Secret défense, de Philippe Haïm *

Un film d’espionnage qui ferait le point sur les méthodes employées par les services secrets occidentaux et les réseaux islamistes du Proche-Orient pour se combattre mutuellement, voilà le genre d’œuvre que le cinéma français n’offre pas souvent. Et j’ai peur que ce soit pour une autre fois.

Diane (l’excellente Vahina Giocante), étudiante besogneuse en langues orientales, fait la connaissance du séduisant Jérémy, à qui elle tente de cacher son passé de prostituée occasionnelle. Or le père de Jérémy, qui se présente comme négociant en vins mais qui est en réalité un ponte de la DGSE, lui apprend qu’il connaît son passé et la pousse, par ce chantage, à rejoindre les services secrets. Parallèlement, Pierre, un petit dealer lillois prêt à régler les dettes de sa mère avec de l’argent mal gagné, se retrouve en prison où un détenu islamiste se pose comme son protecteur. Leurs parcours, traités en montage parallèle en trichant un peu sur la chronologie, se croiseront bien entendu à la fin du film.

Philippe Haïm mène cette intrigue en bon élève appliqué. Il s’inspire du cinéma d’action américain,, dont il retient bien sûr les effets de manche, mais pas seulement : de nombreuses scènes montrent un vrai savoir-faire ; les décors du siège de la DGSE et les extérieurs de La Défense, sont exploités de façon spectaculaire — dommage que j’aie reconnu, à la fin du film, l’escalier du rez-de-jardin à la BnF… Les situations sont plantées de manière efficace, le montage est nerveux et la mise en scène parvient parfois à évoquer avec finesse la solitude de Diane ; on songe notamment à une scène de rendez-vous avec son officier traitant, sur la jetée de Beyrouth peuplée de pêcheurs à la ligne dont les silhouettes indifférentes s’étagent dans le brouillard lumineux du soir. Au bout du compte le film parvient à retenir notre intérêt sur la longueur, bien que le personnage de Pierre soit pris dans un processus sans trop de heurts, et que le suspense repose essentiellement sur l’autre segment de l’intrigue.

Afin de présenter un tableau crédible de la partie d’échecs entre Occidentaux et islamistes sur les cases noires et blanches qui bordent la Méditerrannée, Philippe Haïm s’est entouré d’une noria de consultants chargés de garantir la crédibilité des faits et gestes des personnages, tout en laissant sa juste part à la fiction. Une démarche irréprochable ?

L’ennui, c’est que dès le début quelque chose ne va pas. Même les scénaristes de Quantum of solace, sans parler d’agents expérimentés, se diraient, en voyant la façon dont Vahina Giocante se retrouve à servir la France, que le personnage d’Alex, que le film présente comme un moine-soldat du renseignement, n’est pas très professionnel ou bien qu’il cache une entourloupe. L’interprétation toute en rigueur de Gérard Lanvin peut rendre crédible l’aveuglement des autres personnages face à son comportement parfois aberrant, mais le scénario ne le justifie que maladroitement. Et l’accumulation de bévues par les personnages des deux camps, ainsi que l’idée de placer la totalité de l’opération entre les mains de personnages aux motivations aussi floues, amènent finalement à se gratter sceptiquement la tête. Les critères du recrutement de Diane sont évacués d’une pirouette (on sait juste que la DGSE a enquêté sur elle) ; quant à celui de Pierre, il ne convainc pas plus, malgré le temps que le film lui consacre : les raisons de sa métamorphose intérieure, et celles pour lesquelles il ne saisit pas les innombrables planches de salut que lui offre le scénario, restent le secret de Philippe Haïm et Nicolas Duvauchelle.

Au bout du compte on comprend qu’Alex a monté sciemment une opération foireuse pour masquer cette information essentielle : il n’a tout simplement pas de meilleure idée. Le générique de fin annonce que la DGSE a déjoué quinze attentats depuis le 11 septembre 2001. Ca laisse rêveur. Il précise aussi que le film est totalement fictif. On se disait, aussi.

Philippe Haïm échoue donc à réaliser le brûlot qu’il projetait manifestement, mais dont les intentions sont trop visibles pour permettre à Secret défense de n’être qu’un honnête divertissement. A vrai dire, toutes ces garanties de sérieux que le film nous envoie à la figure, du générique à la seule existence du personnage de Pierre, dont le développement n’est pas très important pour l’intrigue principale, en passant par les aphorismes d’Alex (« Un agent n’est pas un être humain, c’est une arme »), lui reviennent à la figure en poussant le (petit- spectateur à pinailler. Elles révèlent également le souci qu’a Philippe Haïm de jouer avec les peurs de tout un chacun, qui relèvent pour une part du fantasme (1), et pour une part du poncif. Chaque part le fait perdre sur un des deux tableaux, et son habileté de cinéaste tourne à vide.

(1) Ca ne me dérange pas personnellement, quand ces fantasmes concernent la sublime Vahina Giocante (Note de Bertrand Morane).

Etienne Mahieux

• BANDE ANNONCE

• FICHE TECHNIQUE

Pays : France
Durée : 1h40
Date de sortie : 10 décembre 2008
Scénario : Philippe Haïm, Julien Sibony, Nathalie Carter
Consultants à l’écriture : Stéphane Berthomet, Malek Chebel, Eric Dénécé, Anne Giudicelli, Jean Guisnel, Jean-Pierre Lasserre, Antoine Sfeir
Assistant réalisateur : Dominique Delany
Production : Yves Marmion
Décors : Ambre Sansonetti, Sandrine Mauvezin
Photographie : Jérôme Alméras
Son : Pierre Gamet, François-Joseph Hors, Vincent Mauduit
Montage : Sylvie Landra
Effets visuels : Thomas Duval
Musique : Alexandre Azaria

• DISTRIBUTION

Diane Bellanger / Lisa : Vahina Giocante
Alex : Gérard Lanvin
Pierre : Nicolas Duvauchelle
Al Barad : Simon Abkarian
Ahmed : Mehdi Nebbou
Leïla / Chadia : Rachida Brakni
Jérémy : Aurélien Wiik
Fouche : Nicolas Marié
Aziz : Kamel Belghazi
La mère de Pierre : Catherine Hiégel
Le client de Lisa : Saïd Amadis
Quayim : Asil Raïs
La blonde : Charley Fouquet