Burn after reading, de Ethan et Joel Coen * * *

Après nous avoir éblouis au début de l’année avec No country for old men, les frères Coen semblent avoir contourné la pression en enchaînant très vite sur une comédie criminelle légère, apparemment pour eux l’occasion de faire leurs gammes. Pourtant Burn after reading dégage un parfum propre au charme entêtant.

Osbourne Cox, qui travaille comme analyste pour la CIA, est mis au placard pour alcoolisme. Outragé, il entreprend d’écrire ses Mémoires, dont il ne doute pas du potentiel hautement scandaleux et subversif. Sa femme Katie, qui le considère comme un minus, envisage de divorcer… et c’est pour cette raison, croyez-le ou non, que le manuscrit des Mémoires, moyennant quelques erreurs de manipulation, aboutit sous forme informatique entre les mains de deux employés d’un centre de remise en forme, Chad et Linda. Persuadés de sa valeur, ils entreprennent de le rendre à son auteur moyennant… une petite récompense spontanée.

L’intrigue est en fait plus compliquée que cela, puisqu’elle fait également appel aux services d’un haut fonctionnaire érotomane et du supérieur énamouré de Linda. On peut donc supposer que le ton sera au délire. Pourtant, après un générique spectaculairement blagueur (ou blagueusement spectaculaire), Burn after reading commence sur un ton relativement mesuré. La mise en scène sobre, incisive, pleine d’aisance mais loin des extravagances du Grand Saut ou de The Big Lebowski, la puissance de conviction du grand John Malkovich, nous laissent un temps prendre au sérieux la situation. Petit à petit le comportement des personnages sort des gonds de la raison ; leur imbécillité, leur aveuglement ou leur pleutrerie se révèle progressivement ; des acteurs déchaînés aboutissent à un franc délire. La seule qui semble se conduire de façon assez raisonnable, Katie, est d’ailleurs rigoureusement en dehors du coup, et ne se doute pas un instant des manœuvres des autres ni de leur objet. Le sens du détail incongru des frères Coen fait le reste, qui garantit un rire à la fois franc et jaune. Pourtant la caméra reste impeccablement sage, observatrice, presque distante, nous faisant ainsi mesurer la folie de l’emballement des protagonistes, dans une situation qui ne le mérite absolument pas. Dès lors l’accablement final du patron de la C.I.A. apparaît comme la seule conclusion logique (et libératrice).

Burn after reading n’est donc pas un film si mineur que cela. L’ambition politique et psychologique n’est pas son fort, contrairement au précédent opus. Que Linda cherche à vendre les Mémoires d’Osbourne Cox aux Russes — qui n’en ont bien sûr que faire — indique à quel point ce genre d’acuité n’est pas le propos. Par contre il s’agit d’un véritable cinéma de l’absurde, à la fois léger et inquiétant.

Il est d’ailleurs manifeste que le souci premier des frères Coen n’est pas de nous raconter une histoire, en tout cas pas de façon classique. Si certaines scènes sont basées sur la narration classique (un beau suspense, par exemple, quand Chad est caché dans le placard), un bon nombre de rebondissements sont expédiés avec désinvolture, notamment par des récits dans les bureaux de la CIA, voire restent implicites (par exemple le parcours du CD-Rom de l’ordinateur d’Osbourne aux locaux du centre de remise en forme). Ce qu’ils tiennent à nous montrer, c’est surtout un bon nombre de situations folles ou aberrantes et surtout, ce qui les fait basculer. Les personnages sont en quelque sorte des marionnettes, non qu’ils soient dépourvus d’une vie intérieure (le mal-être d’Osbourne, par exemple, est évident), mais parce qu’ils semblent obéir, presque exclusivement, à leurs impulsions, or que celles-ci soient guidées par leur inconscient ou par le hasard, elles les conduisent immanquablement à la catastrophe, dans un monde régi par le chaos, et dont Ethan et Joel Coen ont sagement choisi de sourire.


Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis / Royaume-Uni / France
Titre original : Burn after reading
Durée : 1h36
Date de sortie : 10 décembre 2008
Scénario : Joel Coen, Ethan Coen
Assistante réalisateur : Elizabeth Magruder
Production : Tim Bevan, Ethan Coen, Joel Coen, Eric Fellner
Décors : Jess Gonchor
Photographie : Emmanuel Lubezki
Son : Craig Berkey
Montage : Roderick Jaynes aka Joel et Ethan Coen
Effets visuels : Randall Balsmeyer, Eric J. Robertson
Musique : Carter Burwell

  • DISTRIBUTION
Linda Litzke : Frances McDormand
Harry Pfarrer : George Clooney
Osbourne Cox : John Malkovich
Katie Cox : Tilda Swinton
Chad Feldheimer : Brad Pitt
Ted Treffon : Richard Jenkins
Sandy Pfarrer : Elizabeth Marvel
Officier de la CIA : David Rasche
Directeur de la CIA : J.K. Simmons
Acteur du film-dans-le-film : Dermot Mulroney

Partager cet Article:

Facebook Twitter Technorati digg Stumble Delicious MySpace Yahoo Google Reddit Mixx LinkedIN FriendFeed

Blogger

2 Commentaires

J'avoue m'être beaucoup ennuyée pendant le film. A ce propos, j'aimerais bien ton avis sur le jeu d'acteur de Brad Pitt, et Clooney...

Ah, mauvais point pour les Coen... En ce qui me concerne, il m'est parfois arrivé de les trouver lourds (par exemple The Big Lebowski mais jamais de m'ennuyer...

Je trouve que Clooney et Pitt en font des tonnes, ou plutôt en feraient des tonnes si leur tempo n'était pas parfait, un peu comme dans O'Brother dans le cas du premier. Un art assez caractéristique de leurs metteurs en scène...

Ceci dit j'imagine que l'adhésion ou non au film doit pouvoir changer la perspective sur leur jeu.

Enregistrer un commentaire