Le Crime est notre affaire, de Pascal Thomas * * *
Adapter Agatha Christie semble désormais être devenu la raison sociale de Pascal Thomas ; et le traitement qu’il fait subir aux intrigues de la romancière britannique est toujours fort intéressant. Le Crime est notre affaire fait, au prix d’une modification de l’intrigue du Train de 16h50, suite à Mon petit doigt m’a dit, toujours sur le ton de l’humour étrange.
Le temps a passé sur la grande demeure de Prudence et Bélisaire Beresford, ce dernier étant désormais retraité des services secrets. Mais Prudence est une femme d’action, et la retraite, pour elle, c’est l’ennui. Heureusement pour tout le monde (sauf pour la victime), sa tante Babette, une entomologiste distinguée une fois, est témoin, à l’occasion du croisement de deux trains, d’un assassinat. Intriguée par le récit de la vieille dame, Prudence se fait engager comme cuisinière dans la grande demeure familiale dont le domaine borde le lieu ferroviaire du crime.
Pascal Thomas s’est mis des boulets aux pieds : il fait intervenir délibérément (puisque l’héroïne du roman était Miss Marple) les personnages de Mon petit doigt m’a dit et le lieu canonique du roman à énigme qu’est la gentilhommière de province, peuplée d’une partie de la distribution de L’Heure zéro (les délicieusement inséparables Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud, flanqués d’un Hippolyte Girardot rencontré sur le tournage du film de Desplechin). Le risque de répétition était donc réel ; et de fait Mon petit doigt m’a dit reste pour l’instant le meilleur opus de la collection. Ici, ce n’est plus Prudence Beresford qui fait défaut, mais la structure itinérante, imprévisible, voyageuse de l’enquête, qui suscitait un émerveillement renouvelé. Par contre, le plaisir de ce genre d’intrigues est dans l’abondance de seconds rôles savoureux, ici volontiers traités sur le mode de la commedia dell’arte : Claude Rich ou Catherine Frot ne recherchent aucun réalisme dans un jeu loufoque et stylisé.
Comme dans beaucoup de ses œuvres, ainsi que l’a montré Pierre Bayard (que ses étudiants couvrent son chemin de lys et de roses), Agatha Christie s’est livrée dans Le Train de 16h50 à une réflexion ironique sur les capacités de la raison, qui culmine ici dans une dernière scène empruntée à une histoire drôle qui a beaucoup couru il y a quelques années, mais dont la pertinence est indiscutable. Pendant l’essentiel du film, c’est peu de dire que l’enquête piétine : l’assassin se voyant impuni, et ivre de sa puissance, commence à éliminer les autres suspects, même si c’est avec astuce, ce qui finalement le perd : Prudence n’a plus dès lors qu’à lui tendre un piège, délicieusement cinématographique puisqu’il s’agit de reproduire une image, afin d’obtenir un élément de preuve.
Les patinages de l’intrigue policière laissent donc le champ libre à Pascal Thomas pour déployer son humour et son goût de l’étrange. Après le décalage permanent de Mon petit doigt… et le mélange de dérision et d’onirisme poétique de l’Heure zéro, Le Crime est notre affaire trouve son ton particulier dans l’irruption de bouffées délirantes, correspondant souvent aux rêves de Prudence, qui fait jouer au ball-trap des soldats de la Grande Armée, mais susceptibles d’intervenir à tout moment : un long plan où Bélisaire regrette certainement d’avoir mis un kilt est un hommage tout à la fois à Billy Wilder (pour le fond) et à Jacques Tati (pour la forme), et porteur d’un burlesque devenu rare. Le suspense d’une scène d’interrogatoire se déplace, de même, du contenu des révélations faites par les personnages à la coexistence plus ou moins pacifique de Prudence, qui écoute par le passe-plat, et d’une souris qui pointe alors son museau.
Mais l’étrangeté ne se limite pas aux envolées fantaisistes du film ; les sculptures en bois représentant des loups, semées autour de l’allée principale du parc ; la décoration délirante à force de surcharge de Katia Wyszkop (très bien mise en valeur par une photographie raffinée), qui évoque l’atmosphère de certains films de Manoel de Oliveira, des choix de distribution comme celui de faire jouer les fillettes par deux jeunes adultes, instillent un délicieux malaise. Pascal Thomas n’a-t-il pas créé un pays de fantaisie, où les paysages savoyards accueillent l’accent belge d’Odette Laure et des patronymes anglais « très courants » ?
Bref, si Le Crime est notre affaire n’est pas un chef-d’œuvre, c’est un film original et attachant ; et quand Pascal Thomas serait condamné par le destin à ne réaliser que des films « originaux et attachants », il nous serait déjà très précieux.
Durée : 1h49
Date de sortie : 15 octobre 2008
Scénario : Pascal Thomas, Clémence de Biéville, François Caviglioli
D’après les nouvelles du recueil Le Crime est notre affaire et le roman Le Train de 16h50 de : Agatha Christie
Assistant réalisateur : Olivier Bouffard
Production : Nathalie Lafaurie
Décors : Katia Wyszkop
Photographie : Renan Pollès
Son : Pierre Lenoir, Claude Villand
Montage : Catherine Dubeau, Elena Manso, Mélanie Mourey
Musique : Reinhardt Wagner
Bélisaire Beresford : André Dussollier
Emma Charpentier : Chiara Mastroianni
Roderick Charpentier : Claude Rich
Frédéric Charpentier : Melvil Poupaud
Le docteur François Lagarde : Hippolyte Girardot
Raphaël Charpentier : Alexandre Lafaurie
Augustin Charpentier : Christian Vadim
Alexie Charpentier : Alexie Ribes
Valérie : Kym Thiriot
L’inspecteur Blache : Yves Afonso
Tante Babette Boutiti : Annie Cordy
Madame Clairin : Valériane de Villeneuve
Margaret Brown : Laura Benson
Le temps a passé sur la grande demeure de Prudence et Bélisaire Beresford, ce dernier étant désormais retraité des services secrets. Mais Prudence est une femme d’action, et la retraite, pour elle, c’est l’ennui. Heureusement pour tout le monde (sauf pour la victime), sa tante Babette, une entomologiste distinguée une fois, est témoin, à l’occasion du croisement de deux trains, d’un assassinat. Intriguée par le récit de la vieille dame, Prudence se fait engager comme cuisinière dans la grande demeure familiale dont le domaine borde le lieu ferroviaire du crime.
Pascal Thomas s’est mis des boulets aux pieds : il fait intervenir délibérément (puisque l’héroïne du roman était Miss Marple) les personnages de Mon petit doigt m’a dit et le lieu canonique du roman à énigme qu’est la gentilhommière de province, peuplée d’une partie de la distribution de L’Heure zéro (les délicieusement inséparables Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud, flanqués d’un Hippolyte Girardot rencontré sur le tournage du film de Desplechin). Le risque de répétition était donc réel ; et de fait Mon petit doigt m’a dit reste pour l’instant le meilleur opus de la collection. Ici, ce n’est plus Prudence Beresford qui fait défaut, mais la structure itinérante, imprévisible, voyageuse de l’enquête, qui suscitait un émerveillement renouvelé. Par contre, le plaisir de ce genre d’intrigues est dans l’abondance de seconds rôles savoureux, ici volontiers traités sur le mode de la commedia dell’arte : Claude Rich ou Catherine Frot ne recherchent aucun réalisme dans un jeu loufoque et stylisé.
Comme dans beaucoup de ses œuvres, ainsi que l’a montré Pierre Bayard (que ses étudiants couvrent son chemin de lys et de roses), Agatha Christie s’est livrée dans Le Train de 16h50 à une réflexion ironique sur les capacités de la raison, qui culmine ici dans une dernière scène empruntée à une histoire drôle qui a beaucoup couru il y a quelques années, mais dont la pertinence est indiscutable. Pendant l’essentiel du film, c’est peu de dire que l’enquête piétine : l’assassin se voyant impuni, et ivre de sa puissance, commence à éliminer les autres suspects, même si c’est avec astuce, ce qui finalement le perd : Prudence n’a plus dès lors qu’à lui tendre un piège, délicieusement cinématographique puisqu’il s’agit de reproduire une image, afin d’obtenir un élément de preuve.
Les patinages de l’intrigue policière laissent donc le champ libre à Pascal Thomas pour déployer son humour et son goût de l’étrange. Après le décalage permanent de Mon petit doigt… et le mélange de dérision et d’onirisme poétique de l’Heure zéro, Le Crime est notre affaire trouve son ton particulier dans l’irruption de bouffées délirantes, correspondant souvent aux rêves de Prudence, qui fait jouer au ball-trap des soldats de la Grande Armée, mais susceptibles d’intervenir à tout moment : un long plan où Bélisaire regrette certainement d’avoir mis un kilt est un hommage tout à la fois à Billy Wilder (pour le fond) et à Jacques Tati (pour la forme), et porteur d’un burlesque devenu rare. Le suspense d’une scène d’interrogatoire se déplace, de même, du contenu des révélations faites par les personnages à la coexistence plus ou moins pacifique de Prudence, qui écoute par le passe-plat, et d’une souris qui pointe alors son museau.
Mais l’étrangeté ne se limite pas aux envolées fantaisistes du film ; les sculptures en bois représentant des loups, semées autour de l’allée principale du parc ; la décoration délirante à force de surcharge de Katia Wyszkop (très bien mise en valeur par une photographie raffinée), qui évoque l’atmosphère de certains films de Manoel de Oliveira, des choix de distribution comme celui de faire jouer les fillettes par deux jeunes adultes, instillent un délicieux malaise. Pascal Thomas n’a-t-il pas créé un pays de fantaisie, où les paysages savoyards accueillent l’accent belge d’Odette Laure et des patronymes anglais « très courants » ?
Bref, si Le Crime est notre affaire n’est pas un chef-d’œuvre, c’est un film original et attachant ; et quand Pascal Thomas serait condamné par le destin à ne réaliser que des films « originaux et attachants », il nous serait déjà très précieux.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h49
Date de sortie : 15 octobre 2008
Scénario : Pascal Thomas, Clémence de Biéville, François Caviglioli
D’après les nouvelles du recueil Le Crime est notre affaire et le roman Le Train de 16h50 de : Agatha Christie
Assistant réalisateur : Olivier Bouffard
Production : Nathalie Lafaurie
Décors : Katia Wyszkop
Photographie : Renan Pollès
Son : Pierre Lenoir, Claude Villand
Montage : Catherine Dubeau, Elena Manso, Mélanie Mourey
Musique : Reinhardt Wagner
- DISTRIBUTION
Bélisaire Beresford : André Dussollier
Emma Charpentier : Chiara Mastroianni
Roderick Charpentier : Claude Rich
Frédéric Charpentier : Melvil Poupaud
Le docteur François Lagarde : Hippolyte Girardot
Raphaël Charpentier : Alexandre Lafaurie
Augustin Charpentier : Christian Vadim
Alexie Charpentier : Alexie Ribes
Valérie : Kym Thiriot
L’inspecteur Blache : Yves Afonso
Tante Babette Boutiti : Annie Cordy
Madame Clairin : Valériane de Villeneuve
Margaret Brown : Laura Benson
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