L'incroyable destin de Harold Crick, de Marc Forster * *

Peu après Neverland, le très productif Marc Forster s’attache à nouveau aux rapports entre la fiction littéraire et la réalité. Après avoir romancé la genèse de Peter Pan, il propose une fable sur la notion de personnage et la responsabilité morale de l’écrivain. Hélas, il a oublié un élément important : le style.

Harold Crick est inspecteur des impôts. Sa vie est réglée comme du papier à musique, dont la mesure serait battue par sa montre dernier modèle. Elle est également racontée par une voix off à l’accent savoureusement britannique. On ne comprend d’ailleurs pas très bien comment le film pourrait évoluer, faute d’imprévu dans cette existence qui rappelle celle de Phileas Fogg ou d’Emmanuel Kant. Jusqu’au jour où Harold Crick prend conscience de l’existence de la voix off, et se rend compte qu’il est le personnage d’un roman. Un roman que son auteur, Karen Eiffel, ne sait comment terminer : elle est à la recherche du meilleur moyen de tuer Harold Crick.

Le film commence par un pastiche du style des plus récents films de David Fincher ; les incrustations informatiques de schémas rappellent Fight Club, le mouvement d’appareil inaugural, Panic Room. A vrai dire, on ne comprend pas très bien ce que cette visualisation des obsessions arithmétiques de Crick apporte au traitement du sujet. La suite est souvent plus plate, sauf pour mettre en valeur la froideur des décors anonymes où évolue Crick (auxquels la pâtisserie tenue par Maggie Gyllenhaal, savoureuse en anarchiste espagnole, ne s’oppose pas vraiment, faute de pittoresque). Marc Forster ne manque pas forcément d’idées (Dustin Hoffman, dans le rôle du professeur de littérature, donc de l’arbitre, se retrouve ainsi à surveiller une piscine), mais c’est l’exécution qui pèche un peu. Puisqu’il s’agit de donner l’impression de la maîtrise absolue d’une narration omnisciente, le travail d’un Fincher, même un peu étouffant, est tout simplement plus précis (cadrages, lumières, mouvements) que les esquisses de Forster.

Significativement, la notion de style n’est d’ailleurs pas abordée par le film. Même si Kay Eiffel semble avoir des maniérismes et des obsessions bien à elle (l’animation des objets inanimés, par exemple), tout son travail est rapporté en termes de storytelling, par elle tout d’abord, lorsqu’elle cherche l’inspiration (même si c’est, finalement, une image qui lui inspire la fin de son roman), puis par le professeur Hilbert, pour qui le choix du dénouement peut faire de son roman, soit un chef-d’œuvre, soit un travail simplement honnête.

Le scénario cite Calvino, par la bouche de Dustin Hoffman, mais malgré quelques réjouissantes échappées (le test que Hilbert fait passer à Crick pour déterminer qui est la narratrice, la journée que Crick tente de passer sans rien faire pour décourager l’auteur…), Forster et le scénariste Zach Helm échouent à faire prendre l’initiative à Crick, et se retrouvent plus ou moins bloqués par le postulat que l’auteur est tout puissant. Par conséquent, on est loin de la fantaisie vertigineuse de Si par une nuit d’hiver un voyageur… Au lieu de cela, le scénario finit par s’engluer dans les bons sentiments, et dans une morale du carpe diem associée à un abandon aux voies mystérieuses de la Providence, que l’on commence à avoir beaucoup entendue, et qui résonne ici de façon quelque peu fataliste (Dieu sait où la barque nous mène, mais heureusement, nous avons des doughnuts).

Que reste-t-il ? D’abord, le postulat est suffisamment fort pour occasionner de très bons moments, comme nous l’avons déjà signalé ; ensuite, manifestement enthousiasmés par le projet, d’excellents acteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes. Dustin Hoffman effectue, avec économie, un numéro irrésistible, Emma Thompson semble atteinte de folie douce, et Will Ferrell, excellent, donne un poids réel aux névroses et aux émotions diverses de Harold Crick. On espère le voir travailler dans les meilleurs délais avec les meilleurs auteurs, comme on espère voir Forster nous proposer des films un peu plus aboutis.

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis
Titre original : Stranger than fiction
Durée : 1h53
Date de sortie : 10 janvier 2007
Scénario : Zach Helm
Assistant réalisateur : Michael Lerman
Production : Lindsay Doran, Aubrey Henderson, Jim Miller
Décors : Kevin Thompson
Photographie : Roberto Schaefer
Son : Richard Jory, Geoffrey G. Rubay
Montage : Matt Chesse
Musique : Britt Daniel, Brian Reitzell

  • DISTRIBUTION
Harold Crick : Will Ferrell
Karen Eiffel : Emma Thompson
Jules Hilbert : Dustin Hoffman
Ana Pascal : Maggie Gyllenhaal
Penny Escher : Queen Latifah
Dave : Tony Hale
Le docteur Cayly : Tom Hulce
Le docteur Mittag-Leffler : Linda Hunt

Partager cet Article:

Facebook Twitter Technorati digg Stumble Delicious MySpace Yahoo Google Reddit Mixx LinkedIN FriendFeed

Blogger

Soyez le premier à commenter cet article !

Enregistrer un commentaire