Lucky Luke, de James Huth * *
Comment adapter Goscinny ? Deuxième épisode, après Le Petit Nicolas. Bien que le grand René ait attaqué le train de Lucky Luke avec plusieurs numéros de retard, il n’en a pas moins contribué à fixer le ton de la série initiée par son dessinateur, Morris. James Huth relit intelligemment la parodie de western qu’est Lucky Luke à travers une autre parodie, cinématographique celle-là : le western spaghetti. Son film, inégal tout de même, tient par conséquent le bon bout.
Lucky Luke, l’admirable justicier de l’Ouest, l’homme qui tire plus vite que son ombre mais qui n’a jamais descendu personne (1), est amené, à la demande du président qui craint pour la sécurité du chemin de fer, à retourner dans sa ville natale, Daisy Town, pour la purger des hors-la-loi qui l’infestent. Convaincu de pouvoir abattre le travail en quarante-huit heures, il découvre que le parrain de la ville est le prestidigitateur Pat Poker, secondé par une foule de desperados. Pat Poker fait appel à Billy the Kid pour éliminer Lucky Luke, mais le pauvre cowboy solitaire se rit de cet obstacle dérisoire et c’est bientôt dans la rue, en plein soleil, qu’il affronte Pat en combat singulier. Un combat qui pourrait bien changer sa vie…
En gros, Lucky Luke est construit en trois actes. Premier acte : un justicier dans la ville. Deuxième acte : la psychanalyse du héros. Troisième acte : Les Mystères de l’Ouest (en beaucoup mieux que le Wild wild west de Barry Sonnenfeld). Il se relève assez bien de cette tripartition spectaculaire. Le problème central que semble s’être posé James Huth est : comment faire un film avec un héros de bandes dessinées ? La première apparition de Jean Dujardin dans le film constitue une réponse : il enfile son équipement puis s’avance dans la blancheur du désert de sel, tel le héros dessiné naissant de la page vierge. Lucky Luke ayant finalement peu d’épaisseur, signe de ralliement à la ligne claire comme peut l’être Tintin, Huth et ses coscénaristes lui en ont inventé une, qui sert de mouvement lent à un film qui, finalement, est à peu près construit comme une sonate.
Cette question guide également l’interprétation de Jean Dujardin, aussi monolithique qu’il convient à une légende de l’Ouest, et décidément un acteur idéal quand il s’agit d’interpréter un personnage avant tout défini par sa surface, ici comme dans les OSS 117. Toutefois ses partenaires proposent des réponses différentes, et si l’ensemble est composite, il est convaincant à proportion du talent des intéressés. Michaël Youn est agaçant et puéril, mais Billy the Kid est agaçant et puéril donc, que Youn soit ou non capable de faire autre chose, le résultat est convaincant. Jean-François Balmer, André Oumansky et Daniel Prévost (la vieille garde) choisissent le pittoresque, et jouent gagnant. Jesse James est un cabotin en représentation, et Melvil Poupaud « charge » avec brio (il est excellent quand il fait la grosse voix). Enfin, Sylvie Testud est une Calamity Jane géniale, personnage brindezingue et touchant qu’on peut prendre du premier au huitième degré avec autant de profit.
Surchargée, surréférencée, surmaniériste, la mise en scène a ce qu’il faut de vivacité, et une efficacité à l’américaine rarement prise en défaut, pour passer la rampe, ou plutôt l’écran. James Huth en fait des tonnes, mais ça va très vite, avec une certaine grâce, d’autant qu’il n’est pas question ici de se prendre au sérieux. Les décors extrêmement stylisés et décorés d’inscriptions toutes plus fantaisistes les unes que les autres contrastent avec des détails hyperréalistes, venus de la tradition du western spaghetti, et qui donnent le poids nécessaire d’incarnation à l’action et aux personnages. Les idées fusent en grand nombre ; certaines tombent à plat, c’est presque la loi du genre. Le style de James Huth est aussi peu naturel que celui d’un Jean-Pierre Jeunet, et comme l’auteur d’Amélie Poulain (qui est aussi, hélas, celui de La Cité des enfants perdus), il est condamné à passer ou casser.
Dans la première partie, James Huth joue brillamment avec les figures imposées par la bande dessinée : personnages récurrents comme le croquemort ou la chanteuse du saloon, caractère flegmatique de Lucky Luke, etc. Le véritable coup de mou intervient dans la deuxième partie. Le principe était pourtant louable : parodier au carré, briser le mythe de Lucky Luke en le montrant amoureux, puéril, démotivé. Une excellente idée en ressort : il est possible que les conversations du cowboy avec son indispensable Jolly Jumper relèvent de l’hallucination névrotique particulièrement salée. Il se peut que je sois influencé par le public très familial au milieu duquel j’ai vu le film, et qui a senti passer la longueur, mais il me semble pourtant que ce volet est inabouti, faute peut-être d’être allé jusqu’à dynamiter l’idylle niaiseuse façon Petite maison dans la prairie que le scénario semble parfois appeler. Dujardin reparaît parfois derrière Luke ; enfin, ça ne marche pas tout à fait. La troisième partie, comme je l’ai laissé entendre, rejoint de façon convaincante l’univers des Mystères de l’ouest.
Bref, Lucky Luke n’est pas loin de courir plusieurs lièvres à la fois, et tout n’y est pas du même sel comique. Il reste que l’écran suinte la rigolade amicale et intelligente, et qu’on s’y laisse souvent entraîner.
(1) Sauf que c’est faux. Lucky Luke abat Mad Jim dans La Mine d’or de Dick Digger (1949), ainsi que Bob Dalton (un des Dalton « historiques ») et Phil Defer dans les prépublications originales de Hors la loi (1954) et Phil Defer (1956) respectivement. Ces deux derniers meurtres ont été caviardés dans les versions publiées en album. Tous ces épisodes, réalisés par le seul Morris, datent des débuts de la série, époque où la tonalité était encore mal définie, avant l’intervention de Goscinny. (Note d’Eric « Excalibur » Jaich).
Durée : 1h44
Date de sortie : 21 octobre 2009
Scénario : James Huth, Sonja Shillito, Jean Dujardin
D’après la bande dessinée créée par : Morris et René Goscinny
Assistant réalisateur : Lionel Steketee
Production : Yves Marmion, Saïd Ben Saïd, Sonja Shillito, Oscar Kramer
Distribution des rôles : Antoinette Boulat, Anne Barbier
Décors : Pierre Queffelean
Costumes : Olivier Bériot
Photographie : Stéphane Le Parc
Son : Pierre André, Alain Féat
Montage : Frédérique Olszak, Antoine Vareille
Effets visuels : Alain Carsoux
Musique : Bruno Coulais
Calamity Jane : Sylvie Testud
Jesse James : Melvil Poupaud
Billy the Kid : Michaël Youn
Belle : Alexandra Lamy
Pat Poker : Daniel Prévost
Morris Austin Cooper : Jean-François Balmer
Le président Andrew Johnson : André Oumansky
Voix de Jolly Jumper : Bruno Salomone
Un homme politique : Oscar Kramer
Lucky Luke, l’admirable justicier de l’Ouest, l’homme qui tire plus vite que son ombre mais qui n’a jamais descendu personne (1), est amené, à la demande du président qui craint pour la sécurité du chemin de fer, à retourner dans sa ville natale, Daisy Town, pour la purger des hors-la-loi qui l’infestent. Convaincu de pouvoir abattre le travail en quarante-huit heures, il découvre que le parrain de la ville est le prestidigitateur Pat Poker, secondé par une foule de desperados. Pat Poker fait appel à Billy the Kid pour éliminer Lucky Luke, mais le pauvre cowboy solitaire se rit de cet obstacle dérisoire et c’est bientôt dans la rue, en plein soleil, qu’il affronte Pat en combat singulier. Un combat qui pourrait bien changer sa vie…
En gros, Lucky Luke est construit en trois actes. Premier acte : un justicier dans la ville. Deuxième acte : la psychanalyse du héros. Troisième acte : Les Mystères de l’Ouest (en beaucoup mieux que le Wild wild west de Barry Sonnenfeld). Il se relève assez bien de cette tripartition spectaculaire. Le problème central que semble s’être posé James Huth est : comment faire un film avec un héros de bandes dessinées ? La première apparition de Jean Dujardin dans le film constitue une réponse : il enfile son équipement puis s’avance dans la blancheur du désert de sel, tel le héros dessiné naissant de la page vierge. Lucky Luke ayant finalement peu d’épaisseur, signe de ralliement à la ligne claire comme peut l’être Tintin, Huth et ses coscénaristes lui en ont inventé une, qui sert de mouvement lent à un film qui, finalement, est à peu près construit comme une sonate.
Cette question guide également l’interprétation de Jean Dujardin, aussi monolithique qu’il convient à une légende de l’Ouest, et décidément un acteur idéal quand il s’agit d’interpréter un personnage avant tout défini par sa surface, ici comme dans les OSS 117. Toutefois ses partenaires proposent des réponses différentes, et si l’ensemble est composite, il est convaincant à proportion du talent des intéressés. Michaël Youn est agaçant et puéril, mais Billy the Kid est agaçant et puéril donc, que Youn soit ou non capable de faire autre chose, le résultat est convaincant. Jean-François Balmer, André Oumansky et Daniel Prévost (la vieille garde) choisissent le pittoresque, et jouent gagnant. Jesse James est un cabotin en représentation, et Melvil Poupaud « charge » avec brio (il est excellent quand il fait la grosse voix). Enfin, Sylvie Testud est une Calamity Jane géniale, personnage brindezingue et touchant qu’on peut prendre du premier au huitième degré avec autant de profit.
Surchargée, surréférencée, surmaniériste, la mise en scène a ce qu’il faut de vivacité, et une efficacité à l’américaine rarement prise en défaut, pour passer la rampe, ou plutôt l’écran. James Huth en fait des tonnes, mais ça va très vite, avec une certaine grâce, d’autant qu’il n’est pas question ici de se prendre au sérieux. Les décors extrêmement stylisés et décorés d’inscriptions toutes plus fantaisistes les unes que les autres contrastent avec des détails hyperréalistes, venus de la tradition du western spaghetti, et qui donnent le poids nécessaire d’incarnation à l’action et aux personnages. Les idées fusent en grand nombre ; certaines tombent à plat, c’est presque la loi du genre. Le style de James Huth est aussi peu naturel que celui d’un Jean-Pierre Jeunet, et comme l’auteur d’Amélie Poulain (qui est aussi, hélas, celui de La Cité des enfants perdus), il est condamné à passer ou casser.
Dans la première partie, James Huth joue brillamment avec les figures imposées par la bande dessinée : personnages récurrents comme le croquemort ou la chanteuse du saloon, caractère flegmatique de Lucky Luke, etc. Le véritable coup de mou intervient dans la deuxième partie. Le principe était pourtant louable : parodier au carré, briser le mythe de Lucky Luke en le montrant amoureux, puéril, démotivé. Une excellente idée en ressort : il est possible que les conversations du cowboy avec son indispensable Jolly Jumper relèvent de l’hallucination névrotique particulièrement salée. Il se peut que je sois influencé par le public très familial au milieu duquel j’ai vu le film, et qui a senti passer la longueur, mais il me semble pourtant que ce volet est inabouti, faute peut-être d’être allé jusqu’à dynamiter l’idylle niaiseuse façon Petite maison dans la prairie que le scénario semble parfois appeler. Dujardin reparaît parfois derrière Luke ; enfin, ça ne marche pas tout à fait. La troisième partie, comme je l’ai laissé entendre, rejoint de façon convaincante l’univers des Mystères de l’ouest.
Bref, Lucky Luke n’est pas loin de courir plusieurs lièvres à la fois, et tout n’y est pas du même sel comique. Il reste que l’écran suinte la rigolade amicale et intelligente, et qu’on s’y laisse souvent entraîner.
(1) Sauf que c’est faux. Lucky Luke abat Mad Jim dans La Mine d’or de Dick Digger (1949), ainsi que Bob Dalton (un des Dalton « historiques ») et Phil Defer dans les prépublications originales de Hors la loi (1954) et Phil Defer (1956) respectivement. Ces deux derniers meurtres ont été caviardés dans les versions publiées en album. Tous ces épisodes, réalisés par le seul Morris, datent des débuts de la série, époque où la tonalité était encore mal définie, avant l’intervention de Goscinny. (Note d’Eric « Excalibur » Jaich).
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h44
Date de sortie : 21 octobre 2009
Scénario : James Huth, Sonja Shillito, Jean Dujardin
D’après la bande dessinée créée par : Morris et René Goscinny
Assistant réalisateur : Lionel Steketee
Production : Yves Marmion, Saïd Ben Saïd, Sonja Shillito, Oscar Kramer
Distribution des rôles : Antoinette Boulat, Anne Barbier
Décors : Pierre Queffelean
Costumes : Olivier Bériot
Photographie : Stéphane Le Parc
Son : Pierre André, Alain Féat
Montage : Frédérique Olszak, Antoine Vareille
Effets visuels : Alain Carsoux
Musique : Bruno Coulais
- DISTRIBUTION
Calamity Jane : Sylvie Testud
Jesse James : Melvil Poupaud
Billy the Kid : Michaël Youn
Belle : Alexandra Lamy
Pat Poker : Daniel Prévost
Morris Austin Cooper : Jean-François Balmer
Le président Andrew Johnson : André Oumansky
Voix de Jolly Jumper : Bruno Salomone
Un homme politique : Oscar Kramer
1 Commentaire
21 décembre 2010 à 10:22
Dès la première image, on sent que le film n'est pas maîtrisé. Dujardin est ridiulisé avec sa mèche postiche... On ne le sent pas dirigé et on s'ennuie très vite.
Au bout d'une petite demi-heure, j'ai stoppé ce ratage complet.
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