Entre les murs, de Laurent Cantet * * * *
Les temps sont fastes pour la culture française : le prix Nobel de J.M.G. Le Clézio et la Palme d’Or de Laurent Cantet feront peut-être taire ses fossoyeurs professionnels. Entre les murs, qui succède ainsi à Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, récompensé à Cannes en 1987, est une chronique d’un collège ordinaire, et un film impeccable de rigueur et de modestie.
C’est l’histoire de François Marin, le professeur de français d’une classe de quatrième au collège Françoise-Dolto, dans le vingtième arrondissement de Paris. Mais oui, entre les murs. Pourtant ses élèves sont dignes, à la fois par leur vitalité et par leur turbulence, de ceux qui ont fait la sombre renommée des banlieues voisines. Le film se concentre à dessein sur le travail de François avec cette seule classe, et passe la quasi-totalité de son temps entre les murs du collège, voire de la salle de cours. Il n’y a pas d’autre histoire. Ou plutôt, François aurait aimé qu’il n’y eût pas d’autre histoire.
Afin de mieux montrer l’étendue de la réussite d’un film qui n’a pas laissé grand monde indifférent, je voudrais partir de l’argument qui m’a semblé revenir le plus souvent chez ses détracteurs : le film mettrait en valeur de façon indue la pédagogie de François Marin. Et François Marin, bien sûr, c’est François Bégaudeau, professeur de lettres, critique de cinéma et écrivain, coscénariste du film et interprète principal, qui se présenterait en modèle.
Or, Entre les murs n’est pas un film de François Bégaudeau, quelle que soit l’immense part qu’il a prise à sa création. C’est un film de Laurent Cantet, qui s’inscrit d’ailleurs de façon évidente dans l’œuvre de ce cinéaste remarquable, centrée jusqu’ici sur l’observation des humains au travail, y compris quand ce dernier prend des formes paradoxales, comme dans L’Emploi du temps. Bégaudeau s’expose, dans un rôle très proche de sa vraie personnalité comme de ses méthodes professionnelles, devant la caméra de quelqu’un d’autre. Je voudrais citer à dessein un cinéaste très éloigné esthétiquement de Laurent Cantet : « See the world through my eyes » disait David Lean : regardez le monde par mes yeux. Ici, le regard est bien celui de Laurent Cantet.
Et Cantet nous montre un professeur intelligent, doué, et faillible. Admirable un jour, vaseux le lendemain. Comme ils le sont tous (demandez à mes élèves). Il commet même une bêtise majeure, dérisoire mais de conséquences lourdes, qui fait d’Entre les murs l’histoire au moins d’une moitié d’échec : c’est même assez courageux à Bégaudeau de s’être prêté à ce travail. François traîne les pieds quand il s’agit de travailler en équipe, se laisse trop facilement entraîner dans des digressions et doit ramer pour revenir au sujet de son cours : c’est évident. Par contre il parvient à surprendre la créativité d’un élève qui croyait refuser la consigne, par ses provocations il pousse une élève à lire un livre que jamais un inspecteur sensé ne mettrait au programme d’une classe de quatrième : triomphes…
Il y a plus.
Au bout du compte, voir dans le film l’éloge de méthodes de travail critiquables revient à le considérer comme un documentaire nous montrant François Bégaudeau au travail.
Or ce n’est pas un documentaire. Pas du tout. Si le film s’inspire d’une réalité vécue, il la reconstitue entièrement : c’est un travail de fiction, et qui est de premier ordre puisque la confusion est possible. La plupart des détracteurs du travail de Laurent Cantet lui rendent donc un hommage paradoxal.
Il y a certes de quoi douter : alors que les deux tiers du film se passent dans l’espace restreint de la salle de classe, jamais le temps ne pèse au spectateur tant la spontanéité des jeunes acteurs est éblouissante, tant l’on croit à cette quatrième attachante et pénible : l’année scolaire file comme le vent. Ce sont bien des acteurs pourtant : un an de travail avant le tournage, et des personnages de composition. Il y en a même un qui a dû apprendre le bambara pour les besoins de son personnage. Malgré le resserrement dramaturgique du film (rien sur les autres classes, rien sur la vie privée de François), le collège existe également autour de la classe de François, tant chaque détail est travaillé et juste : ainsi, sans que personne n’y fasse allusion, on s’aperçoit que le collège Dolto manque singulièrement d’une salle de réunions !
La seule scène située hors du collège est la première : le matin de la rentrée, François prend un café au comptoir en face de l’établissement. Le cadre exagérément serré, apparemment contradictoire avec le format cinémascope, rend nécessaire la détente musculaire, fait du professeur un lion en cage, un coureur avant le coup de feu du départ. Par la suite ce choix de l’écran large sert au mieux les joutes verbales qui sont au cœur du film, permet d’opposer le professeur (au singulier) aux élèves (au pluriel) qui se partagent le cadre : mention spéciale au duo Khoumba/Esméralda, épique. Par contre l’ambiance restera souvent étouffante, et la caméra colle aux acteurs, pas seulement sans doute en raison de l’exiguïté des lieux. Les seuls vrais plans d’ensemble sont ceux de la cour de récréation, filmés en plongée, sans échappée sur le ciel.
Je vous épargnerai donc mes commentaires de professeur — d’autant qu’au fond j’étais sans doute moins surpris que la plupart des spectateurs par le contenu du film — pour m’en tenir à un point de vue strictement cinéphile. Montrer ainsi un métier sans la moindre fausse note, dessiner des personnages avec autant de légèreté et de bienveillance, c’est du grand art. Si ce n’est déjà fait, courez voir Entre les murs.
Durée : 2h08
Date de sortie : 24 septembre 2008
Scénario : Laurent Cantet, François Bégaudeau, Robin Campillo
D’après le livre de : François Bégaudeau
Collaboration artistique : Brigitte Tijou
Assistant réalisateur : Michel Dubois
Production : Caroline Benjo, Carole Scotta, Barbara Letellier, Simon Arnal-Szlovak
Décors : Sabine Barthélémy, Hélène Bellanger
Photographie : Pierre Milon, Catherine Pujol, Georgi Lazarevski
Son : Olivier Mauvezin, Jean-Pierre Laforce
Montage : Robin Campillo, Stéphanie Léger
Esmeralda : Esmeralda Ouertani
Souleymane : Franck Keïta
Khoumba : Rachel Régulier
Laura : Laura Baquela
Cherif : Cheri Bounaïdja Rachedi
Juliette : Juliette Demaille
Dalla : Dalla Doucouré
Arthur : Arthur Fogel
Damien : Damien Gomes
Louise : Louise Grinberg
Qifei : Qifei Huang
Wei : Wei Huang
Henriette : Henriette Kasaruhanda
Lucie : Lucie Landrevie
Agame : Agame Malembo-Emene
Rabah : Rabah Naït Oufella
Carl : Carl Nanor
Burak : Burak Özyilmaz
Eva : Eva Paradiso
Angélica : Angelica Sancio
Samantha : Samantha Soupirot
Boubacar : Boubacar Touré
Justine : Justine Wu
Le principal : Jean-Michel Simonet
La CPE : Julie Athenol
La mère de Souleymane : Fatoumata Kanté
C’est l’histoire de François Marin, le professeur de français d’une classe de quatrième au collège Françoise-Dolto, dans le vingtième arrondissement de Paris. Mais oui, entre les murs. Pourtant ses élèves sont dignes, à la fois par leur vitalité et par leur turbulence, de ceux qui ont fait la sombre renommée des banlieues voisines. Le film se concentre à dessein sur le travail de François avec cette seule classe, et passe la quasi-totalité de son temps entre les murs du collège, voire de la salle de cours. Il n’y a pas d’autre histoire. Ou plutôt, François aurait aimé qu’il n’y eût pas d’autre histoire.
Afin de mieux montrer l’étendue de la réussite d’un film qui n’a pas laissé grand monde indifférent, je voudrais partir de l’argument qui m’a semblé revenir le plus souvent chez ses détracteurs : le film mettrait en valeur de façon indue la pédagogie de François Marin. Et François Marin, bien sûr, c’est François Bégaudeau, professeur de lettres, critique de cinéma et écrivain, coscénariste du film et interprète principal, qui se présenterait en modèle.
Or, Entre les murs n’est pas un film de François Bégaudeau, quelle que soit l’immense part qu’il a prise à sa création. C’est un film de Laurent Cantet, qui s’inscrit d’ailleurs de façon évidente dans l’œuvre de ce cinéaste remarquable, centrée jusqu’ici sur l’observation des humains au travail, y compris quand ce dernier prend des formes paradoxales, comme dans L’Emploi du temps. Bégaudeau s’expose, dans un rôle très proche de sa vraie personnalité comme de ses méthodes professionnelles, devant la caméra de quelqu’un d’autre. Je voudrais citer à dessein un cinéaste très éloigné esthétiquement de Laurent Cantet : « See the world through my eyes » disait David Lean : regardez le monde par mes yeux. Ici, le regard est bien celui de Laurent Cantet.
Et Cantet nous montre un professeur intelligent, doué, et faillible. Admirable un jour, vaseux le lendemain. Comme ils le sont tous (demandez à mes élèves). Il commet même une bêtise majeure, dérisoire mais de conséquences lourdes, qui fait d’Entre les murs l’histoire au moins d’une moitié d’échec : c’est même assez courageux à Bégaudeau de s’être prêté à ce travail. François traîne les pieds quand il s’agit de travailler en équipe, se laisse trop facilement entraîner dans des digressions et doit ramer pour revenir au sujet de son cours : c’est évident. Par contre il parvient à surprendre la créativité d’un élève qui croyait refuser la consigne, par ses provocations il pousse une élève à lire un livre que jamais un inspecteur sensé ne mettrait au programme d’une classe de quatrième : triomphes…
Il y a plus.
Au bout du compte, voir dans le film l’éloge de méthodes de travail critiquables revient à le considérer comme un documentaire nous montrant François Bégaudeau au travail.
Or ce n’est pas un documentaire. Pas du tout. Si le film s’inspire d’une réalité vécue, il la reconstitue entièrement : c’est un travail de fiction, et qui est de premier ordre puisque la confusion est possible. La plupart des détracteurs du travail de Laurent Cantet lui rendent donc un hommage paradoxal.
Il y a certes de quoi douter : alors que les deux tiers du film se passent dans l’espace restreint de la salle de classe, jamais le temps ne pèse au spectateur tant la spontanéité des jeunes acteurs est éblouissante, tant l’on croit à cette quatrième attachante et pénible : l’année scolaire file comme le vent. Ce sont bien des acteurs pourtant : un an de travail avant le tournage, et des personnages de composition. Il y en a même un qui a dû apprendre le bambara pour les besoins de son personnage. Malgré le resserrement dramaturgique du film (rien sur les autres classes, rien sur la vie privée de François), le collège existe également autour de la classe de François, tant chaque détail est travaillé et juste : ainsi, sans que personne n’y fasse allusion, on s’aperçoit que le collège Dolto manque singulièrement d’une salle de réunions !
La seule scène située hors du collège est la première : le matin de la rentrée, François prend un café au comptoir en face de l’établissement. Le cadre exagérément serré, apparemment contradictoire avec le format cinémascope, rend nécessaire la détente musculaire, fait du professeur un lion en cage, un coureur avant le coup de feu du départ. Par la suite ce choix de l’écran large sert au mieux les joutes verbales qui sont au cœur du film, permet d’opposer le professeur (au singulier) aux élèves (au pluriel) qui se partagent le cadre : mention spéciale au duo Khoumba/Esméralda, épique. Par contre l’ambiance restera souvent étouffante, et la caméra colle aux acteurs, pas seulement sans doute en raison de l’exiguïté des lieux. Les seuls vrais plans d’ensemble sont ceux de la cour de récréation, filmés en plongée, sans échappée sur le ciel.
Je vous épargnerai donc mes commentaires de professeur — d’autant qu’au fond j’étais sans doute moins surpris que la plupart des spectateurs par le contenu du film — pour m’en tenir à un point de vue strictement cinéphile. Montrer ainsi un métier sans la moindre fausse note, dessiner des personnages avec autant de légèreté et de bienveillance, c’est du grand art. Si ce n’est déjà fait, courez voir Entre les murs.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 2h08
Date de sortie : 24 septembre 2008
Scénario : Laurent Cantet, François Bégaudeau, Robin Campillo
D’après le livre de : François Bégaudeau
Collaboration artistique : Brigitte Tijou
Assistant réalisateur : Michel Dubois
Production : Caroline Benjo, Carole Scotta, Barbara Letellier, Simon Arnal-Szlovak
Décors : Sabine Barthélémy, Hélène Bellanger
Photographie : Pierre Milon, Catherine Pujol, Georgi Lazarevski
Son : Olivier Mauvezin, Jean-Pierre Laforce
Montage : Robin Campillo, Stéphanie Léger
- DISTRIBUTION
Esmeralda : Esmeralda Ouertani
Souleymane : Franck Keïta
Khoumba : Rachel Régulier
Laura : Laura Baquela
Cherif : Cheri Bounaïdja Rachedi
Juliette : Juliette Demaille
Dalla : Dalla Doucouré
Arthur : Arthur Fogel
Damien : Damien Gomes
Louise : Louise Grinberg
Qifei : Qifei Huang
Wei : Wei Huang
Henriette : Henriette Kasaruhanda
Lucie : Lucie Landrevie
Agame : Agame Malembo-Emene
Rabah : Rabah Naït Oufella
Carl : Carl Nanor
Burak : Burak Özyilmaz
Eva : Eva Paradiso
Angélica : Angelica Sancio
Samantha : Samantha Soupirot
Boubacar : Boubacar Touré
Justine : Justine Wu
Le principal : Jean-Michel Simonet
La CPE : Julie Athenol
La mère de Souleymane : Fatoumata Kanté
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