L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, de Andrew Dominik * * *

Pour beaucoup de petits français, il a d’abord été un personnage secondaire dans Lucky Luke. C’est dire si Jesse James, « le bandit bien aimé », est devenu un personnage quasiment folklorique, bien au-delà de l’homme réel. Andrew Dominik fait jouer ensemble l’image légendaire et la réalité, à la fois médiocre et mystérieuse, de celui qui fut Jesse James.

Le film commence lorsque Frank et Jesse James, après la dispersion de leur bande, ont embauché les fonds de tiroir pour être les complices d’une dernière attaque de train. Accent traînant, lourdes blagues, ces nouveaux acolytes ne sont pas des flèches. Parmi eux, deux frères, Charley et Robert Ford. Ce dernier est fasciné par Jesse James, dont il a lu les aventures dans les petits illustrés romancés qu’Eastwood évoquait déjà dans Impitoyable. Il tâche de s’immiscer dans l’entourage proche du chef de bande.

Ce qui frappe d’abord dans ce western maniériste, qui s’inscrit avec élégance dans ce qui est désormais une sorte de seconde tradition du genre, celle de Leone, de Peckinpah, d’Altman, c’est sa lenteur très particulière. J’ai lu ici ou là des comparaisons du style d’Andrew Dominik avec celui de Terrence Malick, d’autant que le jeune cinéaste ne se prive pas de rendre hommage à son aîné, mais en fait c’est tout différent. Ici le spectateur est comme ensuqué dans une atmosphère d’une épaisseur à couper au couteau. Il ne s’agit pas d’exaltation lyrique, plutôt du poids de la vie que les personnages traînent comme de la boue à leurs bottes. Le cinéaste montre l’attente avant le coup de main, les périodes creuses où l’activité d’un bandit consiste essentiellement à se cacher, la vie familiale et quotidienne, les pesanteurs d’une organisation dominée par la notion de clan (à O.K. Corral ce jour-là c’étaient les Earp contre les Clanton, rappelez-vous) — les pesanteurs aussi, du moins apparentes, de l’intellect des messieurs. Robert Ford, homme sans qualités apparentes, que sa famille décrit comme un phénomène mais qui se garde bien de le justifier, observe Jesse James, dont les manœuvres fulgurantes et les tactiques retorses viennent régulièrement déranger la torpeur générale.

Le film montre également la déréliction de la bande, née des jalousies, des soupçons sur la loyauté de tel ou tel, des vengeances obligées ; le point final, on le sait, sera l’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Cet assassinat lui-même, dont l’histoire nous a légué les circonstances, est domestique, anti-héroïque, totalement opposé à toute tentative de faire de la conquête de l’Ouest une épopée. Et ce point final n’est pas tout à fait final pourtant car dans un long mais superbe épilogue, Dominik montre Ford, lui-même entré dans la légende, et qui plus encore que Jesse James doit gérer la pression médiatique naissante… jusqu’à ce que l’opinion se retourne, et que la bulle se dégonfle.

Propos mélancolique qui a inspiré une mise en scène qui ne l’est pas moins ; les grands espaces ouverts s’y opposent aux plans tortueux des maisons, où l’on se cache sans cesse les uns des autres, sauf autour de la table du repas (espace particulièrement dangereux). La maîtrise du rythme est très grande, et renforcée encore par la superbe musique de Nick Cave. Il y a tout de même des éléments un peu cabotins et que l’on aurait voulu voir éviter : Dominik s’inspire souvent de documents photographiques, et retrouve le grain, la qualité de lumière de certains (Jesse James photographié sur son lit de mort, par exemple). Il n’avait donc pas besoin de forcer sur les tons sépias, ni de filmer certaines scènes comme à travers un cul de bouteille — ce qui, je suppose, veut évoquer un objectif photographique préhistorique. Ce genre de coquetteries un peu démonstratives semble surajouté à un film qui s’en passe très bien. Ajoutons que si Casey Affleck est épatant dans sa manière de toujours nous faire hésiter sur le nombre de cases dans la tête de son personnage, Brad Pitt est royal. Jouant intelligemment de son propre charisme — car après tout Jesse James est lui-même une star pour les autres personnages —, il promène un flegme qui le rend de plus en plus effrayant à mesure que le film avance et que le spectateur apprend ce dont le personnage est capable. C’est une très grande interprétation : la star un peu molle des débuts est définitivement devenue un acteur de premier plan.

Etienne Mahieux


  • BANDE ANNONCE


  • FICHE TECHNIQUE
Titre original : The Assassination of Jesse James by the coward Robert Ford
Pays : Etats-Unis
Date de sortie : 10 octobre 2007
Scénario : Andrew Dominik
D’après le roman de : Ron Hansen
Assistant réalisateur : Scott Andrew Robertson
Production (1) : Tom Cox, Jules Daly, Dede Gardner, Murray Ord, Brad Pitt, Jordy Randall, Ridley Scott, Tony Scott, David Valdes
Décors et costumes : Patricia Norris
Photographie : Roger Deakins
Son : Christopher S. Aud
Montage : Curtiss Clayton, Dylan Tichenor
Effets visuels : Dick Edwards, Dyck Ferrand, Bryan Hirota
Musique : Nick Cave, Warren Ellis

  • DISTRIBUTION
Robert Ford : Casey Affleck
Jesse James : Brad Pitt
Charley Ford : Sam Rockwell
Dick Liddil : Paul Schneider
Wood Hite : Jeremy Renner
Ed Miller : Garret Dillahunt
Frank James : Sam Shepard
Le shérif Timberlake : Ted Levine
Zee James : Mary-Louise Parker
Mary James : Brooklynn Proulx
Dorothy Evans : Zooey Deschanel
Chanteur au saloon : Nick Cave

(1) Avez-vous remarqué qu’aux Etats-Unis les listes de producteurs ressemblent de plus en plus à un who’s who ? Il n’y a pas de travail pour tous ces gens-là mais il faut « en être » !

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