Le Château dans le ciel, de Hayao Miyazaki * * * * *
De façon caractéristique de l’art de Miyazaki, Le Château dans le ciel commence medias in res par la tentative de kidnapping, par des pirates, d’une jeune fille qui n’a déjà pas l’air de se trouver fort à son aise dans l’espèce de zeppelin qui la transporte. La tentative tourne au drame et la jeune fille est précipitée dans le vide. Mais une étrange pierre qu’elle porte au cou lui permet pourtant d’atterrir en douceur dans les bras de Pazu, un jeune garçon de son âge qui travaille de nuit dans une mine, au mépris des règles les plus élémentaires du droit du travail moderne. Mais le film se situe à la fin du XIXe siècle, dans une Angleterre largement rêvée.
L’histoire va se construire ainsi, par accumulation de scènes apparemment hétérogènes, dans un monde dont la complexité apparaît peu à peu, notamment à mesure que la jeune fille, Sheeta, abandonne ses réticences et livre ses secrets à Pazu. Le film se construit ainsi progressivement, d’autant plus impressionnant qu’il cherche peu à impressionner, avec une ampleur épique qui tient au foisonnement de l’imagination du cinéaste et qui, à notre époque, n’appartient qu’à lui. La diversité et la richesse de la mise en scène font du film une course-poursuite haletante, les personnages s’avérant tous, pour des raisons diverses, à la recherche de Laputa, une mythique île volante, où Pazu traque le souvenir de son père, Sheeta les racines de sa famille, les pirates un trésor (« Les pirates ont toujours cherché des trésors. Où est le mal ? ») et l’inquiétant Muska, une source de domination politique. Mais la majesté des décors et la finesse des détails, l’ingéniosité des techniques d’animation — notamment dans les nombreux paysages de nuages d’un film en grande partie aéronautique — compensent ce rythme effréné par une dimension contemplative, qui aboutit à l’émerveillement ressenti lors de la découverte de l’île.
Soyons un peu pédants et estimons que Le Château dans le ciel s’inscrit dans le genre particulier de l’uchronie : à partir d’un point de départ donné, Miyazaki imagine un monde parallèle, où la technologie et l’Histoire ont pris des virages différents de ceux qu’elles ont pris dans le nôtre. D’où un monde dominé par les transports aériens, hésitant entre plus légers et plus lourds que l’air, qui ramène Miyazaki à son enfance de fils d’un ingénieur en aéronautique. En raison de l’époque choisie, le film doit beaucoup visuellement à Jules Verne et à ses illustrateurs, cités de façon parfois directe, notamment dans un très beau générique qui imite la texture des vieilles gravures.
Le principe de départ de l’intrigue (l’existence d’une île flottante qui domine les régions au dessus desquelles elle passe) et le nom même de Laputa, sont issus, quant à eux, des Voyages de Gulliver de Swift — et Miyazaki paie discrètement sa dette en faisant feuilleter le grand roman irlandais par Pazu — mais rien d’autre ne rapproche les deux oeuvres.
La découverte de Laputa par les personnages s’accompagne d’une énigme : l’île n’est plus habitée que par des animaux, et par un robot, dernier de son espèce à n’être pas tombé en panne, et qui remplit la fonction de jardinier. Les hommes ont disparu, mais se préparent à reprendre possession de l’île. Or, l’immense savoir qui a présidé à la création de Laputa s’avère essentiellement destructeur, une fois passée la magie de la découverte du lieu. Le personnage de Muska, l’un des rares authentiques méchants de l’œuvre de Miyazaki, se l’approprie pour dominer le monde ; la seule issue, pour la civilisation laputienne, semble être de prendre le risque de l’autodestruction. Celle-ci s’avère in fine être une métamorphose et une renaissance, mais seulement parce que le risque a été pris. Lorsque l’île s’éloigne, un bref plan nous montre le robot-jardinier heureux avec ses amis les oiseaux : comme une vision de la Terre après l’humanité, mêlant ses créations destinées à s’éteindre à leur tour, et la vie qui continue. Dans cette histoire située entre la Terre et le Ciel ne cessent d’alterner les chutes (parfois heureusement ralenties par la pierre volante) et les ascensions. Pazu, en particulier, comme monté sur ressort, ne cesse de se casser burlesquement la figure sans jamais perdre de son enthousiasme ni de ses capacités d’escalade. L’ensemble constitue donc une représentation symbolique de l’humanité, prise entre ses rêves d’ascension — mais dont l’orgueil peut amener sa propre disparition — et une sagesse terrestre, voire souterraine puisque Pazu est mineur, un besoin littéral de racines. Orphelins, ballottés entre l’enfance de leurs réactions innocentes, et l’âge adulte impliqué par leurs responsabilités et leur mode de vie, dessinés comme des adolescents mais de taille invraisemblablement petites, Pazu et Sheeta sont eux-mêmes tiraillés entre l’autonomie d’une vie qui prend son envol, et le besoin enfantin de trouver un milieu protecteur.
On n’est donc pas dans un système idéologique fermé, où la Terre ne mentirait pas, mais plus dans la représentation d’une dialectique vitale : ascension et chute. L’homme est un animal terrestre qui rêve de voler (au sens propre ou dans tous les sens métaphoriques que l’on voudra), et qui ne doit ni oublier ses rêves ni se laisser griser par l’altitude…
- BANDE ANNONCE
- LIENS INTERNET
- FICHE TECHNIQUE
Pays : Japon
Durée : 2h04
Date de sortie : 15 janvier 2003
Année de production : 1986
Scénario : Hayao Miyazaki
Production : Isao Takahata
Direction artistique : Toshiro Nozaki, Nizou Yamamoto
Animation : Tsukasa Tannai, Yoshinori Kanada
Son : Kazutoshi Satou
Montage : Yoshihiro Kasahara, Hayao Miyazaki, Takeshi Seyama
Musique : Joe Hisaishi
- DISTRIBUTION
Pazu : Mayumi Tanaka
Sheeta : Keiko Yokozawa
Dora : Kotoe Hatsui
Muska : Minori Terada
Papi Pomme : Fujio Tokita
Le général : Ichirô Nagai
Charles : Takumi Kamiyama
Louis : Yoshito Yasuhara
Henri : Sukekiyo Kameyama
Soyez le premier à commenter cet article !
Enregistrer un commentaire