Cliente, de Josiane Balasko * *

Il y a quelques années déjà Josiane Balasko avait essayé de tourner Cliente mais les producteurs contactés s’étaient montrés méfiants devant le sujet, qui traite de la prostitution masculine (hétérosexuelle). Le scénario rejeté est devenu un roman qui, grâce à son succès en librairie est enfin devenu un film, assez bon enfant d’ailleurs, voire trop.

Judith, la cinquantaine pimpante, arpente le jardin du Luxembourg, le portable vissé à l’oreille, en tenant les rudes propos de la femme d’affaires redoutable. Premier faux-semblant : en fait elle présente le télé-achat à la télévision, dans une émission produite par sa sœur Irène. Soudain, un inconnu lui offre une fleur. Deuxième faux-semblant : en fait, il s’agit de Patrick, dont elle a loué les services sexuels pour l’après-midi. Patrick s’appelle en fait Marco, et se prostitue à de riches clientes pour payer les traites du salon de coiffure de sa femme, Fanny, qui ignore tout de la manœuvre…

Les complications seront de deux sortes : d’abord, on le devine, Fanny finira bien par s’apercevoir de la manœuvre ; de plus Judith, dont le discours cynique sur l’amour s’oppose à la sentimentalité assumée d’Irène, qui à cinquante-trois ans attend l’homme de sa vie (et le rencontre en fait assez vite), s’attache de plus en plus à son escort boy préféré…

Cliente est un joli film en raison de l’équilibre entre cruauté et tendresse qui est la marque de Josiane Balasko à son meilleur, et qui est servi par des acteurs qui font preuve de beaucoup de finesse, la cinéaste en tête, dont on ne peut pas dire qu’elle est brillamment entourée, puisque elle-même s’est réservé un rôle secondaire et nappé de confiture. Nathalie Baye excelle dans l’ostentation de maîtrise de son personnage ; quant à Eric Caravaca et Isabelle Carré, ils forment un duo extrêmement touchant, entre cynisme et vulnérabilité.

On n’en ressent pas moins une certaine insatisfaction devant ce film indéniablement plaisant, très supérieur aux péniblement volontaristes Gazon maudit et Un grand cri d’amour. On a l’impression que Josiane Balasko cherche à explorer diverses pistes, sans jamais aller jusqu’au bout de ses idées. Les rapports sexuels sont également, ici, des rapports économiques, et Cliente semble avoir des ambitions de chronique sociale : mais alors pourquoi avoir donné à Nathalie Baye un métier qui aimante une satire facile, qui semble relever du remplissage ? Quant à la (belle-)famille de Marco, dominée par Catherine Hiegel en cordon bleu à la bourse vide, elle nous vaut une description surannée du prolétariat, maladroitement actualisée par la présence d’un groupe de « cailleras » qui fait de la figuration au même titre que le blouson de cuir très années 80 du protagoniste. Enfin, l’idylle d’Irène en Arizona séduit surtout par sa totale incongruité.

Josiane Balasko tente même de séparer radicalement les deux milieux par la mise en scène. La petite sœur de Fanny, Karine (Marilou Berry), filme compulsivement sur son caméscope tout ce qui bouge dans l’étroit appartement familial. Bien sûr, c’est très moche, mais on peut voir là une représentation de la promiscuité parfois invivable dans laquelle les personnages sont contraints de vivre. Mais le procédé a ses limites (celles de la vraisemblance) et la caméra finit sur un coin de bibliothèque ; Josiane Balasko reprend alors un style passe-partout, soigné d’ailleurs, monté finement grâce à des raccords astucieux, mais peu expressif.

Le scénario semble également prendre un virage lorsque Fanny, assumant sa fonction de souteneuse, se rend dans le bureau de Judith afin de faire sa connaissance et de discuter du planning. Une jubilation naît alors chez le spectateur devant cet usage délirant de la logique, qui rappelle Blier, l’envie de pousser jusqu’au bout la description du sexe comme une affaire économique, et la volonté systématique d’inverser les caractéristiques traditionnelles du masculin et du féminin. Mais très vite le film redevient beaucoup plus sage et rentre dans les rails de la psychologie traditionnelle. Au bout du compte la fin laisse chacun dans sa petite case sentimentale et sociologique. La transgression des tabous, qui est à l’origine du sujet, ne s’étend pas à son traitement. Les (bonnes) intentions de la cinéaste sont soulignées par la bande-son, des voix-off explicatives à la musique désarmante, entre succès infra-pop utilisés, j’en ai peur, au premier degré, et rap balourd qui cherche l’assonance mais débite candidement ce qu’il convient de penser des protagonistes. Décidément, entre deux gros mots, Balasko est une sacrée sentimentale.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h45
Date de sortie : 1er octobre 2008
Scénario : Josiane Balasko, Franck Lee Joseph
Assistant réalisateur : Zazie Carcedo
Production : Cyril Colbeau-Justin, Jean-Baptiste Dupont
Décors : Olivier Radot
Photographie : Robert Alazraki
Son : Michel Kharat, Marie-Christine Ruh, Dominique Hennequin
Montage : Claudine Merlin, Marie de La Selle
Muzak : Kore

  • DISTRIBUTION
Judith : Nathalie Baye
Marco : Eric Caravaca
Fanny : Isabelle Carré
Irène : Josiane Balasko
Maggy : Catherine Hiegel
Karine : Marilou Berry
Rosalie : Félicité Wouassi
Toutoune : Jean-Christophe Folly
Jim Many-Horses : George Aguilar
Bérénice : Sandrine Le Berre
Alex : David Rousseau
Zoltan : Guillaume Verdier
L’ex-mari de Judith : Richard Berry
Marie-Hélène : Maria Schneider
Jean-Louis : Guillaume Nicloux
Le patron du bar : Gérard Krawczyk

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