L’Heure zéro, de Pascal Thomas * * *

Deux ans après Mon petit doigt m’a dit, Pascal Thomas adapte à nouveau un roman d’Agatha Christie, et de façon tout aussi peu académique. S’il ne retrouve pas tout à fait l’alcoolémie du précédent opus, il nous invite à une partie de Cluedo au deuxième degré qui n’est déjà pas du Champomy. (Mais qu’est-ce qu’y raconte, çui-là ?)

Pour une bonne partie de Cluedo, il faut d’abord une grande et vieille maison de famille, de préférence dans une région légèrement touristique et huppée : l’action étant transposée en France, la côte bretonne fera l’affaire. Il faut ensuite une distribution adéquate : soit un jeune tennisman qui fut plein d’avenir, et qui passe ses vacances chez sa grand-tante en compagnie de sa femme, mais aussi de son ancienne épouse, espérant contre toute vraisemblance les réconcilier. Sachant qu’un voyageur au passé rempli de zones d’ombre et une secrétaire émotive complètent la touchante réunion familiale, et que l’hôtel voisin abrite le meilleur ami de la nouvelle femme du tennisman et un procureur qui professe de bien étranges théories, qui tuera qui quand arrivera l’heure inévitable du drame, l’heure zéro ?

Comment éviter les clichés lorsqu’on s’attaque à un genre si codé ? Décaler, décaler toujours. Pascal Thomas ne s’en prive pas. Son film évolue sans cesse entre le sérieux et le burlesque. Les personnages d’Aude et Caroline, les deux rivales, sont comme les deux faces possibles du film : la femme douloureuse drapée dans sa dignité, et la bombe gouailleuse (jouée par une Laura Smet déchaînée) dont le franc-parler rend toute situation explosive. Les détails comiques mais vraisemblables, comme la caractérisation des deux domestiques, qui semblent sortis de La Règle du jeu, voisinent avec la pure fantaisie, comme ce petit orchestre, parfois juché sur un manège, dont les interventions ponctuent l’intrigue.

Ce qui manque peut-être à cette Heure zéro, qui remplit scrupuleusement son programme policier en multipliant les fausses pistes avec une légèreté souveraine, et qui se montre cocasse autant qu’on pourrait le rêver, jusqu’à l’extrême limite de la rupture du sérieux de la situation, c’est un personnage qui incarne cette dynamique, comme l’était Prudence Beresford dans Mon petit doigt m’a dit. Ici, l’enquêteur est le commissaire Martin Bataille, idoinement interprété par l’excellent François Morel. Dérangé dans ses vacances par un neveu admiratif, doté d’une fille à problèmes parce qu’il l’a trop bien élevée, Bataille débarque en T-shirt fantaisie et en bob sur les lieux du crime, fait preuve d’une clairvoyance réjouissante, et chantonne, sur l’air du vieux carillon « Orléans, Beaugency… » : « Sherlock Holmes, Jules Maigret / Miss Marple, Hercule Poirot / Columbo, Columbo… ». Bref, c’est une créature éminemment pascalthomienne, au croisement du raffinement extrême et du n’importe-quoi assumé, mais, en sa qualité de policier professionnel, il subit l’intrigue au lieu de la devancer comme le faisait Prudence, dont l’excentricité obstinée constituait le moteur de l’intrigue, et concentrait le principe esthétique du film sur une figure à laquelle le spectateur était amené à s’identifier.

Mais, même en l’absence de cette furia irrésistible, on aurait du mal et de la mauvaise foi à bouder son plaisir devant ce film sans la moindre prétention, mais tout simplement ivre, et grisant, de la liberté souveraine à laquelle est parvenu son auteur depuis une dizaine d’années. Si vous voulez rire dans l’âme, comme disait l’autre, et jouer à frémir, ruez-vous sur cette Heure zéro.

Etienne Mahieux

  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : France
Durée : 1h47
Date de sortie : 31 octobre 2007
Scénario : François Caviglioli, Clémence de Biéville, Roland Duval, Nathalie Lafaurie
D’après le roman de : Agatha Christie
Assistant réalisateur : Thierry Mauvoisin
Production : Hubert Watrinet
Décors : Katia Wyszkop
Photographie : Renan Pollès
Son : Pierre Lenoir, Claude Villand
Montage : Marie de la Selle, Catherine Dubeau, Elena Mano
Musique : Reinhardt Wagner

  • DISTRIBUTION
Le commissaire Martin Bataille : François Morel
Guillaume Neuville : Melvil Poupaud
Aude : Chiara Mastroianni
Caroline Neuville : Laura Smet
Thomas Rondeau : Clément Thomas
Marie-Adeline : Alessandra Martines
Frédéric Latimer : Xavier Thiam
Pierre Leca : Vania Plemmianikov
Camilla Tressilian : Danielle Darrieux
Ange Werther : Hervé Pierre
Charles Trevoz : Jacques Sereys
Heurtebise : Paul Minthe
La directrice du collège : Dominique Reymond
Le médecin légiste : Pascal Thomas
Sylvie Bataille : Camille Balsan

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1 Commentaire

Je me souviens avoir beaucoup aimé ce film, sa construction, son atmosphère, c'est un film grinçant et parfois drôle dans lequel j'ai pris du plaisir à me laisser embarquer...

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