Merci pour le chocolat, de Claude Chabrol * * * *

Un pianiste virtuose, André Polonski, épouse en secondes noces une vieille amie de sa première femme, Marie-Claire Müller, dite Mika, ce qui lui va très bien puisqu'elle est dans le chocolat.

Peu après, une apprentie pianiste d'une vingtaine d'années débarque dans la grande demeure Müller près du lac Léman et déclare, avec une vague apparence de plausibilité, que si ça se trouve elle est la fille d'André, un échange ayant failli être commis à la naissance avec Guillaume Polonski, né le même jour qu'elle. Polonski se prend d'affection pour elle et décide de lui transmettre son expérience musicale.

Le nouveau film de Claude Chabrol commence dans une telle absence de style qu'on se dit tout d'abord qu'à force d'avoir voulu faire subtil, il a fini par ne plus rien faire. C'est mal le connaître : il endort notre méfiance avec dix minutes de pastiche systématique de Derrick, pour mieux tisser sa toile ensuite. S'il ne s'agit pas du film le plus nourrissant de Claude Chabrol, le style et la matière dont il fait ses chefs-d'oeuvres sont là. Doté d'une intrigue de polar tout à fait basique, dont on comprend les tenants et aboutissants en moins de temps qu'il n'en faut à Chabrol pour ressortir sa bella maniera, Merci pour le chocolat est en fait un film quasi abstrait et quasi métaphysique, que seule l'humanité de Jacques Dutronc et Brigitte Catillon, et le déphasage étrange de Rodolphe Pauly, retiennent du côté de la chair. Des faits, gestes, et intentions réelles de Mika et André, on ne saura quasiment rien, et on quittera la salle sans véritable explication on aura juste estimé, à notre grande frayeur, les profondeurs des abîmes qui les entoure, comme on lance une pierre dans un puits en désespérant d'entendre un "ploc" rassurant.

Menaçant à chaque instant de se dissoudre dans les blanches brumes du lac, ou dans les noirs reflets des pianos jumeaux du salon d'André, Merci pour le chocolat est un film sur le vide, fascinant comme un gouffre. Ce n'est pas forcément le vide de la bêtise (ne Flaubertisons pas à l'excès sous prétexte qu'il s'agit de Chabrol) ; c'est plutôt le trou noir (au sens astronomique) de la perversion et de la sécheresse de coeur

Désincarnée pendant les quatre-vingt-dix-huit premières minutes du film et hypnotisante comme qui sait quelle déesse orientale, Isabelle Huppert est l'emblème de ce gouffre, dont la sensation naît dans notre esprit pratiquement des seules volutes de la mise en scène du maître. C'est glaçant.

Cet article a été publié dans Le Petit Spectateur version papier N°91 Novembre-décembre 2000 - Janvier 2001

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE



  • FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Claude Chabrol
Scénario : Caroline Eliacheff et Claude Chabrol
D'après l'œuvre de : Charlotte Armstrong
Durée : 99 minutes
Date de sortie : 25 octobre 2000

Production : Marin Karmitz
Musique : Matthieu Chabrol
Photographie : Renato Berta
Montage : Monique Fardoulis
Pays d'origine : France
Format : Couleur - Dolby

  • DISTRIBUTION
Isabelle Huppert : Marie-Claire 'Mika' Muller
Jacques Dutronc : André Polonski
Anna Mouglalis : Jeanne Pollet
Rodolphe Pauly : Guillaume Polonski
Brigitte Catillon : Louise Pollet
Michel Robin : Dufreigne
Mathieu Simonet : Axel

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