Nausicaä de la vallée du vent, de Hayao Miyazaki * * * *
Vingt-deux ans après sa réalisation, la sortie en salles du premier film indépendant de Hayao Miyazaki poursuit le cycle de sorties différées de ses oeuvres antérieures à Porco Rosso (1995). Il s’agit d’une épopée d’une étonnante puissance, qui contient en germe toute l’œuvre future de l’un des plus grands cinéastes contemporains.
L’intrigue de Nausicaä se déroule dans un lointain futur, mille ans après la disparition de la civilisation industrielle. La catastrophe qui l’a anéantie a donné naissance à une forêt polluée , le Fukaï, que seuls parcourent quelques audacieux dûment protégés par un masque des exhalaisons nocives. Parmi les rares territoires encore fertiles, la Vallée du vent excite les convoitises et les manœuvres des royaumes voisins. Ce territoire pacifique et agricole ne saurait se défendre sans le retour d’un vieux guerrier, maître Yupa, et la témérité de la jeune princesse de la Vallée, Nausicaä.
Hayao Miyazaki était essentiellement un auteur de bandes dessinées et de séries télévisées animées, lorsqu’avec la future équipe des studios Ghibli, il s’attaqua à Nausicaä de la vallée du vent , sorti au Japon en 1984. Il avait déjà assuré dès 1968 la direction artistique de Horus, le prince du soleil de son ami et associé Isao Takahata, qui porte incontestablement sa marque, et son travail sur la série télévisée Lupin III avait abouti à la réalisation d’un premier long-métrage encore inédit en France, Arsène Lupin et le château de Cagliostro, mais Nausicaä , adapté de son propre manga, est le premier film où il ait pu donner la pleine mesure de son imagination, sur un sujet entièrement de son cru.
Le (petit) spectateur de 2006 se le prend, passez-moi l’expression, en pleine poire. Nausicaä aurait pu être réalisé hier, tant l’œuvre de Miyazaki, inscrite pourtant dans son temps, dépasse toute actualité ou toute mode esthétique. Seuls quelques passages de la partition de Joe Hisaishi trahissent les années 1980 par la pauvreté des sons synthétiques. Miyazaki n’avait pas tout à fait les moyens techniques d’une animation parfaite, et le dessin comporte quelques hésitations et dérobades (la plupart des personnages masculins ont d’épaisses moustaches qui leur tiennent lieu de traits individuels) mais aussi bien les saccades ont toujours fait partie de l’esthétique de l’anime japonais, et les procédés artisanaux de l’animation des grands monstres du film leur donnent un caractère poétique supplémentaire. Il y a peut-être aussi quelque concession à la mode japonaise dans quelques détails d’un érotisme fétichiste autour du personnage de Nausicaä (sa jupe est courte, et, n’est-ce pas, elle fait beaucoup de planeur sans cockpit) : Miyazaki sera plus subtil dans le traitement de ses personnages de nymphettes ultérieurs — et récurrents.
Nausicaä pose presque systématiquement les jalons de l’œuvre ultérieure de Miyazaki . Jalons dans les motifs tout d’abord : on retrouve ici les animaux fabuleux qui représentent les forces de la nature, dont les petites mascottes qui gazouillent ici ou là (ici un renard-écureuil au comportement très félin) représentent des versions à peine moins inquiétantes ; les personnages de vierges guerrières et de grands-mères quelque peu sorcières ; le goût pour une technologie uchronique, mélange d’éléments de science-fiction et de bricolage digne de l’éco-musée. Jalons dans les thèmes, et c’est le plus important : déjà Nausicaä traite du rapport de l’homme à la nature, et des inconséquences de notre espèce, qui trop souvent propage la catastrophe en prétendant l’enrayer. L’un des royaumes rivaux de la Vallée du vent risque de la détruire par son inconséquence, et l’autre en fait le bouc émissaire nécessaire pour éloigner la pollution de ses propres frontières.
Jalons narratifs enfin : Miyazaki trouve d’emblée les constructions scénaristiques qui, en cohérence parfaite avec son propos écologiste, contribuent à la force de ses films. Un début in medias res, qui joue du montage parallèle et de la parcimonie des éléments d’exposition, oblige le spectateur à reconstituer petit à petit les lois (toujours étonnantes) du monde fictif où il est plongé. Lorsqu’il parvient à maîtriser les connaissances qui règlent le comportement des personnages, ceux-ci sont petit à petit amenés à modifier leur point de vue. L’éventuelle opinion morale que l’on peut avoir de tel ou tel personnage est amenée à évoluer, de même que la compréhension générale de la situation — ici, c’est le statut du Fukaï qui évolue lentement pour le spectateur, ce dont seule Nausicaä avait une intuition non formulée. L’écosystème invente de nouvelles lois, où les hommes — c’est la grande inquiétude qui sourd du film — n’ont peut-être pas leur place.
Le film progresse ainsi par découvertes successives, qui rendent son univers plus complexe en même temps qu’elles sont pour le cinéaste et son directeur artistique Mitsuki Nakamura l’occasion de merveilles toujours renouvelées, parfois aux franges de l’abstraction.
D’une pertinence toujours plus grande, et presque prophétique, Nausicaä est le porche impressionnant de l’œuvre d’un très grand maître.
Pays : Japon
Durée : 1h56
Année de production : 1984
Scénario : Hayao Miyazaki d’après son manga
Production : Isao Takahata
Direction artistique : Mitsuki Nakamura
Création des personnages et animation : Kazuo Komatsubara
Photographie : Hideshi Kyonen
Son : Shigeharu Shiba
Montage : Naoki Kaneko
Musique : Joe Hisaishi
Jihl : Mahito Tsujimura
O-Baba : Hisako Kyôda
Yupa : Gorô Naya
Mito : Ichirô Nagai
L’intrigue de Nausicaä se déroule dans un lointain futur, mille ans après la disparition de la civilisation industrielle. La catastrophe qui l’a anéantie a donné naissance à une forêt polluée , le Fukaï, que seuls parcourent quelques audacieux dûment protégés par un masque des exhalaisons nocives. Parmi les rares territoires encore fertiles, la Vallée du vent excite les convoitises et les manœuvres des royaumes voisins. Ce territoire pacifique et agricole ne saurait se défendre sans le retour d’un vieux guerrier, maître Yupa, et la témérité de la jeune princesse de la Vallée, Nausicaä.
Hayao Miyazaki était essentiellement un auteur de bandes dessinées et de séries télévisées animées, lorsqu’avec la future équipe des studios Ghibli, il s’attaqua à Nausicaä de la vallée du vent , sorti au Japon en 1984. Il avait déjà assuré dès 1968 la direction artistique de Horus, le prince du soleil de son ami et associé Isao Takahata, qui porte incontestablement sa marque, et son travail sur la série télévisée Lupin III avait abouti à la réalisation d’un premier long-métrage encore inédit en France, Arsène Lupin et le château de Cagliostro, mais Nausicaä , adapté de son propre manga, est le premier film où il ait pu donner la pleine mesure de son imagination, sur un sujet entièrement de son cru.
Le (petit) spectateur de 2006 se le prend, passez-moi l’expression, en pleine poire. Nausicaä aurait pu être réalisé hier, tant l’œuvre de Miyazaki, inscrite pourtant dans son temps, dépasse toute actualité ou toute mode esthétique. Seuls quelques passages de la partition de Joe Hisaishi trahissent les années 1980 par la pauvreté des sons synthétiques. Miyazaki n’avait pas tout à fait les moyens techniques d’une animation parfaite, et le dessin comporte quelques hésitations et dérobades (la plupart des personnages masculins ont d’épaisses moustaches qui leur tiennent lieu de traits individuels) mais aussi bien les saccades ont toujours fait partie de l’esthétique de l’anime japonais, et les procédés artisanaux de l’animation des grands monstres du film leur donnent un caractère poétique supplémentaire. Il y a peut-être aussi quelque concession à la mode japonaise dans quelques détails d’un érotisme fétichiste autour du personnage de Nausicaä (sa jupe est courte, et, n’est-ce pas, elle fait beaucoup de planeur sans cockpit) : Miyazaki sera plus subtil dans le traitement de ses personnages de nymphettes ultérieurs — et récurrents.
Nausicaä pose presque systématiquement les jalons de l’œuvre ultérieure de Miyazaki . Jalons dans les motifs tout d’abord : on retrouve ici les animaux fabuleux qui représentent les forces de la nature, dont les petites mascottes qui gazouillent ici ou là (ici un renard-écureuil au comportement très félin) représentent des versions à peine moins inquiétantes ; les personnages de vierges guerrières et de grands-mères quelque peu sorcières ; le goût pour une technologie uchronique, mélange d’éléments de science-fiction et de bricolage digne de l’éco-musée. Jalons dans les thèmes, et c’est le plus important : déjà Nausicaä traite du rapport de l’homme à la nature, et des inconséquences de notre espèce, qui trop souvent propage la catastrophe en prétendant l’enrayer. L’un des royaumes rivaux de la Vallée du vent risque de la détruire par son inconséquence, et l’autre en fait le bouc émissaire nécessaire pour éloigner la pollution de ses propres frontières.
Jalons narratifs enfin : Miyazaki trouve d’emblée les constructions scénaristiques qui, en cohérence parfaite avec son propos écologiste, contribuent à la force de ses films. Un début in medias res, qui joue du montage parallèle et de la parcimonie des éléments d’exposition, oblige le spectateur à reconstituer petit à petit les lois (toujours étonnantes) du monde fictif où il est plongé. Lorsqu’il parvient à maîtriser les connaissances qui règlent le comportement des personnages, ceux-ci sont petit à petit amenés à modifier leur point de vue. L’éventuelle opinion morale que l’on peut avoir de tel ou tel personnage est amenée à évoluer, de même que la compréhension générale de la situation — ici, c’est le statut du Fukaï qui évolue lentement pour le spectateur, ce dont seule Nausicaä avait une intuition non formulée. L’écosystème invente de nouvelles lois, où les hommes — c’est la grande inquiétude qui sourd du film — n’ont peut-être pas leur place.
Le film progresse ainsi par découvertes successives, qui rendent son univers plus complexe en même temps qu’elles sont pour le cinéaste et son directeur artistique Mitsuki Nakamura l’occasion de merveilles toujours renouvelées, parfois aux franges de l’abstraction.
D’une pertinence toujours plus grande, et presque prophétique, Nausicaä est le porche impressionnant de l’œuvre d’un très grand maître.
A lire, le très bon dossier des Cahiers du cinéma de ce mois-ci (n°616) sur la situation de l’animation japonaise. On y trouve une analyse par Hervé Aubron de l’imaginaire mythologique de Miyazaki (Les tribus du monde de Miyazaki) et une présentation, par Stephen Sarrazin, du premier film de Goro Miyazaki… son fils ! Ce dernier article est également disponible sur www.cahiersducinema.com
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- LIENS INTERNET
- FICHE TECHNIQUE
Pays : Japon
Durée : 1h56
Année de production : 1984
Scénario : Hayao Miyazaki d’après son manga
Production : Isao Takahata
Direction artistique : Mitsuki Nakamura
Création des personnages et animation : Kazuo Komatsubara
Photographie : Hideshi Kyonen
Son : Shigeharu Shiba
Montage : Naoki Kaneko
Musique : Joe Hisaishi
- VOIX
Jihl : Mahito Tsujimura
O-Baba : Hisako Kyôda
Yupa : Gorô Naya
Mito : Ichirô Nagai
1 Commentaire
4 juin 2008 à 22:17
Merci, Etienne, pour ce très bel article. Nausicaä est un des rares Miyazaki que je n'ai pas vu, et je suis assez curieuse de le découvrir ! Les dessins présentés à l'expo Moebius-Miyazaki en 2004 m'avaient enchantée, marquant l’influence qu’a eu Arzach (de Moebius), sur le film Nausicaä : univers, paysages, voyages aériens...
A voir, incessamment (mais priorité à Mon voisin Totoro, que Fredou n'a jamais vu !)
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