Les Fantômes de Goya, de Milos Forman * * *

En Espagne, à la toute fin du XVIIIe siècle, tandis qu’en France de nouveaux idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité surgissent de façon quelque peu brouillonne, en Espagne, la Très Sainte Inquisition frappe encore. Une jeune femme, Inès Bilbatua, ayant eu le malheur de refuser un cochon rôti à l’auberge, est interrogée en tant que possible judaïsante. Le peintre Francisco de Goya propose à sa famille ses bons offices auprès du Saint Office, et tâche d’organiser, entre le père d’Inès et le frère Lorenzo, inquisiteur, un dîner de négociations qui tourne bientôt à la catastrophe…
On a reproché à Milos Forman d’avoir réalisé un mélodrame manquant de vraisemblance. Forman… un mélo ? Comment des critiques majeurs et vaccinés peuvent-ils le méconnaître à ce point ? Mais si l’on n’a pas envie de pleurer aux Fantômes de Goya, c’est que le cinéaste a choisi de rire, et que son film est une délicieuse comédie brechtienne, un genre qui, il est vrai, se fait encore plus rare sur les écrans que sur les scènes.
Comme on peut le constater, Goya (Stellan Skarsgård, dont la ressemblance physique avec le peintre sidère) n’est pas tout à fait le personnage principal des Fantômes de Goya. Ce n’est pas non plus un simple observateur dont la présence transformerait les vicissitudes de l’Espagne en spectacle pittoresque à prendre avec distance. Forman et Jean-Claude Carrière sont plus fins que cela : régulièrement, Goya, mû par d’excellents sentiments et soucieux de concilier tout le monde, tâche d’arranger la situation. Immanquablement, ses efforts ne contribuent qu’à jeter à nouveau Inès dans les bras de son tortionnaire libidineux, le frère Lorenzo, joué par un Javier Bardem grimaçant à souhait. Déroute de la bonne volonté face à la folie du monde : Goya, conscient du désastre, devient sourd, et son art, d’abord mondain, évolue vers les visions fantastiques qui l’ont immortalisé (entre parenthèses, c’est une excellente et pédagogique synthèse de sa carrière). De même, Inès perd la raison : la violence de l’histoire blesse l’esprit des personnages plus que leur corps.

Le film se ressent quelque peu, c’est vrai, des aléas d’une coproduction déséquilibrée, un pied de chaque côté de l’Atlantique : la photographie n’a pas la splendeur des autres films historiques de Forman ; il est possible que le montage ait ôté de la chair à la narration et aux personnages. Mais dans les derniers plans — beau sens de l’économie — la folie furieuse des situations rejoint les visions grotesques et hallucinées du peintre (que Forman incorpore alors à son montage, comme Tarkovski à la fin d’Andrei Roubliev), et l’on se retrouve, glacé, le nez sur les errances de ce monde.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Titre original : Goya’s Ghosts
Durée : 1h54
Sortie : 25 juillet 2007
Scénario : Jean-Claude Carrière, Milos Forman
Assistant réalisateur : Charlie Lazaro
Production : Saul Zaentz
Décors : Patrizia von Brandenstein
Photographie : Javier Aguirresarobe
Son : Leslie Shatz
Montage : Adam Boome
Effets visuels : Felix Berges
Musique : Varhan Orchestrovitch Bauer, Jose Nieto
- DISTRIBUTION
Inès Bilbatua / Alicia : Natalie Portman
Frère Lorenzo : Javier Bardem
Charles IV : Randy Quaid
Le père Grégorio : Michael Lonsdale
Tomas Pio Bilbatua : Jose Luis Gomez
La reine Marie-Louise : Blanca Portillo
Henrietta : Aurélia Thierrée
Soyez le premier à commenter cet article !
Enregistrer un commentaire