Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde, de Gore Verbinski * *

Il ne faut pas moins de deux henres trente-huit à ce troisième volet pour mettre un terme (?) à la saga des Pirates des Caraïbes. Capes, épées, galions, monstres, mondes et autres mondes y jouent à passez-muscade, dans un grand n’importe quoi qui confère au film une grâce inattendue.

Résumer le point de départ de l’intrigue de ce troisième volet est au-dessus de mes forces. Elle prend ses sources dans les deux précédents, et comporte beaucoup d’éléments implicites et manifestement pas tout à fait clairs dans l’esprit des scénaristes eux-mêmes. Les retournements d’alliance se succèdent à un tel rythme que les motivations des personnages sont d’une totale obscurité. Par exemple, j’ai bien l’impression — il faudrait que je retourne aller voir — qu’ils sont tous d’accord pour réunir le Tribunal des Frères de la côte avant d’avoir un motif pour la réunion (certes il y a l’alliance nécessaire face à Lord Beckett, mais manifestement ils découvrent tout de la procédure à suivre une fois la réunion commencée !). Une scène de négociations commence par un échange d’otages absolument immotivé mais nécessaire pour mettre en place les péripéties suivantes. Et ainsi de suite.

Bref, soyons honnêtes, n’étant qu’un modeste agrégé de lettres, je n’ai pas tout compris. Il faut supposer que les spectateurs qui font un triomphe à Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde ont revu quinze fois les deux précédents volets sur DVD, ou bien se moquent éperdument du scénario. La seconde option paraît plus probable.

Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde est donc, encore une fois, essentiellement un tour de train fantôme, d’autant que le mélange des genres tourne ici au bénéfice du fantastique et de l’irrationnel (plus ou moins organisé par le paganisme antique). Gore Verbinski aligne les scènes spectaculaires, pour finir par un incroyable abordage au cœur du maelström — dont le vaisseau vainqueur se tirera ensuite comme qui rigole, ce qui est caractéristique du caractère absolument théorique des obstacles dans ce film où il est bien rare de mourir sans ressusciter de trois ou quatre façons différentes (l’erreur de montage n’étant pas la moins amusante).

Si le film parvient à être un peu plus qu’un nanar boursouflé, c’est en raison même de sa totale absence de cohérence narrative et esthétique. Disons-le : les quarante-cinq premières minutes ne sont pas très fines mais quand même assez étonnantes. Gore Verbinski y témoigne encore une fois de son goût pour les ambiances sombres et romantiques. Un très beau raccord entre deux scènes, fait sur une chanson éminemment triste, ne fait au bout du compte que souligner l’hétérogénéité totale des éléments du film. Cette hétérogénéité est mieux que visible : dénoncée, accentuée par l’image. Ainsi, lorsque Will, Elizabeth et Barbossa partent chercher Jack dans l’autre monde, celui-ci est caractérisé par la totale absence de continuité esthétique des décors : mer, désert de sel, dunes de sable. La folie de Jack donne lieu à des scènes joyeusement incohérentes où Verbinski déploie un joli talent pour la stylisation graphique. L’incohérence est telle qu’on peut alors jouir du film comme d’une sorte de collage surréaliste à l’intéressante étrangeté. On se dit alors que si le méchant se nomme lord Beckett, ce n’est au fond pas par hasard : il y a quelque chose d’une absurdité angoissée dans ce film, et Jack Sparrow, dans sa quête branquignolesque de l’immortalité, donne l’impression d’attendre Godot. La suite est souvent plus convenue : Verbinski se rappelle que des commanditaires sourcilleux lui ont confié un budget pharaonique, et tend à s’acquitter du boulot demandé. Mais si comme film de pirates, même parodique, ce troisième volet ne vaut pas tripette, comme hommage à Hellzapoppin, il vaut le détour.

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Titre original : Pirates of the Caribbean : At World’s end
Pays : Etats-Unis
Durée : 2h38
Date de sortie : 23 mai 2007
Scénario : Ted Elliott, Terry Rossio, Stuart Beattie, Jay Wolpert
Assistant réalisateur : David H. Venghaus jr.
Production : Jerry Bruckheimer
Décors : Rick Heinrichs
Photographie : Dariusz Wolski
Son : Dennis Rogers, Lee Orloff
Montage : Stephen E. Rivkin, Craig Wood
Effets visuels : Charles Gibson, John Knoll
Musique : Hans Zimmer

  • DISTRIBUTION
Jack Sparrow : Johnny Depp
Will Turner : Orlando Bloom
Elizabeth Swann : Keira Knightley
Barbossa : Geoffrey Rush
Davy Jones : Bill Nighy
Tia Dalma : Naomie Harris
Sao Feng : Chow Yun-Fat
Gibbs : Kevin R. McNally
Lord Cutler Beckett : Tom Hollander
Pintel : Lee Arenberg
Ragetti : Mackenzie Crook
« Bootstrap » Bill Turner : Stellan Skarsgård
Teague : Keith Richards
Norrington : Jack Davenport
Le gouverneur Weatherby Swann : Jonathan Pryce

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