W. (L’Improbable président), de Oliver Stone * *

Oliver Stone est un réalisateur énervé. George W. Bush est un président énervant. Déjà auteur de films consacrés à Kennedy et à Nixon, l’auteur de Tueurs-nés s’attaque au futur ex-locataire de la Maison Blanche. Il le fait, contre toute attente, d’une manière nuancée et assez légère, mais au fond anecdotique.

Difficile de résumer un film dont l’une des adresses est de n’être pas strictement chronologique : on est obligé de le mettre à plat. En biopic classique, W. décrit l’ensemble du parcours de George W. Bush, de ses années étudiantes à la fin de son premier mandat : son alcoolisme, ses premières campagnes électorales, sa désintoxication sous influence religieuse, son accession à la Maison Blanche, l’invasion de l’Irak sur des bases aberrantes, et l’enlisement de la guerre. Et par dessus tout, l’ombre de ce père trop puissant, forcément confondu avec la Loi, et dont les anciens conseillers utiliseront le fils pour imposer leurs propres desseins politiques.

Le ton est à la farce. Bush jeune homme est saisi en plein bizutage de sa fraternité universitaire : c’est déjà un clown. Oliver Stone mène les meilleures scènes sur un ton rigoureusement prosaïque, soulignant l’inaptitude totale de son personnage, non seulement au décorum, mais même à toute élégance de comportement. Oui, vous verrez le bretzel, mais plus finement, les repas à Washington tournent au pique-nique arrosé de soda, et c’est plus significatif. La caméra tangue volontiers, ce qui n’est pas très joli mais, souvent, donne l’impression que le « héros », saisi en gros plan, tangue lui-même pas mal : alcoolisé ou non, il a du mal à maîtriser son environnement. D’autres scènes se font plus symboliques : les meilleures sont les plus incongrues, tels le rêve récurrent sur le base-ball, ou la promenade champêtre imitée du Charme discret de la bourgeoisie.

Une bonne part de la saveur du film vient des acteurs. Josh Brolin, déjà impeccable en demi-glandu dans No Country for old men, est ici admirable en semi-patate (même s’il est trop âgé en étudiant, de même qu’Elizabeth Banks est trop jeune en First Lady : les perruques ne font pas tout). Brolin et Stone donnent au président une candeur touchante qui empêche le film de tourner au jeu de massacre. Non, Bush n’a absolument pas la carrure de la fonction, oui c’est un couillon, mais un couillon sincère et qui fait de son mieux. C’est-à-dire très mal.

Autour de lui, à part un James Cromwell tout en rigueur, une bande de galopins s’amuse à imiter les hommes politiques, et c’est peu de dire que la plupart des dirigeants n’en sortent pas grandis : Richard Dreyfuss , Toby Jones et Scott Glenn sont remarquables en âmes damnées, et Thandie Newton fait de Condoleeza Rice une yes girl très amusante (et qui n’est pas sans équivalents hexagonaux).

Pourquoi, dès lors, restons-nous sur ce sentiment de frustration ? Anti-bushisme primaire ? Je ne crois pas. Au fond, Oliver Stone évite le cœur de son sujet. S’appuyant sur ce que tout le monde sait déjà — au moins, tout le monde qui lit les journaux — il ne se montre d’abord guère subversif. Certaines scènes sont mémorables tant la suffisance des dirigeants américains y éclate, mais ce sont les personnages secondaires qui y frappent le plus, ainsi Donald Rumsfeld se rasseyant tranquillement pour finir son sandwich après que le président a pris conscience que la campagne irakienne était basée sur du vent.

Au fond, le principal problème d’une comédie sur Bush, c’est que Bush est au départ un personnage comique — et Clinton jouait déjà, à dessein sans doute, au grand gars tout simple. Stone ne parvient pas à déboulonner la statue du président : il s’est déboulonné tout seul, si boulons il y eut jamais. Qui plus est, une fois posé que Bush est un couillon sincère, la question devient : comment, dans l’une des plus grandes et des plus anciennes démocraties du monde, a-t-on pu élire un tel couillon à la magistrature suprême ? Stone évite sa vraie cible : soit le peuple (qu’on le change !), soit plus sérieusement la machine politico-médiatique qui fait des Etats-Unis un pays en élections permanentes, où les premiers mardis de novembre ont parfois un air d’Academy Awards. (Comprenez-moi bien : nous prenons le même chemin.)

Faute que ces questions soient posées, on reste dans l’anecdote. Celle-ci est peut-être la meilleure façon de décrire et d’expliquer la personnalité de Bush, mais enfin il ne s’agit pas de Monsieur Tout-le-Monde, et le film manque d’une vraie dimension politique. C’est la limite importante d’une réussite mineure.

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis / Grande-Bretagne / Allemagne
Titre original : W.
Durée : 2h10
Date de sortie : 29 octobre 2008
Scénario : Stanley Weiser
Assistant réalisateur : Maria Mantia
Production : Bill Block, Moritz Borman, Paul Hanson, Eric Kopeloff
Décors : Derek R. Hill
Photographie : Phedon Papamichael
Son : James Moriana, Wylie Stateman, John Pritchett
Montage : Joe Hutshing, Julie Monroe
Effets visuels : John Scheele
Musique : Paul Cantelon

  • DISTRIBUTION
George Walker Bush : Josh Brolin
George Herbert Walker Bush : James Cromwell
Laura Bush : Elizabeth Banks
Barbara Bush : Ellen Burstyn
Paul Wolfowitz : Dennis Boutsikaris
Dick Cheney : Richard Dreyfuss
Donald Rumsfeld : Scott Glenn
Tony Blair : Ioan Gruffudd
Karl Rove : Toby Jones
Earle Hudd : Stacy Keach
George Tenet : Bruce McGill
Condoleeza Rice : Thandie Newton
Colin Powell : Jeffrey Wright
Don Evans : Noah Wyle

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