Claude Berri (1934-2009)

Alain Chabat le posa un jour comme un théorème : « Il faut toujours remercier Claude Berri ». C’est dire l’importance stratégique de ce dernier dans le cinéma français. Quand il est mort le 12 janvier 2009, celui-ci a pratiquement perdu « le parrain », aimé ou détesté mais incontournable. Il faut donc remercier Claude Berri, mais moins le producteur que le cinéaste, qui avait fini par se cacher derrière lui.

Celui qui s’appelait alors Claude Langmann est né dans une famille ashkénaze d’artisans fourreurs dans le dixième arrondissement de Paris. Il a souvent évoqué la figure flamboyante de son père, dans son autobiographie et dans Le Cinéma de Papa, où le rôle était tenu par Yves Robert. Le jeune Claude prend des cours de théâtre et devient tout d’abord acteur. Malgré un prix du jeune comédien, sa carrière piétine pendant une dizaine d’années.

C’est pour aider son beau-frère Maurice Pialat, cinéaste alors en devenir qu’il admire immensément, que Claude Berri passe petit à petit derrière la caméra. Il coécrit le court-métrage de Pialat, Janine, puis réalise lui-même Le Poulet qui quelques années plus tard recevra l’Oscar du court-métrage.

Son premier long-métrage, Le Vieil homme et l’enfant, reçoit un accueil très chaleureux des critiques et du public ; c’est le dernier triomphe de Michel Simon, dans le rôle d’un vieux paysan antisémite qui n’en cache pas moins un petit garçon juif pendant l’Occupation. Claude Berri s’était inspiré de ses souvenirs d’enfance, et bon nombre de ses premiers films, ainsi que Je vous aime (1980) et La Débandade (1999), seront d’inspiration autobiographique et il y interprète souvent lui-même un personnage central toujours nommé Claude Langmann. Il a continué par la suite à tenir quelques rôles fugitifs, par amitié et pour le plaisir, ainsi que le rôle-titre du Stan the flasher de Serge Gainsbourg.

Afin de garantir son indépendance de cinéaste, Claude Berri a fondé dès ses débuts une maison de production, Renn Productions, et finance et organise lui-même ses propres films. Leur succès rend l’entreprise viable, et très vite, Claude Berri se lance, d’enthousiasme, dans la production de films dont il n’est pas l’auteur, dont L’Enfance nue de Maurice Pialat. Il prend également des participations dans des comédies à vocation commerciale, et devient petit à petit l’un des producteurs les plus avisés de Paris, lequel se doubla, avec le temps, d’un collectionneur d’art contemporain passionné.

Toujours soucieux que les films qu’il produisait rencontrent le public le plus large possible, Claude Berri a donc choisi de financer aussi bien le cinéma d’auteur le plus exigeant que des films sans ambition ; une dualité qui s’enracine dans la grande tradition du métier, et qui a été rendue possible par un véritable instinct commercial. Sa générosité s’exerçait aussi envers les cinéastes : il a fourni à Roman Polanski, pour Tess, ou à Milos Forman pour Valmont, tous les moyens dont ils pouvaient rêver.

Mais Berri s’est, au passage, fait la réputation d’un homme d’affaires obstiné voire hargneux. Pour garantir le succès de ses productions les plus importantes, il remue ciel et terre et mobilise quasiment le Ministère de l’Education nationale au moment de Germinal ; quand L’Amant, de Jean-Jacques Annaud, reçoit une volée de bois vert, il tonne et publie dans Libération un droit de réponse dont il est le seul à avoir perçu l’humour…

Il était inévitable que le cinéaste finisse par disparaître derrière la figure du producteur. Lorsque Berri cinéaste se mit à adapter des œuvres du patrimoine littéraire français, Pagnol, Aymé ou Zola, avant de réaliser un Lucie Aubrac à la gloire de la Résistance, le verdict tomba : académisme. C’était facile : prétexte patrimonial, puissance financière, reconstitution historique sont comme des perches tendues à ce reproche, qu’on ne fait pratiquement jamais à des films issus de scénarios originaux situés à l’époque contemporaine et tournés dans des conditions modestes, fussent-ils absolument dépourvus d’imagination. C’était injuste.

Il arrivait à Claude Berri de prétendre qu’il ne s’intéressait qu’à la lumière et aux acteurs ; sa propre modestie l’a desservi. Il maîtrisait des registres extrêmement différents, de l’acidité à la mélancolie, de l’intimisme à l’épopée. Son cinéma est également celui d’un remarquable conteur doté d’un véritable sens de l’espace et de la clarté de l’action. Tous ses films ne sont pas également réussis ; certains ont un peu vieilli ; donc, non, ce n’est pas le plus grand cinéaste français, mais un auteur honnête, sincère et doué dont il convient de réévaluer l’œuvre sans œillères. On se rendra compte à cette occasion de la violence réelle de Germinal, de la rigueur pudique de Lucie Aubrac, de l’extraordinaire portrait d’homme que constitue le très beau Une femme de ménage.

Atteint dans ses dernières années par des disparitions tragiques, souvent sujet à la dépression , Claude Berri était en effet revenu, lors de la dernière décennie, au cinéma intimiste de ses débuts, et y montrait une tendresse revigorante. Claude le tendre et Berri le dur sont maintenant partis gérer la Cinémathèque céleste, et c’est bien dommage pour nous.

Etienne Mahieux

  • Filmographie - cinéaste
2007
Ensemble, c’est tout
2005
L’Un reste, l’autre part
2002
Une femme de ménage
1999
La Débandade
1997
Lucie Aubrac
1993
Germinal
1990
Uranus
1986
Manon des sources
Jean de Florette
1983
Tchao pantin
1981
Le Maître d’école
1980
Je vous aime
1977
Un moment d’égarement
1976
La Première fois
1975
Le Mâle du siècle
1972
Sex-shop
1970
Le Pistonné
Le Cinéma de Papa
1969
Mazel Tov ou le mariage
1967
Le Vieil homme et l’enfant
1964
La Chance du guerrier (sketch de La Chance et l’amour)
Baiser de seize ans (sketch de Les Baisers)
1962
Poulet

  • Filmographie - producteur (outre ses propres films)
2008
Bienvenue chez les ch’tis de Dany Boon
2007
La Graine et le mulet de Abdellatif Kechiche
2006
La Maison du bonheur de Dany Boon
2005
Les Enfants de Christian Vincent
Le Démon de midi de Marie-Pascale Osterrieth
2004
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants de Yvan Attal
San Antonio de Frédéric Auburtin
2003
Le Bison (et sa voisine Dorine) de Isabelle Nanty
Les Sentiments de Noémie Lvovsky
2002
Astérix et Obélix : mission Cléopâtre de Alain Chabat
Amen. de Costa-Gavras
2001
Ma femme est une actrice de Yvan Attal
La Boîte de Claude Zidi
Les Rois mages de Didier Bourdon et Bernard Campan
1999
Mauvaise passe de Michel Blanc
Astérix et Obélix contre César de Claude Zidi
1998
Mookie de Hervé Palud
1997
Arlette de Claude Zidi
Le Pari de Didier Bourdon et Bernard Campan
Didier de Alain Chabat
1996
Le Roi des aulnes de Volker Schlönndorf
1995
Gazon maudit de Josiane Balasko
Les Trois frères de Didier Bourdon et Bernard Campan
1994
La Séparation de Christian Vincent
La Reine Margot de Patrice Chéreau
1993
Une journée chez ma mère de Dominique Cheminal
1992
L’Amant de Jean-Jacques Annaud
1989
Valmont de Milos Forman
1988
A gauche en sortant de l’ascenseur d’Edouard Molinaro
L’Ours de Jean-Jacques Annaud
Trois places pour le 26 de Jacques Demy
La Petite voleuse de Claude Miller
1987
Hôtel de France de Patrice Chéreau
1985
Le Fou de guerre de Dino Risi
Les Enragés de Pierre-William Glenn
1983
L’Africain de Philippe de Broca
Banzaï de Claude Zidi
L’Homme blessé de Patrice Chéreau
La Femme de mon pote de Bertrand Blier
Garçon ! de Claude Sautet
1982
Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne
1980
Inspecteur La Bavure de Claude Zidi
1979
Tess de Roman Polanski
1978
Vas-y maman de Nicole de Buron
1976
Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg
1973
Pleure pas la bouche pleine de Pascal Thomas
1972
L’OEuf de Jean Herman
1970
La Maison de Gérard Brach
1969
L’Enfance nue de Maurice Pialat
1968
Oratorio pour Prague de Jan Nemec
1967
Marie pour mémoire de Philippe Garrel

  • Filmographie - acteur
2004
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants de Yvan Attal
2002
Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre de Alain Chabat
2001
Les Rois mages de Didier Bourdon et Bernard Campan
Va savoir de Jacques Rivette
1999
La Débandade de C.B.
1998
Un grand cri d’amour de Josiane Balasko
1997
Didier de Alain Chabat
1995
Les Trois frères de Didier Bourdon et Bernard Campan
1994
La Machine de François Dupeyron
1990
Stan the flasher de Serge Gainsbourg
1983
L’Homme blessé de Patrice Chéreau
1981
Le Roi des cons de Claude Confortès
1975
Le Mâle du siècle de C.B.
1972
Sex-shop de C.B.
1970
Le Cinéma de Papa de C.B.
1969
Mazel Tov ou le mariage de C.B.
1966
La Ligne de démarcation de Claude Chabrol
1965
Compartiment tueurs de Costa-Gavras
1964
Et vint le jour de la vengeance de Fred Zinnemann
1962
L’Avarice de Claude Chabrol (sketch des Sept péchés capitaux)
1961
La Bride sur le cou de Roger Vadim et Jean Aurel
Les Lâches vivent d’espoir de Claude Bernard-Aubert
Janine de Maurice Pialat (court-métrage)
1960
La Vérité de Henri-Georges Clouzot
Les Bonnes femmes de Claude Chabrol
1959
J’irai cracher sur vos tombes de Michel Gast
Asphalte de Hervé Bromberger
1958
Les Jeux dangereux de Pierre Chenal
1954
Le Blé en herbe de Claude Autant-Lara
French cancan de Jean Renoir
1953
Le Bon Dieu sans confession de Claude Autant-Lara

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