Persepolis, de Marjane Satrapi et V. Paronnaud * * * *

Téhéran, 1978. Marji a neuf ans et se prépare à la carrière de prophète, avec pour première disciple sa grand-mère. Lorsque le régime du shah est ébranlé par les manifestations populaires, ses parents, des intellectuels de gauche, sentent passer le vent de l’espoir; mais bientôt les islamistes confisquent la révolution, et la carrière de prophète semble désormais sans avenir ni pertinence…

C’est au cours de la dernière décennie que Marjane Satrapi s’est fait connaître de tous les amateurs de bandes dessinées, grâce à son «roman graphique» (on dit comme ça, maintenant) ou plutôt «autobiographie graphique» Persépolis, chronique de l’enfance et de la jeunesse d’une Iranienne sous la révolution islamique. Avec Vincent Paronnaud, également bédéaste sous le pseudonyme de Winshluss, elle porte aujourd’hui son œuvre au cinéma, et le cinéma lui apporte également en retour…

Pour commencer, c’est à ma connaissance une première: le premier film d'animation autobiographique de l’histoire du cinéma ! C’est d’ailleurs une façon parfaitement élégante de résoudre la difficulté extrême du genre. Si l’on excepte les diaristes à la façon d’Alain Cavalier ou, plus joueuse déjà, de Nanni Moretti, l’autobiographie au cinéma pose un problème: la difficulté pour l’auteur d’être en même temps l’acteur principal, sauf à s’interdire toute rétrospection, et la nature essentiellement fictive des scènes reconstituées. A moins bien évidemment de renoncer au tournage classique et de prendre ses feutres et ses crayons. Pourquoi pas ? Avec le concours précieux de Paronnaud, Marjane Satrapi a repris le noir et blanc extrêmement stylisé de ses albums, tout en explorant les possibilités de mise en scène offertes par le cinéma, et en enrichissant considérablement les décors, à l’aide des collages surréalistes, des miniatures persanes, de la tradition de la gravure. A l’aplat faussement naïf des albums succède un monde composite aux nombreux doubles fonds.

La structure du scénario a été entièrement repensée, loin de se limiter à un simple amaigrissement des quatre volumes de l’œuvre originale. Et c’est ici que se situe la principale réussite du film: les scènes sont généralement brèves, voire très brèves, surgissent d’un écran noir, disparaissent dans un fondu, et chacune propose l’emblème graphique exact de la situation. Jouant sur les valeurs de blanc, de noir et de gris, sur la distorsion de la figure humaine, sur la composition plastique, sur des détails symboliques, Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi retrouvent le style de mise en scène du cinéma muet et, s’ils ne l’enrichissaient pas de figures de style découvertes depuis, leur style se rapprocherait de façon troublante de celui de Murnau. C’est par ces moyens qu’ils savent donner en quelques instants une force épique aux évocations de la révolution et de la guerre Iran/Irak. Mais l’absence de surenchère visuelle permet d’articuler sans heurts la grande et la petite histoire.

L’empathie que suscite Persepolis provient en effet de la rigueur du point de vue : les parenthèses didactiques destinées à rafraîchir la mémoire du spectateur occidental reflètent toujours l’imagination de Marjane (c’est d’autant plus frappant lorsqu’elle est enfant, bien entendu). Pour le reste, il s’agit toujours du point de vue d’une enfant, puis d’une jeune fille. Et par conséquent la nécessité de s’épiler les jambes ou de se procurer une cassette pirate d’Iron Maiden comptent autant que la lutte pour la liberté. Mieux : en raison du statut des femmes en Iran, elles font partie de cette lutte. Les intégristes ? Avant tout des obsédés sexuels, malheureusement armés de fusils. Il s’agit au bout du compte de conquérir le droit à une crise d’adolescence normale, et Marjane y parvient : en substance, dit-elle, j’ai vu une guerre et une révolution, et c’est une histoire d’amour à la con qui a failli m’emporter. A cette imbrication du politique et de l’intime correspondent des changements de ton virtuoses: après une dépression et une tentative de suicide, l’héroïne est renvoyée sur Terre par son vieux pote Dieu, flanqué de Karl Marx pour la circonstance et, requinquée, part pour l’université en bramant Eye of the Tiger. La réussite de ce passage hilarant doit beaucoup aux fausses notes siphonnées de Chiara Mastroianni (chanteuse émérite dans le civil), et c’est l’occasion de saluer la qualité du travail sur les voix.

C’est ainsi que du même coup le film traite son sujet politique (un éloge de la liberté et de l’intégrité) et suscite la connivence avec un (petit) spectateur éberlué de voir tomber les uns après les autres les mythes sur les étranges et exotiques persans qui lui bouchaient peut-être les yeux. On comprend que cet appel parfaitement clair (adolescentes de tous les pays, unissez-vous) ait suscité l’ire des autorités de Téhéran qui, en contestant la présence de Persepolis à Cannes, ont donné raison au propos des deux auteurs…
Etienne Mahieux


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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h35
Date de sortie : 27 juin 2007
Scénario : Vincent Paronnaud, Marjane Satrapi
D’après la bande dessinée de : Marjane Satrapi
Assistant réalisateur : Denis Walgenwitz
Production : Kathleen Kennedy, Xavier Rigault, Marc-Antoine Robert
Décors : Marc Jousset
Animation : Christian Desmares
Son : Thierry Lebon, Samy Bardet
Montage : Stéphane Roche
Musique : Olivier Bernet

  • DISTRIBUTION
Avec les voix de :

Chiara Mastroianni (Marjane)
Catherine Deneuve (Tadji)
Danielle Darrieux (Mamie)
Simon Abkarian (Ebi)
Gabrielle Lopes (Marjane enfant)

et

Arié Elmaleh
Vincent Paronnaud
Marjane Satrapi

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1 Commentaire

Well, j'ai aimé le film, mais pas autant que la BD... :o/

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