Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder (1959) * * * *

Deux sortes de films se consacrent à des personnages travestis : ceux qui veulent caricaturer l’homosexualité, de La Cage aux folles à Pédale douce, et ceux qui y voient le moyen de s’interroger sur l’identité et l’individualité. Certains l’aiment chaud est de ces derniers. Ce qui ne l’empêche pas d’être hilarant.

L’intrigue commence à Chicago en 1929, pendant la prohibition ; mais un gag rappelle aussi que c’est l’année du krach boursier, de la fin d’un certain optimisme. Jerry et Joe, deux jazzmen, jouent dans un tripot clandestin qui fait l’objet d’une descente de police. Obligés de chercher un nouvel emploi, ils assistent par hasard au massacre de la Saint-Valentin et doivent fuir la mafia qui veut éliminer ces témoins gênants. Ils acceptent alors un emploi dans un orchestre qui part en tournée en Floride. Un orchestre exclusivement féminin.

Le film est, dans ses premiers et derniers quarts d’heure, un excellent pastiche des films de gangsters des années 1930, qui romançaient la figure d’Al Capone, de Scarface (de Howard Hawks) à Little Caesar de Mervin LeRoy (ici, un personnage s’appelle Little Bonaparte !). Tourné en noir et blanc, choix, paraît-il, fait à la dernière minute pour que les maquillages de Tony Curtis et Jack Lemmon n’apparaissent pas trop verdâtres, Certains l’aiment chaud y gagne évidemment une ambiance visuelle plus proche des originaux. La présence de George Raft, qui était du film de Hawks, accentue le pastiche, d’autant que Wilder lui fait morigéner un jeune insolent qui reprend son jeu légendaire avec une pièce de monnaie.

Mais si le film a choisi cette époque, comme un spectateur du ciné-club l’a très astucieusement fait remarquer, c’est parce qu’elle permet à Wilder de se livrer à une série d’éblouissantes variations sur la dissimulation. Dès la première scène, le faux plafond d’un corbillard dissimule des mitraillettes, et le cercueil se révèle rempli de bouteilles de whisky. Rien d’étonnant dès lors à ce que les protagonistes, Jerry et Joe, passent la plus grande partie du film sous les défroques de Geraldine et Daphne. A l’inverse, la fondante Sugar Kane, vedette de la troupe, est absolument incapable de dissimulation, ce qui ne cesse de lui jouer des tours puisque même la bouteille d’alcool qu’elle dissimule dans sa jarretière la trahit. Marilyn Monroe, qui travaillait pour la seconde fois avec Wilder après Sept ans de réflexion, mais de façon, semble-t-il, nettement plus conflictuelle, donne au personnage sa propre fragilité et sa propre angoisse, qui transparaissent derrière les bourdes de la fausse écervelée.

Pendant la plus grande partie du film, l’intrigue criminelle est donc mise en veilleuse, et fait place à un marivaudage délirant et parfois d’une crudité tout à fait étonnante pour le Hollywood des années 1950. Wilder parvient à une tension extraordinaire, et extraordinairement comique, entre la vulgarité revendiquée de ce qu’il montre et l’élégance de sa façon de le montrer. Ainsi, les rideaux des couchettes du train déterminent des surcadrages mouvants, avant que l’une d’entre elles ne se transforme en cabine des Marx Brothers… et s’y promènent des jeunes femmes en sous-vêtements de nuit, que Wilder ne craint pas de montrer penchées en avant, la tête dans leur couchette, le reste de leur personne seul visible. Le résultat est sans pitié pour la pauvre humanité.

Jerry et Joe vivent leur travesti de façon extrêmement différente. Pour le second, se déguiser permet de disparaître — c’est d’ailleurs la justification de leur fuite, — et les vêtements féminins sont une sorte d’équivalent de l’anneau de Gygès. Envahi par un sentiment de toute-puissance, Joe accumule les identités différentes, au prix de courses éperdues et d’escalades de la façade de l’hôtel. Pour séduire Sugar, il s’invente un personnage de milliardaire excentrique qui correspond à tous les fantasmes de la jeune femme : il n’a pas encore compris, comme l’affirme l’authentique milliardaire Osgood Fielding à la fin du film, que « personne n’est parfait ». Au contraire, pour Jerry, l’habit fait le moine. C’est lui qui a le plus de mal, au début, à tenir le déguisement : sa fausse poitrine ne cesse de se déchirer, il fait des faux pas dans ses chaussures à talons hauts et surtout, au contact de ses nouvelles collègues, il est plus ou moins atteint de priapisme. Petit à petit, Jerry se confond avec son personnage, au point d’accepter plus qu’il n’est nécessaire les avances de Fielding (d’où l’adorable scène finale). Si le comportement a une telle influence, qui sommes-nous, au fond ? Le personnage le plus burlesque est donc probablement le plus sérieux et le plus profond. Jack Lemmon, histrion génial, et Tony Curtis, savoureux et qui trouve ici son meilleur rôle, mettent en abyme leur propre métier de comédiens pour mieux explorer les mystères de nos identités sociales.

Etienne Mahieux

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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis
Titre original : Some like it hot
Durée : 2h
Date de sortie : 9 septembre 1959
Scénario : Billy Wilder, I.A.L. Diamond, Michael Logan, Robert Thoeren
Assistant réalisateur : Sam Nelson
Production : Billy Wilder, I.A.L Diamond, Doane Harrison
Décors : Ted Haworth
Photographie : Charles Lang
Son : Fred Lau
Montage : Arthur P. Schmidt
Musique : Adolph Deutsch

  • DISTRIBUTION
Jerry « Daphne » : Jack Lemmon
Joe « Josephine » : Tony Curtis
Sugar Kane Kowalczyk : Marilyn Monroe
Colombo-les-Guêtres : George Raft
Osgood Fielding III : Joe E. Brown
Mulligan : Pat O’Brien
Little Bonaparte : Nehemiah Persoff
Un gangster : Mike Mazurki
Dolores : Beverly Wills
Johnny Paradise : Edward G. Robinson jr.

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