Musée haut musée bas, de Jean-Michel Ribes * * *
Bouillonnant directeur du Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes n’était plus retourné derrière une caméra depuis plus de dix ans. Il adapte ici l’une de ses dernières pièces, créée avec grand succès. Au delà de la satire de notre rapport à l’art, Musée haut musée bas explore des régions poétiques et inattendues, et cette générosité emporte le morceau.
Dans une grande ville générique se trouve une sorte de musée total, qui expose aussi bien des vestiges préhistoriques que les impressionnistes, une rétrospective sur la peinture baroque que la fine fleur de l’art contemporain. Incroyablement étendu, il est géré avec une passion maniaque par le rigoureux monsieur Mosk, fanatique de l’art et du génie humain. Musée haut musée bas commence par l’invasion du musée par une horde de visiteurs remplis d’appétit, et le fil conducteur en est fourni par la lutte désespérée de Mosk contre toute infiltration de la nature dans son établissement.
Musée haut musée bas s’attache, en parallèle, à divers visiteurs ou groupes de visiteurs en proie, tout d’abord à la difficulté de se repérer dans cet établissement gigantesque qui tient du labyrinthe kafkaïen (puisque tout est tout le temps à la disposition de tous, personne n’arrive jamais à rien trouver), ensuite à leurs émotions face à l’art, que celles-ci soient ou non dirigées par leur culture ou, le cas échéant, leur manque de culture. Le personnel du musée connaît lui-même bien des aventures, ainsi que Sulki et Sulku, deux étranges personnages qui semblent être une œuvre d’art ambulante, d’une très nette tendance conceptuelle kitsch (1).
Cet univers claustrophobique et tout à la gloire de l’art et de l’artifice a conduit le scénariste de Cœurs qu’est Jean-Michel Ribes à s’inspirer humblement et intelligemment du cinéma d’Alain Resnais. Sa façon de redessiner, avec la caméra, un décor spectaculaire et proche de l’abstraction au point que les incursions de la nature y imposent, leur étrangeté (du moins dans la première partie où n’interviennent pas trop d’effets spéciaux), le sens de la stylisation des personnages, font inévitablement penser au maître breton ; la présence de Pierre Arditi, d’André Dussollier et d’Isabelle Carré (géniale) résonne même ici comme un écho.
Si pourtant on n’est pas entièrement emballé ; si, disons, l’emballement a des à-coups, c’est en raison d’une exécution parfois hésitante. Le film souffre, tout d’abord, de problèmes de rythme. S’il est jubilatoire de passer à toute vitesse d’une situation à une autre, de voir des personnages esquissés, ou rappelés, en quinze ou vingt secondes, le (petit) spectateur finit par ne plus attendre de scènes amplement développées, comme le sont notamment celles qui sont consacrées à l’art contemporain, dialogues de Sulki et Sulku, happening orchestré par le personnage de Micha Lescot, ou découverte de l’installation très inattendue de Karl Paulin, dont l’œuvre est constituée par ses visiteurs même. On voudrait que la frénésie continue, et on a tort, car c’est alors que la fantaisie de Jean-Michel Ribes se déploie. Seulement, c’est une fantaisie qui est en bonne partie littéraire ; au fond, dans ces moments-là, l’imagination de l’auteur de théâtre dépasse celle du cinéaste, qui fait pourtant tous ses efforts. Autre symptôme de cette transition inégalement réussie d’un art à l’autre : la direction incertaine des acteurs, qui vocifèrent à certains moments comme s’ils devaient se faire entendre sur le grand plateau du théâtre de Chaillot, et lors d’autres passages sont rigoureusement parfaits. Au fond Ribes est en conflit contre lui-même, et ne peut donc en sortir entièrement vainqueur.
Pourtant le film touche par la richesse de son invention. J’ai pu lire ici ou là que les théories développées sur l’art y sont rigoureusement primaires. J’ai envie de répondre qu’aucune théorie n’est développée. Ribes donne la parole à des personnages dont les réactions sont, du moins au départ, d’un parfait réalisme (quiconque visite une exposition en a entendu autant), et c’est leur décalage grandissant, qui touche parfois au monstrueux, avec des situations qui flirtent avec le fantastique, qui fait surgir des problématiques parfaitement sérieuses voire profondes. Nous ne sommes pas face à un traité, mais face à une fable éclatée et bouillonnante. L’autre grande marque de la générosité de l’œuvre est son caractère choral, très au-delà de ce que l’on peut voir d’habitude. Si le personnage de Mosk est relativement central, et justifie la mise en vedette de Michel Blanc, la distribution étonne par son caractère éclaté (il y a au moins cent personnages) et par un travail de troupe rare au cinéma. Les vedettes populaires (de Pierre Arditi à Gérard Jugnot) croisent les piliers du théâtre subventionné (de Jean-Damien Barbin à Florence Viala) comme privé (d’Urbain Cancelier à Franck de La Personne) en passant par quelques apparitions réjouissantes (d’Alfredo Arias à Fabienne Pascaud). Et tout ce monde-là à égalité, ensemble. Un exemple réjouissant est le grand lamento collectif des gardiens du musée, où Fabrice Luchini, Christian Hecq ou Samir Guesmi interviennent dans un travail choral très rigoureux. Un beau travail dû, c’est une évidence, au charisme du maître d’œuvre.
(1) Baffe.
Durée : 1h33
Date de sortie : 19 novembre 2008
Scénario : Jean-Michel Ribes d’après sa pièce de théâtre
Assistant réalisateur : Hubert Engamare
Production : Frédéric Brillion, Gilles Legrand, Dominique Besnehard
Décors : Patrick Dutertre
Photographie : Pascal Ridao
Son : François de Morant, Raphaël Sohier, Thierry Lebon
Montage : Yann Malcor
Effets visuels : Olivier Poujaud
Musique : Reinhardt Wagner
Gilles : Simon Abkarian
Clara : Victoria Abril
Henri : Pierre Arditi
Invité au vernissage : Alfredo Arias
Gardien de l’œuvre de Karl Pauiln : John Arnold
Sabine : Sophie Artur
Vierge de Lourdes : Hélène Babu
Mère de José : Josiane Balasko
Sulki : Jean-Damien Barbin
Aux toilettes : Dominique Besnehard
Nina : Evelyne Bouix
Bernard : Urbain Cancelier
Carole : Isabelle Carré
Luc : Loïc Corbery
Guide du Family Art : Eva Darlan
Responsable de l’accueil : François-Xavier Demaison
Ministre de la Culture : André Dussollier
Guide qui a peur de la perspective : Julie Ferrier
Sulku : Xavier Gallais
Max : Guillaume Galienne
Lionel : Laurent Gamelon
Fernande : Annie Grégorio
Gardien polymorphe : Samir Guesmi
Guide pour étrangers : Patrick Haudecoeur
Gardien hétérosexuel : Christian Hecq
Roland : Gérard Jugnot
Frilon : Philippe Khorsand
M. Rochebouet : Franck de La Personne
Valérie : Valérie Lemercier
Jocelyn : Louis-Do de Lencquesaing
José : Micha Lescot
Christian : Pierre Lescure
Mari de Clara : Patrick Ligardes
Gardien philosophe : Fabrice Luchini
Thérèse : Valérie Mairesse
Giovanna : Marilù Marini
Laurence : Tonie Marshall
Mme Stenthels : Yolande Moreau
Hervé : François Morel
Anne : Chantal Neuwirth
Dame rêveuse : Fabienne Pascaud
Gardien de mammouths : Christian Pereira
Guide de l’exposition Paulin : Aurélia Petit
Simon : Dominique Pinon
Liliane : Micheline Presle
Maurice : Daniel Prévost
Camille : Alexie Ribes
Père de Camille : Jean-Michel Ribes
Dame qui cherche Kandinsky : Muriel Robin
Visiteuse des mammouths : Florence Viala
et
Judith Chemla
Michèle Garcia
Raphaëline Goupilleau
Dans une grande ville générique se trouve une sorte de musée total, qui expose aussi bien des vestiges préhistoriques que les impressionnistes, une rétrospective sur la peinture baroque que la fine fleur de l’art contemporain. Incroyablement étendu, il est géré avec une passion maniaque par le rigoureux monsieur Mosk, fanatique de l’art et du génie humain. Musée haut musée bas commence par l’invasion du musée par une horde de visiteurs remplis d’appétit, et le fil conducteur en est fourni par la lutte désespérée de Mosk contre toute infiltration de la nature dans son établissement.
Musée haut musée bas s’attache, en parallèle, à divers visiteurs ou groupes de visiteurs en proie, tout d’abord à la difficulté de se repérer dans cet établissement gigantesque qui tient du labyrinthe kafkaïen (puisque tout est tout le temps à la disposition de tous, personne n’arrive jamais à rien trouver), ensuite à leurs émotions face à l’art, que celles-ci soient ou non dirigées par leur culture ou, le cas échéant, leur manque de culture. Le personnel du musée connaît lui-même bien des aventures, ainsi que Sulki et Sulku, deux étranges personnages qui semblent être une œuvre d’art ambulante, d’une très nette tendance conceptuelle kitsch (1).
Cet univers claustrophobique et tout à la gloire de l’art et de l’artifice a conduit le scénariste de Cœurs qu’est Jean-Michel Ribes à s’inspirer humblement et intelligemment du cinéma d’Alain Resnais. Sa façon de redessiner, avec la caméra, un décor spectaculaire et proche de l’abstraction au point que les incursions de la nature y imposent, leur étrangeté (du moins dans la première partie où n’interviennent pas trop d’effets spéciaux), le sens de la stylisation des personnages, font inévitablement penser au maître breton ; la présence de Pierre Arditi, d’André Dussollier et d’Isabelle Carré (géniale) résonne même ici comme un écho.
Si pourtant on n’est pas entièrement emballé ; si, disons, l’emballement a des à-coups, c’est en raison d’une exécution parfois hésitante. Le film souffre, tout d’abord, de problèmes de rythme. S’il est jubilatoire de passer à toute vitesse d’une situation à une autre, de voir des personnages esquissés, ou rappelés, en quinze ou vingt secondes, le (petit) spectateur finit par ne plus attendre de scènes amplement développées, comme le sont notamment celles qui sont consacrées à l’art contemporain, dialogues de Sulki et Sulku, happening orchestré par le personnage de Micha Lescot, ou découverte de l’installation très inattendue de Karl Paulin, dont l’œuvre est constituée par ses visiteurs même. On voudrait que la frénésie continue, et on a tort, car c’est alors que la fantaisie de Jean-Michel Ribes se déploie. Seulement, c’est une fantaisie qui est en bonne partie littéraire ; au fond, dans ces moments-là, l’imagination de l’auteur de théâtre dépasse celle du cinéaste, qui fait pourtant tous ses efforts. Autre symptôme de cette transition inégalement réussie d’un art à l’autre : la direction incertaine des acteurs, qui vocifèrent à certains moments comme s’ils devaient se faire entendre sur le grand plateau du théâtre de Chaillot, et lors d’autres passages sont rigoureusement parfaits. Au fond Ribes est en conflit contre lui-même, et ne peut donc en sortir entièrement vainqueur.
Pourtant le film touche par la richesse de son invention. J’ai pu lire ici ou là que les théories développées sur l’art y sont rigoureusement primaires. J’ai envie de répondre qu’aucune théorie n’est développée. Ribes donne la parole à des personnages dont les réactions sont, du moins au départ, d’un parfait réalisme (quiconque visite une exposition en a entendu autant), et c’est leur décalage grandissant, qui touche parfois au monstrueux, avec des situations qui flirtent avec le fantastique, qui fait surgir des problématiques parfaitement sérieuses voire profondes. Nous ne sommes pas face à un traité, mais face à une fable éclatée et bouillonnante. L’autre grande marque de la générosité de l’œuvre est son caractère choral, très au-delà de ce que l’on peut voir d’habitude. Si le personnage de Mosk est relativement central, et justifie la mise en vedette de Michel Blanc, la distribution étonne par son caractère éclaté (il y a au moins cent personnages) et par un travail de troupe rare au cinéma. Les vedettes populaires (de Pierre Arditi à Gérard Jugnot) croisent les piliers du théâtre subventionné (de Jean-Damien Barbin à Florence Viala) comme privé (d’Urbain Cancelier à Franck de La Personne) en passant par quelques apparitions réjouissantes (d’Alfredo Arias à Fabienne Pascaud). Et tout ce monde-là à égalité, ensemble. Un exemple réjouissant est le grand lamento collectif des gardiens du musée, où Fabrice Luchini, Christian Hecq ou Samir Guesmi interviennent dans un travail choral très rigoureux. Un beau travail dû, c’est une évidence, au charisme du maître d’œuvre.
(1) Baffe.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h33
Date de sortie : 19 novembre 2008
Scénario : Jean-Michel Ribes d’après sa pièce de théâtre
Assistant réalisateur : Hubert Engamare
Production : Frédéric Brillion, Gilles Legrand, Dominique Besnehard
Décors : Patrick Dutertre
Photographie : Pascal Ridao
Son : François de Morant, Raphaël Sohier, Thierry Lebon
Montage : Yann Malcor
Effets visuels : Olivier Poujaud
Musique : Reinhardt Wagner
- DISTRIBUTION
Gilles : Simon Abkarian
Clara : Victoria Abril
Henri : Pierre Arditi
Invité au vernissage : Alfredo Arias
Gardien de l’œuvre de Karl Pauiln : John Arnold
Sabine : Sophie Artur
Vierge de Lourdes : Hélène Babu
Mère de José : Josiane Balasko
Sulki : Jean-Damien Barbin
Aux toilettes : Dominique Besnehard
Nina : Evelyne Bouix
Bernard : Urbain Cancelier
Carole : Isabelle Carré
Luc : Loïc Corbery
Guide du Family Art : Eva Darlan
Responsable de l’accueil : François-Xavier Demaison
Ministre de la Culture : André Dussollier
Guide qui a peur de la perspective : Julie Ferrier
Sulku : Xavier Gallais
Max : Guillaume Galienne
Lionel : Laurent Gamelon
Fernande : Annie Grégorio
Gardien polymorphe : Samir Guesmi
Guide pour étrangers : Patrick Haudecoeur
Gardien hétérosexuel : Christian Hecq
Roland : Gérard Jugnot
Frilon : Philippe Khorsand
M. Rochebouet : Franck de La Personne
Valérie : Valérie Lemercier
Jocelyn : Louis-Do de Lencquesaing
José : Micha Lescot
Christian : Pierre Lescure
Mari de Clara : Patrick Ligardes
Gardien philosophe : Fabrice Luchini
Thérèse : Valérie Mairesse
Giovanna : Marilù Marini
Laurence : Tonie Marshall
Mme Stenthels : Yolande Moreau
Hervé : François Morel
Anne : Chantal Neuwirth
Dame rêveuse : Fabienne Pascaud
Gardien de mammouths : Christian Pereira
Guide de l’exposition Paulin : Aurélia Petit
Simon : Dominique Pinon
Liliane : Micheline Presle
Maurice : Daniel Prévost
Camille : Alexie Ribes
Père de Camille : Jean-Michel Ribes
Dame qui cherche Kandinsky : Muriel Robin
Visiteuse des mammouths : Florence Viala
et
Judith Chemla
Michèle Garcia
Raphaëline Goupilleau
2 Commentaires
3 janvier 2009 à 15:28
Quel casting d'enfer !!!!
Ta critique m'a donné envie de voir le film, et l'image m'a bien fait rire !!! :o)
(qui veut garder Ulysse ??!!)
3 janvier 2009 à 21:59
Je rappelle qu'Ulysse est également le petit bonhomme qui sourit (ou pas) chez nos estimés confrères de Télérama et qu'en l'occurrence il souriait jusqu'aux oreilles : un des meilleurs accueils reçus par un film assez peu prisé.
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