Un secret, de Claude Miller * * *

Contacté par le producteur Yves Marmion pour adapter le livre de Philippe Grimbert Un secret, Claude Miller y a reconnu les thèmes de son propre cinéma. Pourtant la commande pèse un peu sur la première partie du film, comme si Miller devait mimer à l’écran cette recherche d’un espace d’expression personnelle, avant une deuxième partie admirable et frémissante.

Les années 1950. François est fils unique ; ses parents, juifs, appartiennent à la classe moyenne. Timide et renfermé, François s’est inventé consciemment un grand frère, qu’il passe le plus clair de son temps à doter des qualités qu’il croit lui manquer. Il retrouve un jour dans le grenier des jouets d’enfant qui ne lui appartiennent pas, et qui semblent troubler ses parents, Maxime et Tania, qui sont pour lui deux icônes séduisantes, athlétiques et inaccessibles. C’est à l’adolescence qu’il apprend de la voisine kinésithérapeute, Louise, le secret de famille que le spectateur a deviné depuis longtemps, et qui déterminait inconsciemment son existence, en parfaite cohérence avec les thèses d’un Serge Tisseron.

Que Claude Miller me pardonne cette ironie ; mais comment ne pas se dire, à la vue d’Un secret, qu’il n’a absolument pas su quoi faire du ressort dramatique principal de l’intrigue, annoncé dans le titre ? Sa mise en scène s’égare jusqu’à l’évanescence dans des effets de manche manquant de conviction : apparitions du grand frère fantasmé, flashes-forward en noir et blanc (le cliché est inversé, mais il aurait été plus simple de s’en débarrasser carrément) sur François devenu adulte, dans les années 1980, transitions entre deux séquences qui évoquent les expérimentations d’un jeune homme découvrant le montage vidéo sur son ordinateur… Sa situation de départ est : il y a un secret ; et elle l’ennuie. Un secret, ou comment s’en débarrasser…

Ce qui intéresse Claude Miller, évidemment, c’est le secret lui-même, dont on découvre heureusement qu’il a plusieurs fonds, et le long flash-back qui constitue l’essentiel de la seconde partie du film. Dès lors, débarrassé de sa construction compliquée et sans intérêt (à l’exception d’une scène où l’on voit François dans son travail d’instituteur spécialisé, et où plane l’ombre de Truffaut, éternel maître de Miller…), Miller aborde le cœur de son sujet : tout d’abord la mémoire de la Shoah, qu’il n’avait jamais abordée, et qu’il traite ici avec le moins de pathos possible, par les à-côtés. Miller ne perd jamais de vue qu’il raconte avant tout un drame familial, et la possibilité même de ce drame familial constitue un éloge de la vie opposé à la pulsion de mort qui habite les nazis. La famille de Maxime et Tania, en ordre dispersé, tâche d’ailleurs de gagner un refuge, de l’autre côté de la ligne de démarcation, chez le bienveillant commandant Béraud. La luxuriance de la nature, filmée avec délices ainsi que tout ce qui concerne la vie à la campagne, fait de ce refuge une sorte de Paradis évidemment trompeur (de même que Maxime, qui joue le jeu de l’assimilation à la société française, refuse longtemps d’évaluer justement le danger), mais qui désigne également le rêve d’un au-delà de la guerre. Si le film n’évoque jamais l’invasion de la zone libre, c’est bien dommage du point de vue historique (on devra supposer que le commandant Béraud a réussi à dissimuler la famille jusqu’au bout), mais aisément compréhensible, du coup, sur le plan symbolique.

Miller rentre, dans ces flashes-back, en pleine possession de son art ; il peint ses personnages au pastel, avec une attention égale, un regard amoureux et bienveillant; il évoque avec vivacité les conflits de ses personnages dans des scènes où le moindre détail chante juste, grâce au soin apporté aux gestes concrets au-delà des nécessités de la reconstitution historique, et au talent d’une troupe composite, mais choisie avec un à-propos bienvenu. Nouveaux venus chez Miller, Patrick Bruel et Cécile de France prêtent leur opacité aux mystérieux Maxime et Tania, ceux qui maintiennent le secret (et le secret-dans-le-secret). Face à eux, au contraire, des habitués du cinéma de Miller (Julie Depardieu, Yves Jacques, Yves Verhoeven) font vibrer les scènes de toute leur sensibilité. Nathalie Boutefeu et Mathieu Amalric, un peu isolé dans ses flashes-forward, se mettent au diapason avec tout leur immense talent. C’est Ludivine Sagnier, frêle ludion aux cheveux de la couleur du feu qui la dévore, qui étonne le plus ; je ne l’avais jamais vue ainsi. Sa confrontation permanente avec l’athlétique Cécile de France est électrique et fait lentement monter l’émotion tendue, pudique, qui sourd des meilleurs moments du film.

Etienne Mahieux


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  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h40
Sortie : 3 octobre 2007
Scénario : Claude Miller, Natalie Carter
D’après le roman de : Philippe Grimbert
Assistant réalisateur : Denis Bergonhe
Production : Yves Marmion, Alfred Hürmer
Décors : Jean-Pierre Kohut-Svelko
Photographie : Gérard de Battista
Cadre : Nathan Miller
Son : Pascal Armant, Fred Demolder, Philippe Beauhouin
Montage : Véronique Lange
Musique : Zbigniew Preisner

  • DISTRIBUTION
Tania : Cécile de France
Maxime : Patrick Bruel
Hannah : Ludivine Sagnier
Louise : Julie Depardieu
François : Mathieu Amalric
Esther : Nathalie Boutefeu
Guillaume : Yves Verhoeven
François à 14 ans : Quentin Dubuis
François à 7 ans : Valentin Vigourt
Simon : Orlando Nicoletti
Le commandant Béraud : Yves Jacques
Joseph : Sam Gabarski
Robert : Robert Plagnol
Le passeur : Philippe Grimbert

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