Les Chansons d’amour, de Christophe Honoré * * * *
Comme Ismaël aime Julie et que Julie aime Ismaël, ils couchent tous les deux avec Alice. Le cœur a ses raisons… Comme Julie a un grand cœur, un trop grand cœur, ce cœur lâche, et la voilà qui meurt en écoutant des chansons d’amour, et qui laisse Ismaël tout désemparé, trop seul, dans les rues de Paris. Comme ceux qui ont du cœur, beaucoup de cœur, ils chantent leur histoire.
Evidemment, comme tout cinéaste français qui s’attaque au genre musical, Christophe Honoré a une dette longue comme ça à honorer auprès du grand Demy, trop garagiste et trop nantais, heureusement, pour faire un commandeur trop effrayant. De façon plus générale, sa passion pour la Nouvelle vague est criante. Les Chansons d’amour est tissé de références à Demy (donc) — et Chiara Mastroianni n’a jamais autant ressemblé à sa mère — mais aussi à Truffaut et à Godard. Il a aussi des dettes littéraires et, comme les deux maîtres que je viens de citer, il les avoue, en filmant les livres concernés.
On devrait étouffer.
On n’étouffe pas.
Une comédie musicale est, théoriquement, une œuvre de longue haleine : il faut répéter, chorégraphier… Et voilà que Christophe Honoré nous montre les rues de Paris comme on vient à peine de les quitter : le film a été tourné cet hiver. L’impression de fraîcheur, d’improvisation, y gagne (ah, les affiches pour Sarkozy….), et lorsque le film aura vieilli, il en gardera sans doute un parfum d’immédiateté presque documentaire.
Mais tout, dans Les Chansons d’amour, concourt à cette impression inattendue, presque miraculeuse, de légèreté et de fraîcheur. Honoré dialogue avec les cinéastes des années 1960, met ses pas dans les leurs, parfois les imite (je vous épargnerai la liste des allusions). Il les égale, non pas en invention mais en réussite. A lui les raccourcis lubitschiens, les digressions blagueuses, les tacs-au-tacs spirituels ; à lui la caméra portée, les chorégraphies sur un bout de trottoir, les enseignes révélatrices ; à lui la fantaisie burlesque, les poursuites en sièges à roulettes, les parcours du combattant avec une couette pour uniforme ; les scènes du balcon pour immeuble haussmannien. Ce ne sont pas seulement des formes qu’il reprend, c’est un esprit qu’il a retrouvé. Nous nous sommes égarés, semble-t-il dire, reprenons.
Il révèle, ce faisant, une parenté entre une génération dont il peut figurer le frère aîné (la mienne, la nôtre) et celle des Antoine Doinel, des Roland Cassard et des Michel Poiccard — toutes deux encadrant le baby-boom (la génération de 1968), toutes deux ayant à inventer un mode de vie, gagner une petite place, au sein d’un monde dessiné par leurs aînés. C’est ce que vient sans doute signifier le refus, par Ismaël, de l’aide, pourtant sincère, que lui propose la famille de Julie. De l’espace vital, avant tout, quitte à sortir des chemins où on l’attend ! Le ménage à trois du début, le choix final d’Ismaël (suspense…) sont ces pas de côté qui ne prétendent à aucune révolution mais demeurent inassimilables.
Le film est servi par des acteurs littéralement lumineux. Louis Garrel, léaldesque et iconique, blagueur et sublime, séducteur et embarrassé, Ludivine Sagnier, attendrissante luciole, Clotilde Hesme, Grégoire Leprince-Ringuet, l’inattendu Jean-Marie Winling (généralement préposé aux rôles de cyniques en raison de ses yeux allongés et de sa voix vieillie en fût de chêne) sont autant d’images de l’innocence. Ils sont filmés avec la plus amicale des tendresses ; et c’est bien cette impression qui ressort de telle étreinte homosexuelle, type de scène que j’observe pourtant d’habitude avec une sympathie purement morale en attendant patiemment la suite. C’est dire l’humanité de ce regard.
Cette humanité est également celle des chansons d’Alex Beaupain, qui croisent sentiments essentiels et détails quotidiens dans la veine d’un Vincent Delerm (un temps pressenti pour le rôle d’Ismaël avant que Louis Garrel ne s’impose de haute lutte), mais avec plus d’ampleur musicale. Chantées et jouées par les acteurs eux-mêmes, elles s’imposent avec une évidence qui fait regretter que Christophe Honoré en ait traité une ou deux en voix off. Il aurait dû oser. Car il a l’art d’imposer des formes audacieuses sans jamais être prétentieuses. Car son film est de la veine même des meilleures chansons d’amour : saisi plutôt que mijoté, il laisse une trace durable, et vous rend tout chose.
Durée : 1h40
Date de sortie : 23 mai 2007
Scénario : Christophe Honoré, Gaël Morel
Assistante du réalisateur : Sylvie Peyre
Production : Paulo Branco
Décors : Samuel Deshors
Photographie : Rémy Chevrin
Son : Guillaume Le Bras
Montage : Chantal Hymans
Musique et chansons : Alex Beaupain
Julie Pommeraye : Ludivine Sagnier
Alice : Clotilde Hesme
Jeanne Pommeraye : Chiara Mastroianni
Erwan : Grégoire Leprince-Ringuet
Jasmine Pommeraye : Alice Butaud
Mme Pommeraye : Brigitte Roüan
M. Pommeraye : Jean-Marie Winling
Gwendal : Yannick Rénier
Maud : Annabelle Hettmann
Un spectateur dans la file au cinéma : Gaël Morel
Evidemment, comme tout cinéaste français qui s’attaque au genre musical, Christophe Honoré a une dette longue comme ça à honorer auprès du grand Demy, trop garagiste et trop nantais, heureusement, pour faire un commandeur trop effrayant. De façon plus générale, sa passion pour la Nouvelle vague est criante. Les Chansons d’amour est tissé de références à Demy (donc) — et Chiara Mastroianni n’a jamais autant ressemblé à sa mère — mais aussi à Truffaut et à Godard. Il a aussi des dettes littéraires et, comme les deux maîtres que je viens de citer, il les avoue, en filmant les livres concernés.
On devrait étouffer.
On n’étouffe pas.
Une comédie musicale est, théoriquement, une œuvre de longue haleine : il faut répéter, chorégraphier… Et voilà que Christophe Honoré nous montre les rues de Paris comme on vient à peine de les quitter : le film a été tourné cet hiver. L’impression de fraîcheur, d’improvisation, y gagne (ah, les affiches pour Sarkozy….), et lorsque le film aura vieilli, il en gardera sans doute un parfum d’immédiateté presque documentaire.
Mais tout, dans Les Chansons d’amour, concourt à cette impression inattendue, presque miraculeuse, de légèreté et de fraîcheur. Honoré dialogue avec les cinéastes des années 1960, met ses pas dans les leurs, parfois les imite (je vous épargnerai la liste des allusions). Il les égale, non pas en invention mais en réussite. A lui les raccourcis lubitschiens, les digressions blagueuses, les tacs-au-tacs spirituels ; à lui la caméra portée, les chorégraphies sur un bout de trottoir, les enseignes révélatrices ; à lui la fantaisie burlesque, les poursuites en sièges à roulettes, les parcours du combattant avec une couette pour uniforme ; les scènes du balcon pour immeuble haussmannien. Ce ne sont pas seulement des formes qu’il reprend, c’est un esprit qu’il a retrouvé. Nous nous sommes égarés, semble-t-il dire, reprenons.
Il révèle, ce faisant, une parenté entre une génération dont il peut figurer le frère aîné (la mienne, la nôtre) et celle des Antoine Doinel, des Roland Cassard et des Michel Poiccard — toutes deux encadrant le baby-boom (la génération de 1968), toutes deux ayant à inventer un mode de vie, gagner une petite place, au sein d’un monde dessiné par leurs aînés. C’est ce que vient sans doute signifier le refus, par Ismaël, de l’aide, pourtant sincère, que lui propose la famille de Julie. De l’espace vital, avant tout, quitte à sortir des chemins où on l’attend ! Le ménage à trois du début, le choix final d’Ismaël (suspense…) sont ces pas de côté qui ne prétendent à aucune révolution mais demeurent inassimilables.
Le film est servi par des acteurs littéralement lumineux. Louis Garrel, léaldesque et iconique, blagueur et sublime, séducteur et embarrassé, Ludivine Sagnier, attendrissante luciole, Clotilde Hesme, Grégoire Leprince-Ringuet, l’inattendu Jean-Marie Winling (généralement préposé aux rôles de cyniques en raison de ses yeux allongés et de sa voix vieillie en fût de chêne) sont autant d’images de l’innocence. Ils sont filmés avec la plus amicale des tendresses ; et c’est bien cette impression qui ressort de telle étreinte homosexuelle, type de scène que j’observe pourtant d’habitude avec une sympathie purement morale en attendant patiemment la suite. C’est dire l’humanité de ce regard.
Cette humanité est également celle des chansons d’Alex Beaupain, qui croisent sentiments essentiels et détails quotidiens dans la veine d’un Vincent Delerm (un temps pressenti pour le rôle d’Ismaël avant que Louis Garrel ne s’impose de haute lutte), mais avec plus d’ampleur musicale. Chantées et jouées par les acteurs eux-mêmes, elles s’imposent avec une évidence qui fait regretter que Christophe Honoré en ait traité une ou deux en voix off. Il aurait dû oser. Car il a l’art d’imposer des formes audacieuses sans jamais être prétentieuses. Car son film est de la veine même des meilleures chansons d’amour : saisi plutôt que mijoté, il laisse une trace durable, et vous rend tout chose.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h40
Date de sortie : 23 mai 2007
Scénario : Christophe Honoré, Gaël Morel
Assistante du réalisateur : Sylvie Peyre
Production : Paulo Branco
Décors : Samuel Deshors
Photographie : Rémy Chevrin
Son : Guillaume Le Bras
Montage : Chantal Hymans
Musique et chansons : Alex Beaupain
- DISTRIBUTION
Julie Pommeraye : Ludivine Sagnier
Alice : Clotilde Hesme
Jeanne Pommeraye : Chiara Mastroianni
Erwan : Grégoire Leprince-Ringuet
Jasmine Pommeraye : Alice Butaud
Mme Pommeraye : Brigitte Roüan
M. Pommeraye : Jean-Marie Winling
Gwendal : Yannick Rénier
Maud : Annabelle Hettmann
Un spectateur dans la file au cinéma : Gaël Morel
1 Commentaire
23 juin 2008 à 16:56
je n'ai pas aimé ce film très parisien, surfait, qui ne touche nullement. Les chansonnettes adroitement amenées par l'action, sont bien fades.L'interprétation, honnête, laisse une impression d'un irrépressible ennui.
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