Le Roi danse, de Gérard Corbiau * * *

Louis XIV a de la chance : il inspire cette année, plus ou moins bien, nombre de cinéastes plus ou moins ses compatriotes : on se souvient du méritoire Saint-Cyr, de l’exécrable Vatel. Le belge Gérard Corbiau, lui, est surtout un obsédé de musique. Ca tombe bien : Louis XIV aussi. D’une France encore déchirée et médiévale héritée de la faiblesse de son père, tout juste contrebalancée par les efforts de Richelieu et Mazarin, il fit un Etat centralisé où le moindre vicomte se tenait à carreaux ; et il y parvint en faisant de son règne, de sa vie, un spectacle permanent. Le plus grand de ses ministres, suggère Corbiau, ne fut pas Colbert, mais Lully.

Démonstration historique fort séduisante, à laquelle Corbiau s’attelle non sans s’embrouiller parfois quelque peu, mais non sans convaincre souvent. On peut lui reprocher, quant à l’Histoire, qui se confond ici avec l’Histoire de l’Art, d’être très approximatif sur certains détails, voire de ne prêter qu’aux riches, en une perspective faussée : quant aux détails, le duo Lully-Molière se voit créditer seul de la fête des Plaisirs de l’Ile Enchantée (Benserade, Corneille et Vigarani apprécieront, de là où ils sont) ; Quinault, Charpentier ne sont pas mentionnés ; surtout, le rôle essentiel de Fouquet, qui donna au roi l’exemple du gouvernement-spectacle, est totalement évacué. Bref.

Mais le cinéaste Corbiau a du tempérament ; reprocher au film de n’être pas dévoué à l’œuvre musicale comme pouvait l’être Tous les matins du monde n’a pas de sens : la musique n’est pas ici une ascèse mais un enjeu de pouvoir pour Louis XIV, une preuve d’amour pour Lully. Il faut donc bien que la politique et les passions s’avancent au premier plan. Gérard Corbiau parvient à un équilibre convaincant, dans un style grandiose et baroque qui cadre bien avec son sujet. Il s’agit de fastes et d’illustration souvent, mais justement, c’est le sujet, d’autant que ces fastes sont habités, et que le cinéaste s’emploie à leur donner de la chair, soutenu par une interprétation de qualité : Benoît Magimel mieux qu’impeccable, hésitant au début, royal à la fin ; Tchéky Karyo admirable de simplicité ; Boris Terral, en revanche, en rajoute un peu dans l’électricité italienne. Car parfois en effet, l’auteur de Farinelli tombe dans la grandiloquence. Et les intrigues sentimentales sont à 95% de trop (sauf à considérer que Claire Keim est un argument esthétique à elle toute seule, ce qui peut se plaider). Mais les fastes baroques du Louvre puis de Versailles sont évoqués parfois admirablement, et la caméra en vient à se confondre avec la danse, lorsque Lully, seul dans un théâtre, chorégraphie sa fureur au son des Folies d’Espagne. Alors Corbiau réussit son projet : rejoindre celui de Louis XIV, confondre l’art et la vie.

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France/Belgique
Durée : 1h48
Date de sortie : 6 décembre 2000
Scénario : Eve de Castro, Andrée Corbiau, Gérard Corbiau, Didier Decoin
D’après le livre Louis XIV artiste de : Philippe Beaussant
Assistant réalisateur : Boris van Gils
Production : Dominique Janne
Décors : Hubert Pouille
Chorégraphie : Béatrice Massin
Photographie : Gérard Simon
Son : Henri Morelle, Dominique Dalmasso
Montage : Ludo Troch, Philippe Ravoet
Musique : Jean-Baptiste Lully et quelques autres que le générique ne daigne pas citer puisque aussi bien, ils sont morts depuis des plombes
Direction musicale : Reinhard Goebel

  • DISTRIBUTION
Jean-Baptiste Lully : Boris Terral
Louis XIV : Benoît Magimel
Molière : Tchéky Karyo
Anne d’Autriche : Colette Emmanuelle
Madeleine Lully : Cécile Bois
Julie : Claire Keim
Cambert : Johan Leysen
Cambefort: Jacques François
Le Vau : Michel Alexandre

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