Walkyrie, de Bryan Singer * * *

Les dernières nouvelles de Bryan Singer étaient très inquiétantes ; on le sentait tenté par un cinéma du contrôle absolu de l’image d’où toute vie avait fini par s’échapper. Valkyrie est une très bonne surprise : un film à suspense étonnamment modeste, vif et haletant. Eh ben voilà, Bryan, tu vois, quand tu veux…

En 1944, un groupe important d’officiers de la Wehrmacht, c’est-à-dire de l’armée régulière allemande, qui n’était pas recrutée sur des critères idéologiques contrairement à la SS, constatant à la fois la monstruosité du régime hitlérien et sa chute inévitable, cherchait à se débarrasser de Hitler et à faire tomber le Troisième Reich avant la victoire finale des Alliés. Un jeune colonel, Klaus von Stauffenberg, se joint à eux au début du film et se voit vite confier la direction exécutive de l’opération par ses supérieurs impressionnés par sa hauteur de vue et son intelligence tactique. Walkyrie suit en détail ce complot qui, comme on le sait, a échoué.

Il y aurait là matière, bien sûr, à plus de développements : le film doit être extrêmement frustrant pour un historien. Ces officiers qui se rebellent contre Hitler n’en ont pas moins sagement, et pour beaucoup courageusement (Stauffenberg a perdu un œil et une main et demi en Afrique du Nord), gravi les échelons de la carrière dans une armée qui servait les buts du Troisième Reich ; et certes ils ne sont sans doute pas tous des sociaux-démocrates bon teint. Leurs motivations, leurs espoirs ne sont pas vraiment sondés par le film ; on sait juste que Stauffenberg veut faire fermer les camps de concentration (bravo) et rêve d’une grande et sainte Allemagne (ce qui est dérisoirement anachronique). Le film est tout entier dédié à leur gloire et à leur honneur, ce qui nous vaut, malgré la vivacité du montage, une fin un peu lourdement au garde-à-vous devant le courage malheureux.

Mais tout d’abord Walkyrie est, sur le plan narratif, une réussite indéniable. Si l’on n’arrive pas tout à fait à croire, devant la première séquence à suspense — concernant une bombe qui n’explose pas dans l’avion de Hitler — que Bryan Singer va se débarrasser aussi vite d’un acteur de la trempe de Kenneth Branagh, c’est seulement philistinisme de notre part, car dès cet instant le film se montre peu soucieux de nous impressionner par de faux brillants (rien de décoratif, par exemple, dans l’ouverture située dans le désert) : la situation, les détails concrets de l’opération, les émotions des personnages, voilà ce qui compte. Le suspense est bientôt roi, et dès que Stauffenberg a rejoint le groupe des comploteurs, on n’en voit plus les ficelles. Singer est plus langien que hitchcockien : c’est l’exposé calme des données qui fascine, plus que l’identification au personnage central. Ainsi, si Stauffenberg se coupe en se rasant le matin du jour J, c’est, croit-on d’abord, une trace d’émotion. En fait, c’est délibéré, comme le prouve rétrospectivement son hésitation : il a besoin d’un prétexte (changer de chemise) pour s’isoler au cœur du QG de Hitler, et enclencher le détonateur de sa bombe.

L’autre qualité essentielle de Walkyrie est née dès la construction du remarquable scénario de Christopher McQuarrie, vieux complice du cinéaste : l’attentat contre Hitler intervient à peu près aux deux tiers du film, et n’en constitue pas le point culminant. Le talent de Stauffenberg est d’avoir préparé et minuté la prise du pouvoir, dont l’attentat ne constitue qu’un élément, en détournant le véritable plan d’urgence prévu en cas de décès du chancelier : l’opération Walkyrie. Dans l’incertitude du résultat (Hitler est-il mort ou vivant ?), l’opération Walkyrie suit son cours, superbe utilisation de la hiérarchie et de l’administration militaires, coup de bluff magnifique dont le spectateur ne peut s’empêcher de se demander s’il ne pourrait pas réussir malgré la survie d’un Hitler réduit au rang de pantin égratigné dans son bunker… Non, bien sûr. Mais Singer montre quatre heures pendant lesquelles le pays est dirigé en fonction d’une erreur, ou, puisque nous sommes dans un cinéma classique de reconstitution historique, d’une fiction. L’opération Walkyrie devient elle-même une mise en scène et Stauffenberg le double du cinéaste. Nous avons failli y croire, en tout cas nous avons sérieusement suspendu notre incrédulité (1). Mission accomplie.

(1) C’est la formule du poète Coleridge pour définir la fiction : « suspension of disbelief ».

Etienne Mahieux

  • FICHE TECHNIQUE
Pays : Etats-Unis / Allemagne
Durée : 2h
Date de sortie : 28 janvier 2009
Titre original : Valkyrie
Scénario : Christopher McQuarrie, Nathan Alexander
Assistants réalisateurs : Lee Cleary, Jeffrey Wetzel
Production : Gilbert Adler, Nathan Alexander, Tom Cruise, Christopher McQuarrie, Bryan Singer, Paula Wagner
Décors : Lily Kilvert, Patrick Lumb
Photographie : Newton Thomas Sigel
Son : Erik Aadahl
Montage : John Ottman
Effets visuels : Travis Yohnke
Musique : John Ottman

  • DISTRIBUTION
Colonel Klaus von Stauffenberg : Tom Cruise
Général Friedrich Olbricht : Bill Nighy
Major Otto Ernst Remer : Thomas Kretschmann
Général Friedrich Fromm : Tom Wilkinson
Colonel Merz von Quirnheim : Christian Berkel
Ludwig Beck : Terence Stamp
Major Général Henning von Tresckow : Kenneth Branagh
Général Erich Fellgiebel : Eddie Izzard
Nina von Stauffenberg : Carice van Houten
Docteur Carl Goerdeler : Kevin R. McNally
Colonel Heinz Brandt : Tom Hollander
Adolf Hitler : David Bamber
Margarethe von Oven : Halina Reijn
Erwin von Witzleben : David Schofield
Un général : Ian McNeice
Un général de la 10e division blindée : Bernard Hill

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