Le Grand alibi, de Pascal Bonitzer * *

On a tué le docteur Lenoir… Pardon, le docteur Pierre Collier, mais il est souvent vêtu de noir… Dans une grande maison, celle du sénateur Henri Pagès, remplie ce week-end-là d’invités plus ou moins attendus et plus ou moins bienvenus… L’un d’eux doit être accusé de l’avoir tué, avec le revolver, dans la piscine… Pascal Bonitzer, l’affiche du film le prouve, nous convie à une petite partie de Cluedo…

Il y a évidemment une dimension ludique dans le film, liée au principe du whodunit (« kikaféça » en anglais) : un acte délictueux, un nombre de suspects qui approche celui des doigts des deux mains, des indices partant dans plusieurs directions différentes, et une seule solution que le spectateur tâche de deviner avant l’enquêteur… Si le roman d’Agatha Christie qui a inspiré le film, Le Vallon, n’est pas son chef-d’œuvre du point de vue de l’intrigue policière, une révélation finale astucieuse et de bon calibre nous attend au bout. Bien que l’intrigue soit transposée en France, Bonitzer lui donne le cachet de fausse respectabilité qui convient, en s’inspirant de loin du cinéma du très anglophile Alain Resnais ; la présence conjointe de Pierre Arditi et de Lambert Wilson vaut comme un hommage au vieux maître. Par ailleurs, l’auteur d’Encore et de Rien sur Robert impose un ton de comédie pince-sans-rire qui est sa spécialité.

Par-delà quelques idiosyncrasies (citations érudites, rôle de la psychanalyse, mise en scène du milieu intellectuel), c’est dans la remarquable direction d’acteurs que Bonitzer montre le plus de personnalité. On peut citer la très inventive Miou-Miou en bourgeoise inquiète et sourdement manipulatrice, la géniale et fugace Emmanuelle Riva, l’admirablement expressive Anne Consigny, le merveilleux Maurice Bénichou qui exhale une odeur persistante de clope froide et de velours râpé aux coudes. Mais Bonitzer place au premier plan un triangle amoureux (qui n’est qu’une part d’une chaîne sentimentale insoluble) incarné par les sidérants Céline Sallette, Valeria Bruni-Tedeschi et Mathieu Demy. Grâce à leur interprétation admirable et toujours inattendue, notamment du troisième que l’on n’avait jamais vu aussi bon, l’accent se déplace du mystère vers la comédie (ou le drame) de caractères. Le personnage de Philippe Léger, victime d’une amnésie éthylique, en vient à se soupçonner lui-même, et c’est ce qui donne le plus de poids humain à l’enquête.

J’ai utilisé beaucoup de superlatifs, mais le film a tout de même des aspects décevants qui modèrent sérieusement le plaisir que peut y prendre le (petit) spectateur. Quelques scènes très réussies exploitent au mieux l’architecture des lieux, toujours dans le registre de la comédie et de l’étude psychologique. Par contre, Pascal Bonitzer semble s’être peu soucié du puzzle policier. Le scénario est rempli de trous, délibérés semble-t-il : les liens exacts de certains personnages sont ostensiblement cachés au spectateur ; celui de Chloé semble carrément posé là ; plus ennuyeux, les explications finales, notamment sur les tribulations de l’arme du crime, reposent en grande partie sur notre imagination et notre bonne volonté. Et finalement le film est plombé par quelques « scènes à faire », notamment dans la longue exposition, qui n’ont que peu inspiré le cinéaste. L’enquête elle-même, comme processus intellectuel, est enregistrée plus que mise en scène, et résumée jusqu’à l’invraisemblance (on s’étonne par exemple de voir le policier se contenter de regarder, avec le procureur, un témoin qui s’exprime à la télévision).

Il est un peu étonnant, au fond, de choisir Agatha Christie comme base d’un suspense psychologique. Certains personnages de la romancière anglaise ont en effet une personnalité inoubliable ; d’autres relèvent d’un typage rapide et sont interchangeables, et Pascal Bonitzer a eu du mal à les extraire de leur gangue. Par contre elle propose en général des mécaniques narratives dont la complexité devient un sujet en soi (pensons, exemple récent, à L’Heure zéro). La vogue actuelle de la romancière dans le cinéma français, lancée par Pascal Thomas, et qui a valu à Bonitzer cette commande du producteur Saïd Ben Saïd, ne doit pas tenir lieu de projet artistique.

Etienne Mahieux

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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France/Italie
Durée : 1h33
Scénario : Pascal Bonitzer, Jérôme Beaujour
D’après le roman Le Vallon de : Agatha Christie
Assistant réalisateur : Sylvie Peyre
Production : Saïd Ben Saïd
Décors : Wouter Zoon
Photographie : Marie Spencer
Son : Philippe Richard
Montage : Monica Coleman
Musique : Alexei Aigui

  • DISTRIBUTION
Philippe Léger : Mathieu Demy
Marthe : Céline Sallette
Esther Bachmann : Valeria Bruni-Tedeschi
Lea Mantovani : Caterina Murino
Eliane Pagès : Miou-Miou
Henri Pagès : Pierre Arditi
Claire Collier : Anne Consigny
Le commandant Grange : Maurice Bénichou
Pierre Collier : Lambert Wilson
Chloé : Agathe Bonitzer
Geneviève Herbin : Emmanuelle Riva
Michel : Dany Brillant
Un inspecteur de police : Nicolas Koretzky
Le Contrôleur : Alain Libolt
La sœur de Claire : Laurence Côte
La journaliste de presse écrite : Hélène Frappat

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1 Commentaire

J'ai envie de le voir !!!!! (rien que pour Tedeschi, Arditi et Miou-Miou !!) :o)

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