Coluche, l’histoire d’un mec, de Antoine de Caunes * * *
Est-ce vraiment l’histoire d’un mec ? Oui, si l’on n’entend pas par là une biographie au long cours, mais une histoire drôle et vaguement sinistre, celle d’un clown génial qui se mêle, le temps d’un hiver, d’une élection présidentielle cruciale. Pour raconter l’histoire de ce mec débordant, Antoine de Caunes signe un film rigoureux.
A l’automne 1980, l’élection présidentielle semble devoir se jouer entre le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, et un candidat de gauche encore inconnu : sera-ce François Mitterrand ou Michel Rocard ? Le PS est (déjà) occupé de querelles intestines. Assommée de surcroît par la rupture de l’Union de la gauche et les résultats décevants des législatives et des européennes, l’opposition semble mal partie. Foutus pour foutus… Coluche, qui triomphe alors tous les soirs au théâtre et qui est devenu une vedette du cinéma, annonce sa candidature, au nom de tous les laissés-pour-compte de la nation. Pure blague, ou candidature d’un blagueur ? Il laisse traîner le doute, qui bientôt semble s’installer dans son propre esprit…
Antoine de Caunes est désormais un réalisateur expérimenté, et son traitement d’un sujet sans doute cher à son cœur, puisqu’il a pu côtoyer Coluche lors de la naissance de Canal+ (rappelez-vous…), doit beaucoup à sa maturité de cinéaste. On ne trouve dans Coluche aucune tentative de se faire valoir, ou plutôt on en trouve une seule, presque à titre d’épreuve-témoin : un travelling latéral allant d’appartement en appartement au moment où la télévision diffuse la déclaration de candidature de Coluche. Dans cette tentative de jouer les Brian DePalma ou les Jean-Pierre Jeunet, Antoine de Caunes se vautre. Elle reste isolée.
L’essentiel du film est marqué au coin d’un réalisme énergique, au découpage fluide qui, apparemment consacré aux personnages, s’attarde inopinément sur des compositions à valeur iconique (ainsi Coluche posant, en veste de costume, écharpe tricolore… et caleçon). Le réalisateur maquille aussi peu que possible le Paris contemporain, qui ne diffère que peu de celui de 1980, et laisse à son personnage le soin de détonner (1) en permanence. La photographie met en valeur, je ne ris pas, les mailles énormes du gros pull jaune de Coluche sur le plateau déjà aseptisé de la chaîne qui s’appelait encore Antenne 2. Voilà le genre de détail qui expose et explique à la fois la fascination opérée par le canular coluccien. Dans le rôle-titre, François-Xavier Demaison est à la fois fin et hénaurme, comme il convenait, et dépasse largement l’exercice d’imitation. On voit Coluche à l’écran, comme on voyait Mitterrand dans Le Promeneur du Champ de mars. C’est en effet une autre qualité du film à mettre au crédit d’Antoine de Caunes : sa distribution composée d’éternels-seconds-rôles et autres on-ne-sait-jamais-comment-ils-s’appellent, qui tous ont le talent et la modestie de s’effacer derrière leur personnage. Tous, des excellents Olivier Gourmet et Laurent Bateau dont les personnages ne sont pas des figures publiques, à Denis Podalydès, croustillant sans méchanceté en Attali machiavélique mais sincère, à l’enthousiasmant Gil Gaillot en professeur Choron, ou au grand Alexandre Astier, drôle et mélancolique dans le rôle de ce grand drôle mélancolique de Reiser, ressuscitent un petit monde.
De Caunes nous fait, et c’était l’essentiel, croire à son personnage, perdu dans une sorte de fuite en avant, coincé entre deux cultures, l’une, populaire, prêtant le flanc au poujadisme et l’autre, libertaire mais élitiste, et vite dépassé par les événements. Il donne aussi à l’équipée de Coluche une singulière actualité. Fumeurs de joints, trublions excentriques, parcourant les rues de Paris sur leurs grosses cylindrées comme Hopper et Fonda parcouraient l’Amérique, Coluche et ses potes sortent des années 1970 et vont se fracasser sur les années 1980. La candidature de Coluche est portée par la première grande vague de désillusion politique du peuple français. « J’arrêterai de faire de la politique, annonce le candidat au nez rouge, quand les hommes politiques arrêteront de nous faire rire » avant de lancer son fameux « tous pourris ! ». Si la candidature de Coluche, comme veut le croire l’Attali du film, a servi la victoire finale de la gauche, elle révèle aussi un malaise, un désenchantement qui s’exprimeront plus tard dans l’abstentionnisme, ou dans le succès du Front National, et qui ont conduit de nombreux hommes politiques, de plus en plus, et sous prétexte de proximité avec leurs électeurs, à flatter nos comportements grégaires, à parier sur notre sottise plutôt que sur notre intelligence : il n’est que d’entendre la dégradation de leur langage (Mitterrand fut sans doute le dernier à employer des imparfaits du subjonctif à l’oral). Il n’est pas étonnant alors que les suffrages se portent sur les authentiques crétins aussi bien que sur les faux stupides. Antoine de Caunes, en ressuscitant le fou du roi, le bouffon génial qui révéla cette coupure entre le peuple et ses dirigeants, nous permet en fait de réfléchir sur notre époque.
(1) Oui. Détonner, bruyamment, comme un coup de tonnerre, et non pas « dénoter » (qui veut dire « signifier »), comme l’écrivent de plus en plus de scribouillards qui feraient bien d’acheter un dictionnaire.
Durée : 1h43
Date de sortie : 15 octobre 2008
Scénario : Antoine de Caunes, Diastème
D’après les ouvrages de : Philippe Boggio, Jean-Michel Vaguelsy
Assistant réalisateur : Pascal Salafa
Production : Thomas Anargyros, Edouard de Vesinne
Décors : Alain Veissier
Photographie : Thomas Hardmeier
Son : Stéphane Lioret, Jérôme Wiciak
Montage : Christophe Pinel
Musique : Ramon Pipin
Jacques l’imprésario : Olivier Gourmet
Jean-Paul : Laurent Bateau
Véronique Colucci : Léa Drucker
Romain (Goupil) : Jean-Pierre Martins
Jean-Marc Reiser : Alexandre Astier
Laurence : Valérie Crouzet
Le professeur Choron : Gil Gaillot
Eric : Serge Riaboukine
Jacques Attali : Denis Podalydès
Gérard Nicoud : François Rollin
Jean-Claude : Bernie Bonvoisin
Félix : Luc-Antoine Diquéro
René : Albert Dray
La femme exaltée : Michèle Garcia
Monette : Bernadette Le Saché
La journaliste d’Antenne 2 : Daphné Roulier
Une infirmière : Emma de Caunes
A l’automne 1980, l’élection présidentielle semble devoir se jouer entre le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, et un candidat de gauche encore inconnu : sera-ce François Mitterrand ou Michel Rocard ? Le PS est (déjà) occupé de querelles intestines. Assommée de surcroît par la rupture de l’Union de la gauche et les résultats décevants des législatives et des européennes, l’opposition semble mal partie. Foutus pour foutus… Coluche, qui triomphe alors tous les soirs au théâtre et qui est devenu une vedette du cinéma, annonce sa candidature, au nom de tous les laissés-pour-compte de la nation. Pure blague, ou candidature d’un blagueur ? Il laisse traîner le doute, qui bientôt semble s’installer dans son propre esprit…
Antoine de Caunes est désormais un réalisateur expérimenté, et son traitement d’un sujet sans doute cher à son cœur, puisqu’il a pu côtoyer Coluche lors de la naissance de Canal+ (rappelez-vous…), doit beaucoup à sa maturité de cinéaste. On ne trouve dans Coluche aucune tentative de se faire valoir, ou plutôt on en trouve une seule, presque à titre d’épreuve-témoin : un travelling latéral allant d’appartement en appartement au moment où la télévision diffuse la déclaration de candidature de Coluche. Dans cette tentative de jouer les Brian DePalma ou les Jean-Pierre Jeunet, Antoine de Caunes se vautre. Elle reste isolée.
L’essentiel du film est marqué au coin d’un réalisme énergique, au découpage fluide qui, apparemment consacré aux personnages, s’attarde inopinément sur des compositions à valeur iconique (ainsi Coluche posant, en veste de costume, écharpe tricolore… et caleçon). Le réalisateur maquille aussi peu que possible le Paris contemporain, qui ne diffère que peu de celui de 1980, et laisse à son personnage le soin de détonner (1) en permanence. La photographie met en valeur, je ne ris pas, les mailles énormes du gros pull jaune de Coluche sur le plateau déjà aseptisé de la chaîne qui s’appelait encore Antenne 2. Voilà le genre de détail qui expose et explique à la fois la fascination opérée par le canular coluccien. Dans le rôle-titre, François-Xavier Demaison est à la fois fin et hénaurme, comme il convenait, et dépasse largement l’exercice d’imitation. On voit Coluche à l’écran, comme on voyait Mitterrand dans Le Promeneur du Champ de mars. C’est en effet une autre qualité du film à mettre au crédit d’Antoine de Caunes : sa distribution composée d’éternels-seconds-rôles et autres on-ne-sait-jamais-comment-ils-s’appellent, qui tous ont le talent et la modestie de s’effacer derrière leur personnage. Tous, des excellents Olivier Gourmet et Laurent Bateau dont les personnages ne sont pas des figures publiques, à Denis Podalydès, croustillant sans méchanceté en Attali machiavélique mais sincère, à l’enthousiasmant Gil Gaillot en professeur Choron, ou au grand Alexandre Astier, drôle et mélancolique dans le rôle de ce grand drôle mélancolique de Reiser, ressuscitent un petit monde.
De Caunes nous fait, et c’était l’essentiel, croire à son personnage, perdu dans une sorte de fuite en avant, coincé entre deux cultures, l’une, populaire, prêtant le flanc au poujadisme et l’autre, libertaire mais élitiste, et vite dépassé par les événements. Il donne aussi à l’équipée de Coluche une singulière actualité. Fumeurs de joints, trublions excentriques, parcourant les rues de Paris sur leurs grosses cylindrées comme Hopper et Fonda parcouraient l’Amérique, Coluche et ses potes sortent des années 1970 et vont se fracasser sur les années 1980. La candidature de Coluche est portée par la première grande vague de désillusion politique du peuple français. « J’arrêterai de faire de la politique, annonce le candidat au nez rouge, quand les hommes politiques arrêteront de nous faire rire » avant de lancer son fameux « tous pourris ! ». Si la candidature de Coluche, comme veut le croire l’Attali du film, a servi la victoire finale de la gauche, elle révèle aussi un malaise, un désenchantement qui s’exprimeront plus tard dans l’abstentionnisme, ou dans le succès du Front National, et qui ont conduit de nombreux hommes politiques, de plus en plus, et sous prétexte de proximité avec leurs électeurs, à flatter nos comportements grégaires, à parier sur notre sottise plutôt que sur notre intelligence : il n’est que d’entendre la dégradation de leur langage (Mitterrand fut sans doute le dernier à employer des imparfaits du subjonctif à l’oral). Il n’est pas étonnant alors que les suffrages se portent sur les authentiques crétins aussi bien que sur les faux stupides. Antoine de Caunes, en ressuscitant le fou du roi, le bouffon génial qui révéla cette coupure entre le peuple et ses dirigeants, nous permet en fait de réfléchir sur notre époque.
(1) Oui. Détonner, bruyamment, comme un coup de tonnerre, et non pas « dénoter » (qui veut dire « signifier »), comme l’écrivent de plus en plus de scribouillards qui feraient bien d’acheter un dictionnaire.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h43
Date de sortie : 15 octobre 2008
Scénario : Antoine de Caunes, Diastème
D’après les ouvrages de : Philippe Boggio, Jean-Michel Vaguelsy
Assistant réalisateur : Pascal Salafa
Production : Thomas Anargyros, Edouard de Vesinne
Décors : Alain Veissier
Photographie : Thomas Hardmeier
Son : Stéphane Lioret, Jérôme Wiciak
Montage : Christophe Pinel
Musique : Ramon Pipin
- DISTRIBUTION
Jacques l’imprésario : Olivier Gourmet
Jean-Paul : Laurent Bateau
Véronique Colucci : Léa Drucker
Romain (Goupil) : Jean-Pierre Martins
Jean-Marc Reiser : Alexandre Astier
Laurence : Valérie Crouzet
Le professeur Choron : Gil Gaillot
Eric : Serge Riaboukine
Jacques Attali : Denis Podalydès
Gérard Nicoud : François Rollin
Jean-Claude : Bernie Bonvoisin
Félix : Luc-Antoine Diquéro
René : Albert Dray
La femme exaltée : Michèle Garcia
Monette : Bernadette Le Saché
La journaliste d’Antenne 2 : Daphné Roulier
Une infirmière : Emma de Caunes
1 Commentaire
28 décembre 2008 à 13:29
Faisons crédit à De Caunes de ne pas nous imposer une biographie pesante à la Larry Flint, d'avoir choisi une période précise, d'en avoir fait l'histoire. Après ? Je garde à titre personnel le sentiment de ne pas avoir bien compris où De Caunes voulait en venir. Et je lui en veux encore pour certains plans, notamment le démarrage du zoom final sur un clodo qui fouille une poubelle. En effet, la chute du candidat Coluche, c'est aussi sa plongée dans une forme de médiocrité crasse qui le mènera tout droit au rose bonbon des restos du coeur. Que la période racontée soit une rupture, je le soutiens très fort, que la suite de cette période soit autre chose qu'une plongée dans le rose fluo de l'humanitaire starisé, je le nie totalement. Or le film est traversé de moments qui suggèrent cette lente déchéance (la réponse de Coluche à Libé : je suis contre, la blague qu'il raconte à ses enfants, etc.) Mais toujours, cet effet lumineux est contrecarré par un hommage appuyé, où passe alors le sens ? Où sont Choron, Attali, qui disparaissent lentement dans le paysage ? Film timide à mes yeux.
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