Danièle Huillet (1936-2006)
Le titre de leur premier film, Non réconciliés, sonne rétrospectivement comme un autoportrait du couple que formaient Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, auteurs d’un cinéma radicalement austère, exigeant et volontairement « minoritaire », couronné voici quelques semaines d’un Lion spécial à la Mostra de Venise. Danièle Huillet est décédée le 9 octobre 2006 à l'âge de 70 ans des suites d'un cancer.
C’est en 1954 que Danièle Huillet, qui prépare au lycée Voltaire de Paris le concours de l’IDHEC, y rencontre Jean-Marie Straub, tout juste arrivé de sa Moselle natale. Straub, jeune assistant lié à la Nouvelle Vague, refusant la conscription en cette période de guerre d’Algérie, est obligé de quitter la France. Les deux jeunes gens s’installent donc à Munich en 1960. Ils constituent dès lors un des rares duos d’époux à œuvrer ensemble derrière la caméra. Leur premier long-métrage, Non réconciliés, adapté d’un roman de Heinrich Böll dénonçant les survivances du nazisme, est remarqué, et souvent détesté, pour son austérité cinématographique. Mais c’est avec le second, Chronique d’Anna Magdalena Bach, le premier qu’ils signent à égalité, que « les Straub » (et pourquoi pas « les Huillet », à la fin ?) conquièrent la reconnaissance internationale. Ce film inspiré du journal de la femme du grand compositeur, où Gustav Leonhardt lui-même joue le rôle du « Cantor », impose à l’Europe entière le travail, filmé en son direct, de la première génération des musiciens « baroques », mis en valeur par des plans-séquences austères mais savamment composés, qui expriment la tension entre la « chronique » quotidienne du travail du compositeur et l’intense spiritualité du résultat. Othon est un autre événement : la tragédie méconnue de Corneille est interprétée sur les lieux de l’action (à Rome), en refusant tout maquillage de ceux-ci ; les costumes antiques jurent volontairement avec la rumeur d’une autoroute.
Tout un système de travail et d’esthétique est dès lors mis en place, aboutissant à des films de longueur très variable (de sept minutes à deux heures et demie), parfois distribués en double programme pour remplir une séance ordinaire. Chaque film de Straub et Huillet prend comme point de départ un texte littéraire — et pas n’importe lequel : Sophocle, Brecht, Hölderlin, Jean de la Croix, Pavese, Duras, Mallarmé, Kafka sont mis à contribution ainsi, à deux reprises (Moïse et Aaron et Du jour au lendemain) que la musique de Schönberg. Etablissant une mise en place théâtrale, et si nécessaire adaptée, de ces textes, les cinéastes les confrontent ensuite à des lieux dont ils entendent, en néo-réalistes absolus, respecter l’intégrité. Lors même que le texte choisi n’a pas d’implication politique (ce qui est rarement le cas), le questionnement politique surgit de cette confrontation même. Dans la logique de ce travail, ils ne feront appel qu’exceptionnellement à des interprètes professionnels (Howard Vernon, Laura Betti), Danièle Huillet elle-même apparaissant occasionnellement devant l’objectif ou assurant une voix off. Laissant à son compagnon le travail du cadre et la direction d’acteurs, Danièle Huillet prenait en charge le son (travail du dialogue compris) et le montage, occasionnellement la direction artistique. La limite de ce système est précisément d’être un système, et aussi d’exiger du public une capacité de concentration et de contemplation qui a restreint jusqu’ici l’impact de leurs œuvres à un cercle ardent et exigu de cinéphiles. Leur cinéma, illustration extrême de l’image-temps deleuzienne, est basé en effet sur le refus du spectaculaire, et l’exténuation des signaux fictionnels, à commencer par le découpage narratif hérité de Griffith.
Voici quelques semaines, la Mostra de Venise a récompensé les Huillet d’un Lion spécial pour l’évolution qu’ils ont apportée au langage cinématographique. La Sélection officielle présentait ce qui restera leur dernier film en commun, Ces rencontres avec eux, qui doit sortir en salles mercredi 18 octobre.
2003 Le Retour du fils prodigue — Les Humiliés
2001 Ouvriers, paysans
1999 Sicilia !
1994 Du jour au lendemain
1992 Antigone
1987 La Mort d’Empédocle
1984 Amerika, rapports de classes
1982 Trop tôt, trop tard
1979 De la nuée à la résistance
1976 Fortini/Cani
1975 Moïse et Aaron
1972 Leçons d’histoire
1970 Othon
1967 Chronique d’Anna Magdalena Bach
1964 Non réconciliés
C’est en 1954 que Danièle Huillet, qui prépare au lycée Voltaire de Paris le concours de l’IDHEC, y rencontre Jean-Marie Straub, tout juste arrivé de sa Moselle natale. Straub, jeune assistant lié à la Nouvelle Vague, refusant la conscription en cette période de guerre d’Algérie, est obligé de quitter la France. Les deux jeunes gens s’installent donc à Munich en 1960. Ils constituent dès lors un des rares duos d’époux à œuvrer ensemble derrière la caméra. Leur premier long-métrage, Non réconciliés, adapté d’un roman de Heinrich Böll dénonçant les survivances du nazisme, est remarqué, et souvent détesté, pour son austérité cinématographique. Mais c’est avec le second, Chronique d’Anna Magdalena Bach, le premier qu’ils signent à égalité, que « les Straub » (et pourquoi pas « les Huillet », à la fin ?) conquièrent la reconnaissance internationale. Ce film inspiré du journal de la femme du grand compositeur, où Gustav Leonhardt lui-même joue le rôle du « Cantor », impose à l’Europe entière le travail, filmé en son direct, de la première génération des musiciens « baroques », mis en valeur par des plans-séquences austères mais savamment composés, qui expriment la tension entre la « chronique » quotidienne du travail du compositeur et l’intense spiritualité du résultat. Othon est un autre événement : la tragédie méconnue de Corneille est interprétée sur les lieux de l’action (à Rome), en refusant tout maquillage de ceux-ci ; les costumes antiques jurent volontairement avec la rumeur d’une autoroute.
Tout un système de travail et d’esthétique est dès lors mis en place, aboutissant à des films de longueur très variable (de sept minutes à deux heures et demie), parfois distribués en double programme pour remplir une séance ordinaire. Chaque film de Straub et Huillet prend comme point de départ un texte littéraire — et pas n’importe lequel : Sophocle, Brecht, Hölderlin, Jean de la Croix, Pavese, Duras, Mallarmé, Kafka sont mis à contribution ainsi, à deux reprises (Moïse et Aaron et Du jour au lendemain) que la musique de Schönberg. Etablissant une mise en place théâtrale, et si nécessaire adaptée, de ces textes, les cinéastes les confrontent ensuite à des lieux dont ils entendent, en néo-réalistes absolus, respecter l’intégrité. Lors même que le texte choisi n’a pas d’implication politique (ce qui est rarement le cas), le questionnement politique surgit de cette confrontation même. Dans la logique de ce travail, ils ne feront appel qu’exceptionnellement à des interprètes professionnels (Howard Vernon, Laura Betti), Danièle Huillet elle-même apparaissant occasionnellement devant l’objectif ou assurant une voix off. Laissant à son compagnon le travail du cadre et la direction d’acteurs, Danièle Huillet prenait en charge le son (travail du dialogue compris) et le montage, occasionnellement la direction artistique. La limite de ce système est précisément d’être un système, et aussi d’exiger du public une capacité de concentration et de contemplation qui a restreint jusqu’ici l’impact de leurs œuvres à un cercle ardent et exigu de cinéphiles. Leur cinéma, illustration extrême de l’image-temps deleuzienne, est basé en effet sur le refus du spectaculaire, et l’exténuation des signaux fictionnels, à commencer par le découpage narratif hérité de Griffith.
Voici quelques semaines, la Mostra de Venise a récompensé les Huillet d’un Lion spécial pour l’évolution qu’ils ont apportée au langage cinématographique. La Sélection officielle présentait ce qui restera leur dernier film en commun, Ces rencontres avec eux, qui doit sortir en salles mercredi 18 octobre.
Etienne Mahieux
- FILMOGRAPHIE (LONGS METRAGES)
2003 Le Retour du fils prodigue — Les Humiliés
2001 Ouvriers, paysans
1999 Sicilia !
1994 Du jour au lendemain
1992 Antigone
1987 La Mort d’Empédocle
1984 Amerika, rapports de classes
1982 Trop tôt, trop tard
1979 De la nuée à la résistance
1976 Fortini/Cani
1975 Moïse et Aaron
1972 Leçons d’histoire
1970 Othon
1967 Chronique d’Anna Magdalena Bach
1964 Non réconciliés
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Hommages
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