La Vie moderne, de Raymond Depardon * * * *
Troisième volet de la série des Profils paysans que Raymond Depardon mène depuis le début de la décennie, La Vie moderne est un film d’une impressionnante plénitude esthétique, un regard d’une profonde humanité sur un monde agonisant, qui vient d’être justement salué par le prix Louis-Delluc 2008.
La caméra avance le long d’une petite route des Cévennes qui mène à la ferme des frères Marcel et Raymond Privat. Le violoncelle élégiaque de Gabriel Fauré esquisse ses accords. Et avant qu’on s’y attende, la caméra s’arrête : le troupeau de brebis des deux frères descend du coteau et coupe la route. Dès ce premier plan, on sait qu’on est face à un remarquable documentaire.
La Vie moderne est construit d’une façon très simple : les déplacements de ferme en ferme rythment des entretiens paisibles entre Raymond Depardon et les paysans cévenols auxquels il consacre son film. Ces entretiens ont lieu généralement dans la ferme, souvent dans la cuisine ; la famille se réunit autour de la table, il y a une place pour Raymond, le paysan à la caméra, et pour sa femme Claudine, qui tient la perche du micro : je pense à cette scène, dans la famille Challaye, où l’hôtesse, enchantée, fournit les deux documentaristes en café, s’inquiète qu’il refroidisse, propose de reprendre des gâteaux… Retrouvailles avec de vieilles connaissances ou premier contact avec de nouvelles. Dans l’intervalle, les déplacements permettent de découvrir le pays : l’isolement des fermes éparpillées au flanc des montagnes, la rudesse du terrain, pentu, de plus en plus envahi par les broussailles.
Raymond Depardon sait que pour faire parler ses interlocuteurs, l’agressivité, l’astuce de l’intervieweur ne servent à rien. Il glisse des allusions, pose des questions simples, et surtout attend que la parole advienne. Et, choix remarquable, il ne coupe pas, ou pas toujours, ces périodes d’approche. Le spectateur apprend à attendre, à écouter, à deviner la joie ou la souffrance entre les mots, et n’a pas besoin d’être paysan pour comprendre les enjeux de la vie de ces gens à la table desquels Raymond Depardon a réussi à le faire inviter. Effet paradoxal : ce film lent et silencieux passe à toute vitesse. Il semble ne durer que trois quarts d’heure, il frustre presque, on en redemande.
Si le film s’appelle La Vie moderne, c’est parce que les formes majoritaires de la société, qui ne sont pas encore parvenues dans ces fermes, les cernent, et leur imposent des contraintes qui leur sont étrangères et les étranglent : on assiste ainsi à l’échec piteux d’un jeune couple de bonne volonté, qui ne parvient pas à convaincre son banquier de l’aider à rouvrir une exploitation. La loi de la rentabilité condamne ces terres exigeantes et peu productives. Ceux qui sont installés, eux, travaillent dans leur vieillesse, voire dans leur grande vieillesse. Parfois, un enfant reste avec eux, souvent celui qui n’a pas pu faire d’études : et la vie paysanne devient une relégation. Les frères Privat, avec l’intransigeance des grands héros tragiques, se battent et se battront jusqu’à la limite de leurs forces pour l’exercice d’un métier qui n’est plus pensable que comme une vocation : « il faut être passionné », dit Raymond ; autrement, ce n’est pas la peine, cette peine infinie devient absurde.
Si le film s’appelle La Vie moderne, c’est aussi parce que cette fois, Raymond Depardon est venu avec une nouvelle caméra, qui propose un format large sur pellicule 35mm sans anamorphose, qui permet à un opérateur isolé de tourner en cinémascope. Les paysages s’étendent dans leur majesté, toute la famille peut apparaître à l’image en même temps ; comme Laurent Cantet dans Entre les murs, Depardon offre à ces gens humbles l’écran large, épique et intime tour à tour, pour dire la grandeur de leur vie autant que les menaces qui la cernent. Le résultat est d’une poésie intense et qui ne doit jamais rien aux clichés bucoliques. C’est une poésie intense, entière, violente.
La caméra recule le long d’une petite route des Cévennes qui part de la ferme de Raymond Privat et de son neveu Alain Rouvière. La voix de Raymond Depardon parle de la lumière, annonce que l’on va croiser Raymond Privat ; cette fois la caméra ne s’arrête pas : le mouvement d’éloignement continue dans le soleil couchant. Avant la fin de ce dernier plan, on sait qu’on a vu un film admirable.
Durée : 1h30
Date de sortie : 29 octobre 2008
Scénario : Raymond Depardon
Production : Claudine Nougaret
Photographie : Raymond Depardon
Son : Claudine Nougaret, Gérard Lamps
Montage : Simon Jacquet
Musique : Gabriel Fauré
Germaine Challaye
Marcel Challaye
Abel Jean Roy
Daniel Jean Roy
Gilberte Jean Roy
Jean-François Pantel
Marcel Privat
Raymond Privat
Cécile Rouvière
Alain Rouvière
Amandine Valla
La caméra avance le long d’une petite route des Cévennes qui mène à la ferme des frères Marcel et Raymond Privat. Le violoncelle élégiaque de Gabriel Fauré esquisse ses accords. Et avant qu’on s’y attende, la caméra s’arrête : le troupeau de brebis des deux frères descend du coteau et coupe la route. Dès ce premier plan, on sait qu’on est face à un remarquable documentaire.
La Vie moderne est construit d’une façon très simple : les déplacements de ferme en ferme rythment des entretiens paisibles entre Raymond Depardon et les paysans cévenols auxquels il consacre son film. Ces entretiens ont lieu généralement dans la ferme, souvent dans la cuisine ; la famille se réunit autour de la table, il y a une place pour Raymond, le paysan à la caméra, et pour sa femme Claudine, qui tient la perche du micro : je pense à cette scène, dans la famille Challaye, où l’hôtesse, enchantée, fournit les deux documentaristes en café, s’inquiète qu’il refroidisse, propose de reprendre des gâteaux… Retrouvailles avec de vieilles connaissances ou premier contact avec de nouvelles. Dans l’intervalle, les déplacements permettent de découvrir le pays : l’isolement des fermes éparpillées au flanc des montagnes, la rudesse du terrain, pentu, de plus en plus envahi par les broussailles.
Raymond Depardon sait que pour faire parler ses interlocuteurs, l’agressivité, l’astuce de l’intervieweur ne servent à rien. Il glisse des allusions, pose des questions simples, et surtout attend que la parole advienne. Et, choix remarquable, il ne coupe pas, ou pas toujours, ces périodes d’approche. Le spectateur apprend à attendre, à écouter, à deviner la joie ou la souffrance entre les mots, et n’a pas besoin d’être paysan pour comprendre les enjeux de la vie de ces gens à la table desquels Raymond Depardon a réussi à le faire inviter. Effet paradoxal : ce film lent et silencieux passe à toute vitesse. Il semble ne durer que trois quarts d’heure, il frustre presque, on en redemande.
Si le film s’appelle La Vie moderne, c’est parce que les formes majoritaires de la société, qui ne sont pas encore parvenues dans ces fermes, les cernent, et leur imposent des contraintes qui leur sont étrangères et les étranglent : on assiste ainsi à l’échec piteux d’un jeune couple de bonne volonté, qui ne parvient pas à convaincre son banquier de l’aider à rouvrir une exploitation. La loi de la rentabilité condamne ces terres exigeantes et peu productives. Ceux qui sont installés, eux, travaillent dans leur vieillesse, voire dans leur grande vieillesse. Parfois, un enfant reste avec eux, souvent celui qui n’a pas pu faire d’études : et la vie paysanne devient une relégation. Les frères Privat, avec l’intransigeance des grands héros tragiques, se battent et se battront jusqu’à la limite de leurs forces pour l’exercice d’un métier qui n’est plus pensable que comme une vocation : « il faut être passionné », dit Raymond ; autrement, ce n’est pas la peine, cette peine infinie devient absurde.
Si le film s’appelle La Vie moderne, c’est aussi parce que cette fois, Raymond Depardon est venu avec une nouvelle caméra, qui propose un format large sur pellicule 35mm sans anamorphose, qui permet à un opérateur isolé de tourner en cinémascope. Les paysages s’étendent dans leur majesté, toute la famille peut apparaître à l’image en même temps ; comme Laurent Cantet dans Entre les murs, Depardon offre à ces gens humbles l’écran large, épique et intime tour à tour, pour dire la grandeur de leur vie autant que les menaces qui la cernent. Le résultat est d’une poésie intense et qui ne doit jamais rien aux clichés bucoliques. C’est une poésie intense, entière, violente.
La caméra recule le long d’une petite route des Cévennes qui part de la ferme de Raymond Privat et de son neveu Alain Rouvière. La voix de Raymond Depardon parle de la lumière, annonce que l’on va croiser Raymond Privat ; cette fois la caméra ne s’arrête pas : le mouvement d’éloignement continue dans le soleil couchant. Avant la fin de ce dernier plan, on sait qu’on a vu un film admirable.
Etienne Mahieux
- BANDE ANNONCE
- FICHE TECHNIQUE
Durée : 1h30
Date de sortie : 29 octobre 2008
Scénario : Raymond Depardon
Production : Claudine Nougaret
Photographie : Raymond Depardon
Son : Claudine Nougaret, Gérard Lamps
Montage : Simon Jacquet
Musique : Gabriel Fauré
- Avec le concours de
Germaine Challaye
Marcel Challaye
Abel Jean Roy
Daniel Jean Roy
Gilberte Jean Roy
Jean-François Pantel
Marcel Privat
Raymond Privat
Cécile Rouvière
Alain Rouvière
Amandine Valla
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