Guillaume Depardieu (1971-2008)

Comme souvent dans ces cas-là, on s’est d’abord pincé, on a cru à un erreur, à un lapsus… mais non. Au bout de trente-sept petites années ponctuées de malheurs et de frasques, mais surtout d’apparitions lumineuses sur le grand écran, Guillaume Depardieu est mort le 13 octobre 2008.

« Un grand enfant de dix-sept ans, rouge comme la crête d’un vieux coq »… C’est par ces mots que Pascal Quignard décrit l’arrivée de Marin Marais dans Tous les matins du monde. Le film d’Alain Corneau répondait aux attentes du romancier : Guillaume Depardieu, la mine butée, le cheveu dans l’œil, avançait à grandes enjambées face à la caméra. Une énergie indomptable, une présence solaire, une gaucherie permanente : une apparition. La voix de son père ajoutait « C’était moi » et on avait l’impression d’un passage de témoin. En trois plans, Guillaume Depardieu s’était fait un prénom.

Difficile pourtant d’être le fils d’une icône : enfant de Gérard et Elisabeth Depardieu (et, comme on le découvrirait plus tard avec délices, frère de Julie), Guillaume Depardieu devait rester longtemps le fils de son père, et semblait condamné, peut-être par le souvenir même du film de Corneau, à être régulièrement sa doublure en jeune homme : Dantès jeune dans Monte Cristo, Valjean jeune dans Les Misérables… Ils n’eurent, enfin, l’occasion de jouer vraiment face à face que dans Aime ton père de Jacob Berger : encore était-ce une mise en scène de cette filiation.

Pour les cinéphiles, pourtant, Guillaume Depardieu était, tel qu’en lui-même, un acteur inoubliable. Pierre Salvadori l’a compris le premier, qui tout au long des années 1990 en a fait son acteur fétiche, pour ne pas dire sa muse, tant la présence physique de l’acteur irradie ses films de façon presque ambiguë. Tueur débutant dans Cible émouvante, chômeur dégingandé dans Les Apprentis (César du meilleur espoir masculin), gangster affectueux dans …comme elle respire, Guillaume Depardieu a marqué les spectateurs. Petit à petit les autres cinéastes ont suivi, et notamment Léos Carax qui lui a confié le rôle central écrasant de Pierre ou, les Ambiguïtés, où l’acteur était chevalier mythique puis épave punk.

Guillaume Depardieu a brûlé son existence comme un combustible toxique. La drogue, la prison, les accidents ont sapé sa grande carcasse emportée par une pneumonie foudroyante. En 2003, face à la douleur incessante provoquée par une maladie nosocomiale, il s’était fait amputer une jambe et avait alors annoncé qu’il comptait abandonner son métier d’acteur pour se consacrer à la musique. Ce sont alors les cinéastes, et notamment les plus exigeants, Jacques Rivette, Serge Bozon, Bertrand Bonello, Pierre Schoeller entre autres, qui sont revenus le chercher, pour lui confier des personnages eux-mêmes brûlés et marqués par l’existence.

Une nouvelle et grande carrière s’ouvrait pour Guillaume Depardieu, le jeune premier délicieusement pataud ayant fait place à une figure hallucinée et magistrale dans la lignée de Robert Le Vigan ou de Laurent Terzieff. Nous avions l’impression de n’avoir encore rien vu. Pour toujours, ce n’est qu’un début.

Guillaume oh Guillaume
l’adulte est un grand mort
porté par un enfant
tout au clair de la lune
et quand l’enfant se lasse
et dit j’arrête j’ai trop sommeil
l’adulte se lève et met l’enfant en terre
et les deux disparaissent
le soldat et le petit garçon
le mort et le vif

Christian Bobin, Un livre inutile
(Fata Morgana, 1992)

Etienne Mahieux


  • Filmographie
2008
De la guerre de Bertrand Bonello
Versailles de Pierre Schoeller
Stella de Sylvie Verheyde
Circuit fermé de Christine Dory
Château en Suède de Josée Dayan (téléfilm)

2007
Ne touchez pas la hache de Jacques Rivette
La France de Serge Bozon
Les Yeux bandés de Thomas Lilti
Peur(s) du noir de Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre Di Sciullo, Lorenzo
Mattotti et Richard McGuire

2006
Célibataires de Jean-Michel Verner

2005
Les Rois maudits de Josée Dayan (téléfilm)

2004
Milady de Josée Dayan (téléfilm)
Process de C.S. Leigh

2003
Le Pharmacien de garde de Jean Veber

2002
Comme un avion de Marie-France Pisier
Aime ton père de Jacob Berger
Napoléon de Yves Simoneau (téléfilm)
Peau d’ange de Vincent Perez

2001
Zaïde, un petit air de vengeance de Josée Dayan (téléfilm)
L’Aquarium de Mathieu Baillargeon (court-métrage)
Amor, curiosidad, prozak y dudas de Miguel Santesmases

2000
Les Marchands de sable de Pierre Salvadori [version courte pour la télévision : Le
Détour]
Les Misérables de Josée Dayan (téléfilm)

1999
Pierre ou, les Ambiguïtés [Pola X] de Léos Carax

1998 …comme elle respire de Pierre Salvadori
Le Comte de Monte Cristo de Josée Dayan (téléfilm)

1997
Marthe de Jean-Loup Hubert
Alliance cherche doigt de Jean-Pierre Mocky
Le Constat d’Olivier Bardy (court-métrage)
Sans titre de Leos Carax (court-métrage)

1996
Ricky de Philippe Setbon (téléfilm)
Dans la décapotable de Merzak Allouache (court-métrage dans la série télévisée L’Amour est à réinventer)

1995
Les Apprentis de Pierre Salvadori

1994
L’Histoire du garçon qui voulait qu’on l’embrasse de Philippe Harel

1993
Cible émouvante de Pierre Salvadori

1992
Les Paroles invisibles d’Etienne Faure (court-métrage)

1991
Tous les matins du monde d’Alain Corneau

1990
Taggers de Cyril Collard (téléfilm)

1974
Pas si méchant que ça de Claude Goretta

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