Le Scaphandre et le papillon,de Julian Schnabel * * *

En 1997 paraissait Le Scaphandre et le papillon, récit autobiographique de l’ancien rédacteur en chef de Elle, Jean-Dominique Bauby. Victime, suite à un accident vasculaire, du locked-in syndrome, qui l’empêchait de communiquer avec le monde extérieur, il avait pu dicter ce livre en clignant de l’œil. Il mourut dix jours après la parution de ce livre unique, que le peintre américain Julian Schnabel vient d’adapter au cinéma.

La situation centrale du film est en soi un défi à toute adaptation cinématographique : le personnageprincipal est paralysé et s’exprime en clignant de l’œil, un battement pour oui, deux pour non, à moins que son interlocuteur ne récite devant lui l’alphabet, ce qui lui permet de choisir des lettres. Le problème qui se posait à Julian Schnabel était donc : comment intéresser le spectateur avec ça, au-delà de la force de la situation ? Il utilise au bout du compte plusieurs solutions successives.
Le film commence en caméra subjective, forme artificielle s’il en fut (mais pas plus que d’autres, ou plutôt, exhibant son artifice plus que d’autres) mais en l’occurrence parfaitement adaptée. Le spectateur est coincé à l’intérieur de Jean-Dominique, comme il l’est lui-même. Avec le concours que l’on devine précieux du grand Janusz Kaminski, chef-opérateur de Spielberg depuis une quinzaine d’années, Schnabel relève brillamment le défi, l’émotion naissant moins de l’image que de son contrepoint avec la voix-off de Mathieu Amalric, Bauby n’étant pas encore tout à fait conscient de son état.

Puis, comme l’exposition est terminée, et que l’intérêt se déplace sur la possibilité des relations de Bauby avec les gens qui l’entourent, Schnabel assouplit peu à peu le point de vue adopté par la mise en scène, jusqu’à aboutir à une narration tout à fait omnisciente. Le film y gagne en ampleur romanesque ce qu’il y perd en rigueur. La simple circulation des émotions et des personnes autour du héros suffit à le rendre émouvant, sans que Schnabel n’ait besoin de se livrer à de grandes envolées lyriques ou pathétiques. La justesse et la dignité permanente de l’interprétation, autour d’un Mathieu Amalric impérial, entre voix off sarcastique, flashes-back détendus et les scènes où Bauby est paralysé et où pas un instant sa crédibilité n’est prise en défaut, sont pour une bonne partie responsables de la valeur du film.

La mise en scène, toujours originale et soignée, se perd, elle, quelque peu dans le décoratif à mesure que le film avance — et peut-être même peut-on dater cela d’une séquence à Lourdes, qui balance entre souvenir et rêve, puisque Bauby doit se réfugier dans son imagination pour supporter le temps qui passe, et dont la nécessité n’est pas évidente. Que la distribution soit prestigieuse jusqu’aux apparitions les plus fugaces n’est certainement pas un défaut : d’abord, le parcours professionnel du personnage l’impose quasiment, ensuite, s’il faut montrer Nijinsky pendant vingt secondes, autant obtenir le concours de Nicolas Le Riche, magique en trois bonds ; que le film se fasse symbolique jusqu’à reprendre littéralement les images du scaphandre et du papillon, symboles à la fois de l’enfermement mental du personnage et de la liberté de son imagination (sans parler de la fébrilité de son œil), pourquoi pas ? Schnabel sait à l’occasion tirer de très beaux effets du décor de l’action — par exemple, ce morceau de ponton isolé au large de la plage de Berck — et donner à ses plans la patine du naturel. En revanche, tel pastiche des Quatre cents coups (les rues de Paris en contre-plongée au son de la musique de Jean Constantin) peut paraître hors sujet ; et la tendance systématique du film à pencher la caméra et à brusquer les travellings n’a d’autre utilité que de fondre les plans en caméra subjective dans une totalité harmonieuse. Pour le coup ce n’est pas une bonne idée, puisque cela ôte de sa singularité à l’expérience du personnage : c’est pourquoi je me permets de trouver cela simplement décoratif. C’est un cliché de reprocher à un peintre devenu cinéaste un goût superflu pour l’expérimentation plastique ; mais il faut avouer que Schnabel y prête le flanc. Cela ne va jamais, toutefois, jusqu’à affaiblir notre intérêt pour cette étonnante aventure humaine, traitée sans pirouette, sans excès de pathos et sans misérabilisme.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France / Etats-Unis
Durée : 1h52
Date de sortie : 23 mai 2007
Scénario : Ronald Harwood
D’après l’autobiographie de : Jean-Dominique Bauby
Assistant réalisateur : Stéphane Gluck
Production : Kathleen Kennedy, Jon Kilik
Décors : Laurent Ott
Photographie : Janusz Kaminski
Son : Jean-Paul Mugel, Francis Wargnier
Montage : Juliette Welfling
Musique : Paul Cantelon, Jean Constantin, Charles Trenet…

  • DISTRIBUTION
Jean-Dominique Bauby : Mathieu Amalric
Claude Mandibule : Anne Consigny
Céline Desmoulins : Emmanuelle Seigner
Henriette Durand : Marie-Josée Croze
Marie Lopez : Olatz Lopez Garmendia
Le docteur Lepage : Patrick Chesnais
Pierre Roussin : Niels Arestrup
Laurent : Isaach de Bankolé
M. Bauby : Max von Sydow
Joséphine : Marina Hands
Inès : Agathe de La Fontaine
Le père Lucien / Le marchand du temple : Jean-Pierre Cassel
Le docteur Mercier : Jean-Philippe Ecoffey
Le docteur Cocheton : Gérard Watkins
L’impératrice Eugénie : Emma de Caunes
Betty : Anne Alvaro
Mme Bauby : Françoise Lebrun
L’employé de France Télécom : Zinedine Soualem
Nijinsky : Nicolas Le Riche
Diane : Laure deClermont-Tonnerre
Caméo : Lenny Kravitz

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2 Commentaires

Ah la la ce que je me suis ennuyée !!!
Malgré la jolie symbolique du scaphandre-carcan et du papillon-liberté, j'ai trouvé le film décevant. Les plans de coupe sont souvent mauvais (à chaque fois que je commençais à rentrer dans le film, tchak !)
Et puis à force de chercher la profondeur, le film ne fait que glisser sur du superficiel.
Moi qui suis bon public, je dois avouer que je n'ai PAS ETE EMUE UN SEUL INSTANT.
Grosse déception, voilà.

Désolé... :hum:
A quels plans penses-tu quand tu parles de "plans de coupe" ?

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