Caos calmo, de Antonello Grimaldi * * *

La sortie de Caos calmo a été discrète, de façon étonnante puisque le film d’Antonello Grimaldi est adapté du dernier prix Fémina étranger ; c’est un film étrange aux qualités nombreuses, manifestement vampirisé, mais pour le meilleur, par la personnalité de son interprète principal, Nanni Moretti.

Qui ne s’est déjà assis quelques minutes, voire quelques heures, sur un banc, pour sentir vibrer la ville autour de soi et remettre de l’ordre dans des pensées confuses ? Après la mort de sa femme, Pietro Paladini s’installe sur un banc face à l’école de sa fille et, pendant des jours, puis des semaines, y passe toutes ses journées au lieu de se rendre à son travail, où de lourds dossiers l’attendent pourtant puisque (sans que les noms soient données) le groupe d’audiovisuel dont il est l’un des directeurs s’apprête à changer d’actionnaires… (1)

Pietro, c’est Nanni Moretti ; on pourrait se contenter de vanter la justesse et la sobriété de tout ce qu’il fait sur un écran, de compter amicalement les poils blancs dans sa barbe, et de se bercer les oreilles de sa diction lente et méticuleuse qui donne l’impression de comprendre l’italien. Mais il se trouve qu’il apporte plus au film qu’une simple interprétation (bien entourée d’ailleurs, notamment par Silvio Orlando ou Hippolyte Girardot) ; fait rare dans le cinéma contemporain, et plus encore européen, on se retrouve devant un « Nanni Moretti » au sens où l’on pouvait voir jadis un « Buster Keaton » : même lorsqu’il n’est pas le réalisateur du film — et je n’ai aucune raison d’imaginer qu’Antonello Grimaldi se soit effacé devant l’auteur d’Aprile — l’acteur amène avec lui un monde fictif tout entier, avec ses lois propres. La participation de Moretti au scénario doit probablement se comprendre dans ce sens.

Par exemple, après un beau et sobre générique où les vagues de l’océan illustrent intelligemment le titre, nous trouvons Pietro et son frère Carlo (Alessandro Gassman) sur la plage. Que font-ils ? Ils bronzent ? Vous n’y pensez pas, c’est Nanni Moretti, donc dans la première scène du film il fait du sport : et voilà, ça ne manque pas, ils jouent au tennis de plage, avant de se précipiter à l’eau pour sauver deux jeunes femmes qui se sont aventurées un peu trop loin. Ironiquement, c’est en rentrant de la plage en héros que Pietro découvre le décès de sa femme…

C’est aussi comme par contamination du cinéma de Moretti que le film trouve son centre de gravité et ses plus belles scènes, sur la place devant l’école, un espace remarquablement dessiné par une caméra élégamment mobile. Le niveau de responsabilités professionnelles de Pietro est tel qu’on imagine un temps que son entreprise va tout faire pour le ramener au travail. Pas du tout : après une période de compréhension affectueuse (le pauvre doit faire son deuil), l’entreprise se plie à la lubie de son administrateur. Chacun, ses collègues, ses amis, son frère, sa belle-sœur, vient visiter Pietro qui devient un personnage du quartier, et à l’occasion une sorte de petite providence (quand il ne s’agirait que de faire clignoter sa voiture pour la joie d’un jeune trisomique). Se consacrant à sa fille et à sa méditation, il commence à prouver qu’on agit mieux à distance. La place devient une petite utopie, un lieu de refondation sociale qui ne pourra cependant exister qu’autant que Pietro conservera son fécond mal-être intérieur. Ces répercussions inattendues de l’intimité sur la vie sociale font le vrai sel de Caos calmo.

Le film est parfois plus banal quand la nécessité de boucler l’intrigue mélodramatique reprend le dessus, sans jamais cesser d’être de bonne tenue, à l’exception d’une rencontre torride entre Pietro et la femme qu’il sauva des eaux jadis : non que la scène soit scandaleuse (allons, au pays de Bertolucci…) mais tout simplement, le manque total d’inspiration de Grimaldi pour la filmer nous laisse devant sa crudité banale comme des poules devant un couteau. Ce n’est pas ça qui empêchera Caos calmo de laisser le souvenir d’une œuvre sympathique et globalement d’une vivifiante légèreté.

(1) Ca doit être pour ça que Jean-Marie Messier et Rupert Murdoch n’ont pas aimé le film. (Note du Gestionnaire de notre Portefeuille d’Actions).

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Italie / Angleterre
Titre original : Caos calmo
Durée : 1h45
Scénario : Laura Paolucci, Francesco Piccolo, Nanni Moretti
D'après le roman de : Sandro Veronesi
Assistant réalisateur : Loredana Conte
Production : Domenico Procacci, Eric Abraham, Laura Paolucci
Décors : Giada Calabria
Photographie : Alessandro Pesci
Son : Gaetano Carito, Sergio Basili, Gianlua Basili
Montage : Angelo Nicolini
Effets visuels : Paolo Zeccara
Musique : Paolo Buonvino

  • DISTRIBUTION
Pietro Paladini : Nanni Moretti
Claudia Paladini : Blu di Martino
Carlo Paladini : Alessandro Gassman
Marta : Valeria Golino
Eleonora Simoncini : Isabella Ferrari
Jean-Claude : Hippolyte Girardot
Samuele : Silvio Orlando
Jolanda : Kasia Smutnak
Thierry : Denis Podalydès
Taramanni : Roberto Nobile
Besson : Charles Berling
Gloria : Antonella Attili
Steiner : Roman Polanski

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