas en surhommes. A vrai dire, on n’a pas le souvenir d’une énigme policière aussi complexe dans un film depuis… depuis quand ? Vers la moitié du film, les personnages vont au cinéma voir L’Inspecteur Harry de Don Siegel — film où le méchant est clairement inspiré du Zodiac. Ils sont consternés. Zodiac est un film où les policiers respectent les procédures juridiques.

En accord avec la patience et le travail de fourmi de ses personnages, Fincher évite les effets de mise en scène voyants qui constituent sa marque (on se souvient du mouvement de caméra passant à l’intérieur de l’anse de la bouilloire dans Panic room). Loin de se répéter, il réalise en quelque sorte le double inversé de Seven. Sa façon de traiter l’architecture de San Francisco propose un discret effet de signature dans quelques plans spectaculaires, mais qui ne vont jamais jusqu’à la démonstration. Je ne suis pas sûr qu’il faille voir dans cette sobriété nouvelle une preuve de maturité ; c’est à la fois moins et mieux que cela ; c’est un sens profond de l’adéquation du style au propos qui confirme définitivement le travail d’un grand cinéaste.

La fascination de Fincher pour l’écrit est patente depuis la scène de la bibliothèque dans Seven ; l’écriture est pour lui non pas une coquetterie littéraire, mais la trace visuelle de l’intelligence, ou du travail de l’esprit. Ce dernier peut se retourner : l’invasion du monde du protagoniste de Fight club par les notices des catalogues Ikea annonçait sa schizophrénie ; ici, les lettres codées du tueur ne sont pas du tout un enjeu narratif mais la figuration visuelle de la notion d’énigme ; plus tard, des pages d’écriture viennent se superposer aux murs avec beaucoup d’élégance.

Les premières agressions du Zodiac font l’objet de quatre admirables scènes où la violence reste discrète, mais où la tension est admirablement créée par la dilatation du temps et la maîtrise de la description spatiale. Puis le montage parallèle entre les actes du tueur et l’enquête des personnages principaux s’efface, à mesure que le criminel entre dans de longues périodes de silence, d’inactivité… ou de vantardise. Le film s’enferme avec ses personnages dans des bureaux, ou dans la maison de Graysmith. Leur quête devient le véritable sujet du film, qui n’a presque rien du thriller. Certains enquêteurs abandonnent, pas d’autres ; la traque du tueur devient l’élément central de leurs vies. C’est en y travaillant que Graysmith séduit sa seconde femme (l’inattendue Chloë Sevigny), et c’est en y travaillant qu’il la perd. Le premier à renoncer, l’inspecteur Armstrong, explique son abandon par son désir de s’occuper de ses enfants ; l’attitude de Graysmith lui répond : il s’occupe de son dossier avec ses enfants.

Une reconstitution des années 1970 particulièrement réussie ne tourne jamais au pittoresque gratuit, car Fincher soigne une image peu contrastée, insidieusement jaunâtre comme une photographie vieillie ou une vieille coupure de journal, toujours admirablement composée mais sciemment antidramatique. Sans le tueur, la vie de ces hommes, joués finement par les acteurs comme des individus tout à fait ordinaires (alors même que Toschi, par exempe, est censé avoir servi de modèle à Steve McQueen pour Bullitt), serait vide ; et le film est menacé en permanence par l’échec, par la platitude, par la dissolution de l’intrigue. S’autorisant des incertitudes sur l’attribution effective des crimes, Fincher rend le tueur insaisissable ; on a vu qu’il le fait disparaître du scénario, mais il le fait également jouer par plusieurs acteurs différents. L’absence de vieillissement des personnages de Graysmith et d’Arthur Leigh Allen, le principal suspect, accentue cette sorte de perte de substance de la réalité (alors que les autres personnages, eux, prennent des coups, vieillissent).

Au bout du compte, le caractère élégiaque du film permet de renverser l’allusion ironique à L’Inspecteur Harry : Fincher se rapproche avec ce film d’Eastwood cinéaste. Il en a la trempe. Quelle qu’en soit la veine, son prochain film nous surprendra sans doute tout autant.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis
Durée : 2h36
Date de sortie : 17 Mai 2007
Scénario : James Vanderbilt
D’après les livres de : Robert Graysmith
Assistant réalisateur : Mary Ellen Woods
Production : Ceán Chaffin, Brad Fischer, Mike Medavoy, Arnold Messer, James Vanderbilt
Décors : Donald Graham Burt
Photographie : Harris Savides
Son : Ren Klyce
Montage : Angus Wall
Effets visuels : Eric Barba, Craig Barron
Musique : David Shire

  • DISTRIBUTION
Robert Graysmith : Jake Gyllenhaal
David Toschi : Mark Ruffalo
Paul Avery : Robert Downey jr.
William Armstrong : Anthony Edwards
Melvin Belli : Brian Cox
Arthur Leigh Allen : John Carroll Lynch
Melanie : Chloë Sevigny
Jack Mulanax : Elias Koteas
Marty Lee : Dermot Mulroney
Ken Narlow : Donal Logue
Sherwood Morrill : Philip Baker Hall
Duffy Jennings : Adam Goldberg
George Bawart : James LeGros
Bob Vaughn : Charles Fleischer
Linda Ferrin : Clea DuVall
Zodiac : Richmond Arquette
Zodiac : Bob Stephenson
Zodiac : John Lacy

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