L’Etrange Noël de M. Jack, de Tim Burton et Henry Selick * * * *

Monsieur Jack n’a pas une apparence très sympathique : il s’agit d’un squelette-épouvantail, officiellement chargé par le conseil municipal de Halloween Town de concevoir et de créer les pires et les plus glauques farces pour la fête de Halloween (qui correspond à la Toussaint française). Or Monsieur Jack, quoique animé d’une invention débordante, s’ennuie de plus en plus à concevoir Halloween. Un jour, ses errances mélancoliques l’amènent à Christmas Town, la ville de Noël, et voilà notre épouvantail amoureux de la fête de Noël et désireux de faire partager à ses concitoyens la joie qui règne sur Terre aux alentours du vingt-cinq décembre. Mais lesdits concitoyens ont l’esprit particulièrement bouché.

Voilà un film qui exaspère terriblement le critique nourri à la notion d’auteur que je suis. Tim Burton n’est pas le réalisateur de L’Etrange Noël de Monsieur Jack, mais il y a fort à parier que Henry Selick n’est pas seul responsable de la réussite du film : scénario original, conception graphique des décors et des personnages sont de Tim Burton, producteur du film avec Denise DiNovi, et qui a supervisé de très près le travail de Selick, tout en vaquant à la postproduction de Batman, le défi et au tournage de Ed Wood, qui devrait bientôt débarquer en France. C’est que L’Etrange Noël de M. Jack est un film d’animation d’un genre un peu particulier, puisque réalisé avec des marionnettes, procédé rarement utilisé pour des longs métrages, surtout à large diffusion, et extrêmement compliqué. Or si Tim Burton a l’imagination nécessaire, il ne possède pas la technique nécessaire, qui ne s’invente pas, et qui a nécessité l’intervention de Selick, élève méritant de Jiri Trnka.

Enfin bref, tout ça pour dire : félicitations à tous les deux ! Chapeau, triple chapeau ! Diffusé par Disney qui détenait les droits du scénario, ce film n’en est pas moins l’antithèse absolue du (et le remède radical au) Roi Lion. D’abord parce qu’il appartient en propre et totalement au monde de Tim Burton, déjà suffisamment riche pour susciter une bonne monographie (mais je n’ai pas le temps ni le talent de m’y mettre), et au sujet duquel je me contenterai de rappeler qu’il se situe au croisement des imaginaires européen et américain, qu’il est basé sur la subversion de la guimauve environnante (voir la tournée de Jack déguisé en Père Noël distribuant des jouets monstrueux), et que son imaginaire est gothique et foisonnant. Je recommande tout spécialement le personnage du maire, que je ne décrirai pas — et comme ça vous devrez aller voir le film. C’est le royaume des monstres, plus précisément, des êtres mi-chair mi-poisson, hommes-animaux (les deux Batman), hommes-spectres (Beetlejuice), hommes-robots (Edward aux mains d’argent), et ici marionnettes-hommes représentant, de plus, des êtres hybrides (le squelette vivant, la créature du professeur Finklestein…). Si je dis marionnettes-hommes, même si l’on ne voit pas le moindre acteur dans le film, c’est parce que les personnages ont une épaisseur rare dans un film de ce type, au delà de l’illustration de thèmes moraux ou psychanalytiques à la Roi Lion.

Et encore une solide imagination ne suffit-elle pas pour faire un bon film, mais l’évolution de la technique (caméra contrôlée via un ordinateur) permet à Burton et Selick de construire une vraie mise en scène qui n’a à peu près rien à envier aux films « humains » de Burton, et qui fait même la preuve que l’auteur de Beetlejuice est en train d’acquérir une plus grande maturité cinématographique : extraordinairement virtuoses et agréables, ses mouvements d’appareil n’ont plus le côté parfois intempestif qu’ils ont dans ses premiers films, et servent admirablement bien l’organisation de l’espace.

Enfin, il faut que je rende hommage au rôle de Danny Elfman, complice habituel de Tim Burton, qui a assumé tout le côté « comédie musicale » du film. Et là, puisqu’on est dans l’opposition des deux films d’animation vedettes de cet hiver, qu’on me permette de dire qu’Elton John, malgré ses efforts pour sortir de la guimauve Disney habituelle, est renvoyé dans ses paniers. Danny Elfman se place, comme toujours, sur le même terrain que son comparse (perversion de la culture populaire), et donc dans l’ombre de deux des compositeurs majeurs de ce siècle : Nino Rota et Kurt Weill (L’Opéra de quat’sous n’est jamais loin, avec même un clin d’œil explicite à un thème particulier). Ses mélodies, interprétées dans le film par un trio de marionnettes formant un jazz band forain (et horrible), ont gagné en épaisseur et en chaleur humaine. L’idée du film étant, après tout, que s’occuper de Halloween n’empêche pas d’aimer Noël, et qu’il serait dommage que Noël voulût empêcher Halloween d’exister. Heureusement que ces messieurs de chez Disney ont produit le film, sinon à leur place je me sentirais visé.

On savait déjà que Tim Burton était un bon cinéaste, L’Etrange Noël de M. Jack est la preuve qu’il peut éventuellement devenir un grand cinéaste.

P.S. En première partie, l’excellent court-métrage de Tim Burton, Vincent (1982), hommage à Vincent Price réalisé alors qu’âgé de vingt-deux ans Burton s’ennuyait à périr à dessiner le petit renard de Rox et Rouky. Préfigurant techniquement L’Etrange Noël de Monsieur Jack, ce court-métrage est également réalisé en collaboration, probablement pour les mêmes raisons.

Cette critique a paru pour la première fois dans Le Petit spectateur — papier n°33 (janvier 1995).

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h16
Titre original : Tim Burton’s The Nightmare before Christmas
Sortie : 7 décembre 1994
Scénario : Tim Burton, Michael McDowell, Caroline Thompson
Production : Tim Burton, Denise DiNovi, Jeffrey Katzenberg
Direction artistique : Tim Burton
Photographie : Pete Kozachik
Son : Richard L. Anderson
Montage : Stan Webb
Effets visuels : Kelly Asbury
Musique : Danny Elfman

  • DISTRIBUTION
Voix de la version originale :

Jack Skellington : Chris Sarandon
Barrel / Jack Skellington (chansons) : Danny Elfman
Sally / Shock : Catherine O’Hara
Le docteur Finklestein : William Hickey
Le Maire : Glenn Shadix
Lock : Paul Reuben
Oogie Boogie : Ken Page

Voix de la version française :

Jack Skellington : Olivier Constantin
Sally : Dorothée Jemma
Le docteur Finklestein : Bernard Tiphaine
Le maire : Daniel Beretta
Oogie Boogie : Richard Darbois

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1 Commentaire

Un bijou ce film !!!
L'animation est époustouflante, la musique excellente, pour moi c'est avec "Vincent" le meilleur Burton !! :oD

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